Immigration choisie : une vision néo-colonialiste du monde

par Henry Moreigne
vendredi 5 mai 2006

S’il est une qualité que l’on ne peut enlever à Nicolas Sarkozy, c’est bien de savoir porter dans le débat public des questions de fond. En revanche, là où ça se gâte, c’est dans la nature des réponses apportées. La précipitation peut-être, le manque de recul et d’analyse certainement. La gestion légale de l’immigration ne peut se limiter à un mauvais copier-coller de fragments de politiques menées par d’autres pays.

Assurément, le ministre de l’intérieur est dans l’air du temps, celui de la superficialité et d’une mobilité qui frise l’ubicuité. Une myopie exactement à l’inverse de la vista que l’on attend d’un homme d’Etat.

Penser immigration sans penser géopolitique et prospective pour les cinquante ans à venir est suicidaire. Au cours du dernier siècle le vieux continent s’est considérablement enrichi, notamment en procédant à un pillage en règle des ressources naturelles du reste de la planète. De ce pillage, que retire aujourd’hui, par exemple, le continent africain ? Quels subsides lui a-t-on laissés, hormis le rêve omniprésent de l’opulence européenne ?

Désormais, parce que le pillage des matières premières devient plus difficile, le néo-colonialisme revêt un visage inique. Celui d’une nouvelle traite. La marchandise ne sera plus choisie par rapport à la qualité de sa dentition ou de son ossature, mais par rapport à son intellect, à ses talents. Quelle régression de l’humanisme !

Certes, la France n’a pas pour vocation d’accueillir toute la misère du monde, mais eu gard à ses actions passées et à l’image qu’elle veut donner au monde, elle a, plus que toute autre, des devoirs.

L’immigration est toujours un drame. Nos campagnes en gardent le souvenir, lorsqu’à une échelle géographique moindre mais pour des raisons identiques, Auvergnats, Corses et Creusois, pour ne citer qu’eux, étaient contraints à l’exil par une terre ingrate. Eux aussi étaient des étrangers, méprisés et malmenés. Les Européens dans leur ensemble le savent bien, lorsque pousssés par la famine, ils migraient en masse vers les Etats-Unis. C’était hier. Les a-t-on pris en fonction de leurs compétences ou talents supposés ? Certes non, parce que tout individu est porteur d’un potentiel que l’on ne peut prédéterminer. Les indésirables d’un jour peuvent être les géniteurs d’un Nobel de demain. L’eugénisme qui transpire dans le projet de loi Sarkozy ne peut que susciter un véritable malaise.

Vouloir encadrer, contrôler les flux migratoires, même s’il s’agit plus d’effets d’annonce que de mesures effectives, est légitime. Il n’est de forteresse imprenable ni de frontières infranchissables. Sommes-nous contraints à vivre en assiégés, apeurés de voir débarquer l’étranger ? Evidemment, non.

La meilleure défense, c’est l’attaque. Il ne peut y avoir de politique de l’immigration viable si dans le même temps, les pays riches ne concourrent pas au développement des pays du Sud. La rengaine n’est pas nouvelle, elle n’a cependant jamais été mise en oeuvre. Trop longtemps la politique africaine de la France est demeurée chasse-gardée du président de la République. Souvent pour le pire, avec des soutiens à des régimes bananiers en échange de quelques diamants ou d’intérêts pétroliers.

L’honneur de la France serait de donner à ces Etats des filières éducatives performantes, et des économies en capacité de nourrir leurs populations, seuls gages d’une indépendance effective. Seul moyen aussi de permettre à ces populations de rester au pays.

L’immigration choisie est un leurre. La vérité économique et démographique est que nos vieilles sociétés déclinantes vont avoir un besoin croissant d’immigrants. C’est une chance formidable. Saisissons-la, sans peur, avec pragmatisme et humanisme.


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