François Bayrou, le candidat qui ne plaît pas aux médias, a-t-il une chance de s’imposer ?
par Carlo Revelli
lundi 18 septembre 2006
La cote de popularité de François Bayrou semble grimper depuis les récentes accusations qu’il a portées contre les médias, en direct pendant le journal de Claire Chazal, sur TF1. Du coup, les médias s’intéressent à nouveau à lui, même si rares sont les soutiens qui partagent sa prise de position. Et si la surprise venait de là où personne ne l’attend ? Y a-t-il encore de la place pour un troisième homme, alors que tout le monde ne jure que par Sarko-Sego ? Que faut-il penser, quand le président de TF1 le convoque pour lui expliquer qu’il souhaite une vraie bipolarisation de la vie politique qui de facto tendrait à l’exclure ?
Je vais être franc. Jusqu’à présent, je n’avais jamais pensé que François Bayrou pouvait avoir une quelconque possibilité de devenir un jour président de la République, ni même d’atteindre le second tour. Instinctivement, et sans le connaître, je l’ai toujours considéré comme le prototype de l’homme politique relativement droit et compétent sur certains dossiers, mais sans probablement le charisme, l’audace, la « gnaque » et les soutiens nécessaires pour atteindre ce poste. C’est donc sans grand intérêt que j’ai écouté, semi-endormi sur mon lit, son interview avec Claire Chazal lors des universités d’été de l’UDF le 2 septembre 2006 (l’interview est disponible en bas de page). Et pourtant, cette interview risque de marquer un tournant important dans la campagne présidentielle 2007.
Eric Mainville synthétise bien ce qui s’est passé ainsi que la mini-tornade médiatique qu’ont engendrée les propos du président de l’UDF :
« François Bayrou dénonce une crise dans les médias ! Il accuse les grands patrons de presse de favoriser Sarko et Ségo. Il critique, sans les nommer, Bouygues, Dassault et Lagardère. La réaction des médias ne s’est pas fait attendre... »
Après cette interview, la polémique a pris une ampleur très forte. Pour ceux qui veulent aller plus loin, Acrimed décortique, jour par jour, les différentes prises de position de Bayrou et de différentes personnalités.
Autre date charnière, le 12 septembre : les deux dirigeants de TF1 (Mougeotte et Le Lay) décident de remettre à sa place Bayrou en le « convoquant » dans leur bureau après un passage du représentant de l’UDF sur LCI. Scène assez surréaliste, que John-Paul Lepers décrit bien sur son blog et dans une interview filmée (reproduite en bas de page) :
« Pour Lelay, c’est "l’honneur de TF1" qui serait en cause, pour Mougeotte, Bayrou rapporte qu’il a déclaré que si TF1 ne
parlait pas autant des autres formations politiques que l’UMP et le PS, c’est
"qu’il est pour la bipolarisation",
c’est-à-dire seulement deux partis dominants, comme en Grande-Bretagne et aux
Etats-Unis ! Pour François Bayrou, ceci est irrecevable, d’autant que
selon lui, "Le Lay est le premier responsable de la France, avant les
politiques"... »
Jean Véronis a profité de cette polémique pour comptabiliser dans la presse quotidienne le nombre d’articles mentionnant les « prétendants » à l’Elysée en fonction de leur appartenance (cf. Le Monde Citoyen) :
Formation | Articles |
---|---|
UMP | 740 |
PS | 481 |
UDF | 75 |
Sur AgoraVox, j’ai déjà lu des analyses intéressantes qui dénonçaient le phénomène de concentration des médias en France, mais jamais je n’aurais pensé qu’on pourrait atteindre un tel paroxysme et un tel mélange des genres. Forrest Ent, par exemple, a dressé récemment un intéressant « panorama des acteurs influents dans les médias » que je vous invite à relire, en consultant son site qui se présente sous forme de base de données assez factuelle. Dans le même esprit, il est toujours utile de relire ce rapport de l’Observatoire français des médias sur la « concentration dans les médias en France ».
