Hewlett-Packard ou comment empêcher la création d’emplois
par Pierre Bilger
vendredi 30 septembre 2005
Une fois de plus, à l’occasion du plan de restructuration de Hewlett-Packard, notre classe politique, relayée avec enthousiasme par les médias, a apporté une éclatante démonstration de son talent pour prendre les postures et les initiatives de nature à consolider notre incapacité à créer des emplois et donc à réduire le chômage.
Cela a commencé par la répétition inlassable de l’argument, exemplaire, de l’analphabétisme économique que nous cultivons, selon lequel une entreprise, réalisant des profits, n’est pas fondée à réduire ses effectifs.
Cela s’est poursuivi par le soupçon selon lequel les dirigeants du groupe américain viseraient par priorité la France, sans qu’il soit étayé par une quelconque analyse qui aurait démontré que notre pays serait frappé proportionnellement plus que les autres.
Cela s’est accompagné de gesticulations publiques, voyage aux Etats-Unis, saisine de la Commission européenne, initiatives dont même leurs auteurs savaient dès le départ qu’elles étaient vaines et inutiles.
Cela a culminé enfin avec le dernier épisode, celui de l’exigence du remboursement des aides publiques dont Hewlett-Packard aurait bénéficié, alors que, pour le moment, leur recensement, dont on aurait pu espérer naïvement qu’il ait été préalable à ces déclarations, ne semble avoir révélé péniblement qu’un peu plus de 1 million d’euros de subventions des collectivités locales de l’Isère.
Il n’a même pas manqué ce matin, sur Europe 1, le rapport établi par le président du conseil général de l’Isère entre cette aide locale et le salaire supposé du patron de Hewlett-Packard.
La classe politique mesure-t-elle les dégâts que ce psychodrame à la française provoque sur les décisions de créer des emplois dans ce pays ?
Désormais les groupes étrangers qui seraient tentés d’embaucher, savent qu’ils s’exposent, dans le cas où les circonstances économiques leur imposeraient de réduire les effectifs, à devoir rembourser les aides qu’on leur aurait éventuellement accordées pour les attirer en France. Ils savent aussi que ce qui les attend, ce n’est pas une négociation virile sur les conditions de départ, de formation et de reclassement des employés dont ils se séparent, mais des tentatives dérisoires d’imposer de l’extérieur une modification des objectifs de l’entreprise. Ils savent enfin qu’ils seront traînés dans la boue et insultés. Croit-on qu’un tel épisode restera ignoré ou inaperçu des entreprises étrangères déjà implantées en France, ou de celles qui envisageraient d’y venir ?
Ce serait être aussi bien naïf que de penser que les entrepreneurs français ne se sentiraient pas également concernés. Beaucoup d’entre eux s’étaient dit, au cours des derniers mois, que les initiatives du plan Borloo, le contrat de nouvelle embauche de Dominique de Villepin, les prémisses d’un dialogue constructif entre le Medef et les syndicats, annonçaient une ère nouvelle. Il ne semblait plus impossible que notre pays commence à traiter sérieusement la question du chômage, en distinguant ce qui devait relever de l’entreprise, la décision d’adapter les effectifs en baisse ou en hausse à l’évolution du marché, et ce qui relevait d’une approche collective, l’organisation de la protection et de la mobilité des salariés tout au long de leur vie professionnelle, à travers des compléments de revenus adéquats, des actions de formation intense et continue et un dispositif actif de soutien au reclassement et à la recherche de nouveaux emplois.
Répéter indéfiniment des épisodes tels que celui qui affecte Hewlett-Packard, à l’image de ceux qui au cours des dernières années ont défrayé la chronique, constitue l’un des meilleurs moyens que nous ayons inventés collectivement pour empêcher la création d’emplois en France. Que l’on soit de droite ou de gauche, il ne devrait pas être impossible de le comprendre, et de modifier notre comportement en conséquence, ne serait-ce que par respect pour le sort des dix pour cent de nos compatriotes auxquels nous sommes incapables de proposer un emploi.
Le temps n’est-il pas venu d’arrêter l’amateurisme et l’improvisation dans ce domaine, et de faire du traitement de ce problème l’enjeu d’un consensus national, au lieu de prétendre le résoudre à travers l’alternance de solutions opposées qui ont toutes échoué, et à travers des approches politiques qui ne trompent plus personne sur leur efficacité ?