Géométrie de la liberté d’expression

par Serpico
vendredi 26 janvier 2007

Sylvester Stallone, Bruce Willis, Arnold Schwarzenegger et tant d’autres ont contribué à créer l’image de l’Américain-US invincible et néanmoins gentil.

Hollywood -mais également toute l’industrie cinématographique occidentale- a imposé le héros positif occidental face aux forces du mal nécessairement non occidentales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Hémoglobine, caricature de l’ennemi, abaissement de l’adversaire, mépris total sont les ingrédients nécessaires à un « bon film ».

Les méchants sont presque toujours des Arabes, des Turcs, des Asiatiques, des Noirs, des Indiens, tous immanquablement stupides ou d’une intelligence diabolique et perverse.

Le méchant est aussi ridicule, difforme ou laid, comme un mutant mal fini.

Rambo se déchaîne oniriquement sur les Vietnamiens : un fantasme de gamin. La réalité fut tout autre, car les « petits » Viets ont administré une raclée mémorable aux USA. Mémorable sans qu’ils aient appris quoi que ce soit finalement ; Giap avait bien dit que l’impérialisme était un mauvais élève, les leçons de l’histoire ne sont pas retenues.

Il ne retient pas, mais il réécrit l’histoire.

Imaginons l’inverse : qu’un cinéaste de l’autre bord campe les méchants sous les traits d’Américains-US cruels, sournois et lâches... Que les gentils soient les ex-méchants...

Quelle serait la réaction de nos super-démocrates, tous Américains, défenseurs de la liberté d’expression ?

La Vallée des loups est un film turc : les méchants sont horribles, le gentil est super fort, mais le méchant est américain, alors que le gentil est turc. Et l’histoire ne tourne pas du tout à l’avantage du Yankee.

En plus, le réalisateur a rajouté un peu de piment : un des personnages est juif, et il commet quelques atrocités.

Le film a fait un tabac en Turquie et en Allemagne, où il y a une forte communauté turque.

Partout ailleurs en Europe, le film est passé sous silence. Censure soft mais parfois aussi censure hard : Edmund Stoiber (CSU) (« Ce film irresponsable ne développe pas l’intégration mais cultive la haine et la défiance à l’égard de l’Occident ») du parti de Merkel ainsi que des représentants des Verts allemands ont demandé l’interdiction du film.

En France, on n’en parle pas. Aucune pub. Les médias ignorent le film et les quelques critiques émises sont très agressives.

Le film serait d’abord antisémite. Ah.

Parce qu’il met en scène un juif très méchant ? Un méchant d’opérette.

On en déduit qu’on ne peut présenter un juif en méchant. C’est inacceptable.

Un Arabe, un Chinois, un Indien ou un Noir, oui, vous pouvez y aller à fond. Mais pas un juif. C’est forcément antisémite.

A moins que les juifs ne soient des plus qu’humains, sacrés, on ne voit pas de raison de penser qu’ils ne peuvent pas être méchants comme tout le monde. C’est cette idée même qui est raciste.

Le film inciterait à la haine. La même observation étant valable pour les films d’Hollywood, on ne voit pas en quoi présenter les Noirs comme des délinquants chroniques inciterait à l’amour.

En France, le film a reçu son visa d’exploitation le 16 mars 2006 : interdit aux moins de seize ans. Ce n’est pas le cas des Rambo, de la Chute du Faucon noir ni des Rois du désert.

Les mêmes qui s’inquiètent du mépris ou du rabaissement des autres ethnies n’ont jamais réagi quand les Apaches, les Coréens, les Arabes ou les Noirs étaient traînés dans la boue.

Les mêmes qui condamnent le terrorisme islamiste depuis le 11 septembre 2001, « exigeaient » du gouvernement algérien qu’il dialogue avec « l’insurrection armée ».

Les mêmes qui défendent la liberté d’expression dans l’affaire des caricatures du Prophète se déchaînent pour interdire le film de Serdar Akar.

Selon Anil Sahin, distributeur du film : Il y a là quelque chose qui ne va pas. Quand un caricaturiste offense deux milliards de musulmans, c’est de la liberté d’expression, quand un film d’action prend un Américain pour cible, c’est de l’incitation à la haine.


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