Je pense que François Bayrou a été très « inspiré » en attaquant TF1 et en mettant en exergue les liens « privilégiés » qui unissent certains hommes politiques et certains médias... Peu importe que cela ait été fait par pur calcul politique ou par sincère conviction personnelle. Le résultat est là : il déclare publiquement quelque chose que tout le monde sait mais n’ose trop affirmer, et du coup les Français, et les internautes en particulier, écoutent et approuvent. En effet, selon un sondage en ligne mené par Expression-Politique (Jérôme Jaffré) et publié par Yahoo, « 62 % des internautes estiment que François Bayrou " frappe juste " lorsqu’il accuse les médias de fabriquer l’élection présidentielle ».
En même temps, en ce moment sur AgoraVox vous pouvez voir un petit sondage assez étonnant. Bayrou figure en tête, très proche de Ségolène Royal, dans les intentions de vote au premier tour des présidentielles, avant même Sarkozy ! Si les sondages ne veulent dire pas grand-chose en général, les sondages en ligne donnent au mieux une tendance d’un lectorat (en l’occurrence, les lecteurs d’AgoraVox), à un moment donné. Et je dois être franc, personne ici n’avait pensé que Bayrou pouvait atteindre un tel score. Sincère pour sincère, je dois avouer qu’on ne voulait même pas le faire figurer dans la liste, cédant nous aussi à la facilité d’une « bipolarisation peoplesque » qui nous persécute depuis des mois. Une « inspiration » de dernière seconde nous a fait changer d’avis...
Coïncidence curieuse, au même moment que j’écris cet article, un lecteur du blog du pronétariat poste un commentaire, qui est assez révélateur de l’état d’esprit des citoyens et des internautes sur cette épineuse question :
« Lecteur de ce blog, je me permets de vous informer de la sortie d’un livre qui réfléchit lui aussi à la révolution des médias et aux bouleversements technologiques actuels. Tout change et quelque part, silencieusement, les investisseurs et les grands groupes de communications internationaux prennent le pouvoir. Les médias ne forment plus un domaine protégé. Les liens entre intérêts politiques, médiatiques et économiques semblent des plus troubles, le besoin de faire le clair sur ces questions apparaît plus qu’urgent. Pour comprendre les mécanismes et les enjeux des bouleversements sans précédent qui se préparent dans ce domaine dit « pas comme les autres », pris dans l’engrenage de la révolution technologique, je recommande grandement la lecture de MEDIABUSINESS, le Nouvel Eldorado (Fayard) de Danièle Granet et Catherine Lamour. Ce livre, qui vient de paraître et dont j’achève tout juste la lecture, est une enquête captivante, très précise et incisive sur la presse, la télévision, la radio, et les télécommunications pris dans le défi et les contradictions liés au choc entre les intérêts nationaux et le capitalisme mondialisé. Compte tenu de la place toujours grandissante que tous les médias occupent dans nos vies quotidiennes, je crois qu’on ne peut pas ignorer cette révolution silencieuse, qui change profondément le fonctionnement des médias. Les médias sont devenus à notre insu un secteur économique comme les autres et MEDIABUSINESS (Fayard) décrypte très clairement ce nouveau business mondial, et, je dois dire, m’a ouvert les yeux sur l’ampleur de ce mouvement. »
Je n’ai pas lu l’ouvrage, donc je ne peux pas me prononcer sur son contenu, mais j’ai trouvé plaisant ce clin d’œil du « hasard », même si le commentaire me paraît un peu commercial... Mais revenons au sujet qui nous intéresse.
Bayrou considère donc que la relation entre médias et Etat est très malsaine en France puisque ce dernier entretien des rapports de client-fournisseur avec la plupart des groupes qui contrôlent nos médias (Bouygues, Dassault, Lagardère, etc.). Selon lui, la situation est encore plus grave qu’en Italie, non seulement puisque Berlusconi détenait ses propres médias avant de se présenter en politique, mais aussi parce qu’il n’a pas entretenu de relations de clientèle avec l’État, du moins à ce niveau.
