Ethique du vote nul par un citoyen frondeur
par Bernard Dugué
mercredi 31 janvier 2007
Au stade où vont les choses, je me prépare à voter nul aux deux tours de la présidentielle. L’explication ? Je récuse Sarkozy qui me paraît néfaste dans sa conception instrumentale de l’homme comme individu voué à travailler et gagner, ce qui est la meilleure manière de vendre la servitude intéressée de l’homme aux puissances financières et politiques. Dire que le travail libère est une absurdité. Les valeurs de Sarkozy ne sont pas éthiques !
Quant à Ségolène Royal, elle représente le bouclier social mais autant que je sache, nulle conquête n’a été acquise avec l’usage d’un bouclier. De surcroît, Madame Royal s’est signalée par quelques traits de caractère incompatibles avec l’exercice des plus hautes fonctions de l’Etat. Quand je dis caractère, j’envisage aussi un côté quelque peu caractériel, cet autoritarisme qu’on lui connaît, explicité par la sanction de maîtresse d’école infligée à son porte-parole, cette désinvolture à propos de la Corse, son ignorance désinvolte des questions militaires et géopolitiques, cette incapacité à avoir des convictions solides, cette inculture que ses confrères du PS connaissent, alors que quelques intellectuels s’inquiètent de sa méthode populaire qui n’incite guère à mettre au centre des préoccupations nationales l’intelligence, l’art et la science, question balayée d’un coup de budget, comme s’il suffisait de mettre de l’argent pour faire pousser des idées.
François Bayrou représente l’enfant terrible au centre du couple préféré des médias mais sa position protestataire ne laisse pas augurer d’un vote utile. Il ferait un bon Ministre de la réforme des structures étatiques et des collectivités locales.
Les autres candidats mettent de l’ambiance, de la fraîcheur, de bonnes ou mauvaises odeurs, mais n’ont pas vocation à gouverner ce pays. Ils incarnent des préférences en terme de valeur ou de classes sociales. Les uns défendent ouvriers et employés, les autres plaident pour l’ordre, la tradition, prônant même une « France française » en contradiction avec les idéaux d’intégration et surtout la réalité du pays. Bref, protester est un acte citoyen et chacun pourra se déterminer sur une personnalité. Le vote protestataire n’est pas plus honteux que le vote utile. J’aurai bien une sympathie pour Marie Georges, mais voter pour elle serait comme verser une larme dans l’urne pour pleurer une jeunesse gauchiste qui n’est plus. D’ailleurs, dès l’âge de 20 ans j’avais pris mes distances avec ce PC pas très clair sur des questions démocratiques.
Je vais quand même voter protestataire mais à ma manière, protestant contre le choix entre deux têtes d’affiches dont aucune ne convient à l’avenir de la France et une palanquée de figures protestataires imposant de choisir une tranche d’idée ou de classe sociale dans le grand camembert du trivial politicien. Et donc, voter nul est le seul véritable vote protestataire, à la fois contre les bulletins d’un élément du bipôle et les bulletins protestataires. Voter nul, c’est exprimer la nullité de la campagne politique, le désert de la pensée, la perte des horizons esthétiques, intellectuels et éthiques.
Ethique de la conviction, voilà le ressort guidant mon vote nul, librement déterminé en ma conscience. Conviction assurée de n’être convaincu par aucun des candidats, peurs vaincues, l’urne me contemplera tel l’abîme et je plongerai cette enveloppe vide d’un geste négatif dans l’ivresse du néant. Mais je n’abandonnerai pas mon statut de citoyen et comme il y aura un second scrutin, je pourrai inviter mes concitoyens à l’éthique de la responsabilité.
Si nombre de concitoyens ancrés à gauche votent nul, alors Nicolas Sarkozy sera élu Président mais les jeux ne sont pas faits car les Législatives vont nous permettre d’élire une Assemblée et cette fois, il faudra être responsable en envoyant une majorité de gauche pour une gouvernance de la France qui ne soit pas désespérante, avec un minimum de confiance car la politique de l’UMP ne mérite pas la confiance des Français tant cette formation a mené une politique contraire à l’équité économique et aux valeurs culturelles.
(Cela dit, il reste aussi, au nom de la déraison, la solution anti-wébérienne, suggérée par notre ami Pierre Desproges. En épousant l’éthique de l’illusion et l’éthique de l’irresponsabilité, nous pouvons élire Royal Présidente et une Assemblée à majorité UMP, ce qui nous promet une belle farce politique pour les années à venir)
En conclusion, voter ou laisser Sarkozy parvenir au pouvoir relève de l’éthique de la responsabilité, étant entendu que la candidature de Madame Royal relève de la farce politique. Les conséquences de l’inconséquente candidate du PS risquent de porter préjudice à la France et c’est d’ailleurs l’essence de la responsabilité que d’anticiper sur les conséquences. Ensuite, voter PS aux législatives participe à l’éthique de la conviction, basée sur l’adhésion à des valeurs. Bien évidemment, cela relève d’une foi à laquelle on veut bien adhérer mais qui a été trahie par une gauche opportuniste qui a piétiné la culture et l’humanité. Faut-il lui pardonner ? Cela dit, la société n’est pas exempte de critiques et reproches ; et les puissants savent jouer sur les faiblesses psychiques et les failles morales des peuples. La puissance se moque de la honte et elle a quelques raisons de le faire. L’efficace se moque des bons sentiments.
Il n’y a aucune issue pour sortir de ce qui s’apparente, du moins pour moi, à une impasse démocratique. Il eut fallu s’y prendre plus tôt au cas improbable où une grande fronde citoyenne se prenne en main pour demander un autre candidat, voire le suggérer (une alliance PS UDF ?) Et s’entendre aussi sur quelques lignes d’action et principes guidant une politique jugée éthique pour ce pays. C’est quand même un comble de ne pas se voir représenté alors qu’on est politisé et orienté dans un courant de valeurs et que de surcroît il y a pléthore de candidats. Toujours est-il que le PS a du souci à se faire si comme l’indique mes quelques tendances de proches, des gens de gauches sont prêts à s’abstenir, voire même voter Sarkozy au second tour. En 2012, on tâchera de s’y prendre autrement.