Il faut réhabiliter l’impôt
par Stéphane ARLEN
mardi 27 mars 2007
Si l’on veut pouvoir faire une politique de gauche républicaine, il faut un État fort disposant des moyens nécessaires.
Depuis des années, il n’y a qu’un seul mot d’ordre chez tous les dirigeants : la baisse des impôts. La droite en a fait un leitmotiv idéologique et la gauche suit le mouvement, n’osant même plus justifier les prélèvements divers.
À droite, on joue sur l’égoïsme de l’électorat : « Avec nous, vous paierez moins d’impôts sur le revenu, il y aura un bouclier fiscal, on réduira l’impôt sur la fortune ». On reconnaît l’électorat de droite : mis à part de pauvres gens naïfs qui croient encore qu’un gouvernement libéral fera leur bien, un homme ou une femme de droite, c’est un Johnny Halliday, c’est une Laurence Parisot. C’est une personne qui croit qu’elle s’est faite toute seule, qu’elle est « parvenue » uniquement grâce à son travail, et qui ne veut donc pas partager le fruit de ses efforts avec les salauds de profiteurs fainéants. Bien sûr, comme l’État a besoin d’argent (pour que certains continuent de s’enrichir, il faut éviter les troubles sociaux importants), on déléguera sur les régions et les villes le soin de prélever les revenus nécessaires à la bonne marche du pays. Ainsi, les impôts les plus justes sont diminués, et les taxes diverses les plus injustes (TVA, taxe d’habitation, etc.) sont maintenues ou augmentées. Heureusement pour ce genre de politique, les ignorants sont incapables de voir qu’on s’est moqué d’eux en promettant des baisses d’impôts et que seuls les plus fortunés en ont réellement profité.
À gauche, on n’ose plus parler de solidarité nationale, cela apparaît comme un gros mot. La force de l’argument de droite, « il faut baisser les impôts, il faut baisser les charges », ne trouve pas à gauche la réponse appropriée qui serait « les “charges” patronales sont des cotisations qui permettent la protection sociale, les impôts sont la condition unique du bon fonctionnement des services publics ». La gauche façon Parti socialiste n’a pas le courage de dire simplement : « Nous voulons faire une politique à la fois dynamique et sociale, stimulant le capitalisme, mais protégeant aussi les plus faibles, et pour cela, il faut que les Français paient des impôts ». Ça paraît évident, mais plus personne au PS ne tient ce genre de discours.
Je propose donc qu’on réhabilite l’impôt. Pour cela, quelques mesures sont fondamentales :
1) Un travail de pédagogie auprès des citoyens, y compris des plus jeunes. À l’école, on inclura dans les programmes d’histoire-géographie (en éducation civique) des textes sur l’utilité des impôts, sur le rôle des services publics, sur l’obligation de solidarité nationale. Dans les déclarations de revenus et sur les bulletins de salaire, on rappellera la fonction des prélèvements.
2) Un travail d’exemple : l’État montrera qu’il fait des efforts pour ne pas dépenser inutilement, pour ne pas gaspiller. La Cour des comptes devra avoir un rôle plus important.
3) Rendre crédible la justification de l’impôt en faisant en sorte que personne ne paie en impôts plus de 50 % de ses revenus.
4) Lutter contre la fraude. Nous avons encore vu dernièrement que la fraude sur les prélèvements obligatoires était estimée à 30 milliards d’euros. On mettra donc en place les moyens de lutter plus efficacement contre cette fraude qui coûte cher au pays. C’est la contrepartie de la mesure précédente. Nous pourrons alors expliquer : « Vous ne paierez pas plus de 50 % de vos revenus en impôts, mais nous vous contrôlerons plus facilement et plus souvent afin que vous ne puissiez pas frauder ». Donnant-donnant.
5) Réduire les possibilités légales d’échapper à l’impôt. Nous avons tous en souvenir un Bernard Tapie qui, bien que possédant de nombreuses entreprises florissantes, n’était pas imposable. Ce sera fini.
6) L’article 34 de la Constitution sera modifié. La phrase « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » deviendra : « Pour assurer la solidarité nationale et la cohésion sociale, les lois de finances... ».
7) Les Français gagnant l’essentiel de leurs revenus en France devront payer des impôts en France, sous peine de déchéance de la nationalité française.
8) Les Français soupçonnés de demander une autre nationalité pour des raisons fiscales seront également susceptibles d’être déchus de leur nationalité française.
9) On réfléchira aux moyens à mettre en œuvre pour réglementer l’impôt au niveau européen, afin de tendre vers une plus grande harmonisation et d’éviter que les citoyens d’un pays, vivant dans ce pays mais travaillant à l’étranger, ne paient plus d’impôts dans leur propre pays (ex : les Français vivant en France, mais travaillant au Luxembourg paient leurs impôts au Luxembourg, car le prélèvement se fait directement sur le salaire).
10) Le traditionnel « ministère de l’Économie et des Finances » deviendra le « ministère de la Solidarité nationale ».
Pour qu’un État ait les moyens de ses ambitions, il lui faut des ressources. De plus en plus, l’État s’est désengagé de certains domaines de compétence qui dépendaient de lui, en confiant la charge à des régions devenues de plus en plus riches et indépendantes. On s’accommode aussi aujourd’hui de voir le rôle essentiel joué par certaines associations (Restos du Cœur, Emmaüs, etc.) vis-à-vis des plus démunis. N’est-ce pourtant pas à la solidarité nationale d’être prépondérante par rapport à la charité ? Va-t-on laisser l’État confier toutes ses missions de service public aux associations caritatives ou religieuses ? Non, il faut redonner à l’État un vrai pouvoir d’intervention. Pour cela, il n’y a qu’une solution : réhabiliter l’impôt.