Cette prise de position pourrait jouer un rôle important dans l’évolution de la campagne présidentielle, et Guy Birenbaum décrypte fort bien la situation sur son blog : « Je crois d’abord et je l’ai déjà dit et écrit, que cette présidentielle va se jouer, se gagner, se prendre contre la télévision, la presse officielle, les médias traditionnels. Et contre les vieux systèmes et schémas qui vont avec. Je veux dire par là que ceux qui vont le moins entrer dans les concurrences imbéciles genre "Tiens prends ça, Diams dans ta face !" ou "Arrggghhh il a gaulé Doc Gynéco" vont s’en sortir le mieux. Ce que François Bayrou a bien assimilé, mais il part de très loin. Toutes les discussions que j’ai quotidiennement avec des "vrais-gens-normaux" (et elles sont nombreuses) me laissent penser qu’ils ne sont pas du tout dupes du foutage de gueule généralisé qui a débuté bien trop tôt. Grosse erreur de timing dans les deux écuries qui, certes, mènent la course, mais qui ont totalement oublié que celui qui est président en septembre n’a jamais, jamais gagné l’élection... »
La « preuve finale », que Bayrou a soulevé une question cruciale, c’est que Daniel Schneidermann a décidé hier d’y consacrer une émission complète d’Arrêt sur Image sur France 5. L’émission (disponible en ligne) était intéressante, car elle a bien résumé l’ensemble des prises de positions des uns et des autres depuis le 2 septembre.
Cependant, en regardant l’émission de dimanche, j’ai remarqué que Bayrou a essayé une première fois de parler de l’influence d’Internet sur la campagne présidentielle. Manque de chance, on n’entendra pas ce qu’il a dit. Schneidermann a décidé de couper le passage au montage. Frustration, car ça semblait bien intéressant ce que François Bayrou allait nous dire. J’écoute jusqu’à la fin, mais hélas, rien ne sera dit à ce sujet. L’émission se termine, les génériques commencent à défiler, quand on entend au loin Bayrou, poser une dernière question : « Je peux rajouter une phrase ? ». « Non, c’est fini » rétorque Schneidermann. « La phrase, c’est sur Internet ». « C’est fini ! ». Heureusement, Bayrou ne se décourage pas et sort une dernière phrase presque inaudible « Sur Internet, il se passe des choses... Il se passe des choses qui ne se passent pas dans ces médias là... ». Daniel Schneidermann l’interrompt et coupe court : « Vous l’avez déjà dit ! ».
Euh... non... ! Enfin, il l’avait certainement dit, mais vous l’avez coupé au montage. Et même cette dernière phrase, avec le générique qui tourne, pendant que Bayrou parle, ne nous renseigne pas trop... Un peu frustré, je me dis tant pis, j’irai voir sur le site de France 5, car là-bas ils laissent toujours l’intégralité de l’émission, sans les coupes du montage.
Manque de chance pour moi, cette règle vient de changer ce week-end... Désormais, sur le site de France 5, on ne peut visionner que ce qui a été effectivement diffusé à la TV.
Schneidermann n’y est pour rien, apparemment, puisqu’il propose même de signer une pétition, mais je continue à me demander pour quelles raisons avoir coupé toute référence à Internet dans les propos de Bayrou. J’aurais bien aimé comprendre quelle était la stratégie, la vision Internet du président de l’UDF. La seule chose que j’aie constatée, c’est que pour l’instant, ils n’ont pas adopté les stratégies agressives de webmarketing propres à l’UMP (et désormais aussi au PS). Mais que proposent-ils ? Je ne sais pas.
Outre sa mise en cause des médias, comme certains petits candidats (par exemple Rachid Nekkaz), Bayrou prône également un gouvernement d’unité nationale en dehors des clivages classiques gauche-droite. Tout ceci sera-t-il suffisant pour garder sa cote jusqu’en mai ?
Après avoir attaqué les médias, osera-t-il s’en prendre aux perpétuelles "mises en scène de la peur" que ces derniers véhiculent à longueur de journée pour mieux nous "gouverner" ?