Informe-moi si tu peux

par Jigmy
mercredi 14 juin 2006

Tout a changé avec la privatisation de TF1, on donne les résultats d’audience minute par minute, on peut suivre le comportement des gens, comprendre quel invité nuit à l’audience, quel sujet attire... La pression de l’audience a profondément modifié le journal télévisé, et la mission même du métier de journaliste. Etienne Mougeotte, de TF1, ne le cache pas : pour être les leaders, ils doivent être leaders sur l’info. Donc l’information est, nécessairement, plus que tout autre programme, asservie à la logique des chiffres, et donc à la logique des attentes du public.

Audience à tous prix

Un journaliste de France 2 témoigne : « Quand notre audience baisse, c’est le budget publicitaire et donc les moyens mis à disposition qui baissent ». La stratégie de communication est parfaitement maîtrisée.

On propose des sujets consensuels et non rébarbatifs (donc peu intellectuels) pour rassembler un large public et garder l’audience. On attire l’attention sur le futile, les faits divers, les sujets de proximité. Comme la météo, les soldes, le froid, le rhume, les impôts... Même les sujets sérieux sont abordés sur le plan de l’anecdotique. Les enquêtes, les sujets traités en profondeur se font de plus en plus rares.

Et les sujets jugés rébarbatifs, comme les organisations européennes, l’international, l’économie, sont laissés de côté. Les correspondants étrangers à TF1 se font de plus en plus rares. Et TF1 n’ayant plus de chef de service international, la première chaîne française ne compte plus de journaliste spécifiquement chargé de traiter de l’information internationale.

Pourtant, il suffirait d’écouter la solennité du jingle musical du journal de TFI pour se convaincre que nous avons là la crème en matière d’information télévisuelle ! Oui, parfaitement, la crème, « l’écume du monde », l’écume des choses.

Madame Chabot, directrice de l’information sur France 2, répondrait : « Les téléspectateurs ont des vies difficiles, il ne faut pas leur donner de choses rébarbatives . » Alors, nous lui répondrions : Chère madame, informer, est-ce divertir ?

Le seigneur de l’info

Et restons dans l’air du temps, la palme revient au journal de 13 heures qui ne s’attaque qu’aux sujets fédérateurs, aux anecdotes, usant de procédés dépolitisants, saupoudrés de simulacres de joie de vivre ; de simulacres d’esprit critique ; de simulacres de contre-pouvoir ; simulacres d’enquêtes sérieuses ; simulacres de compréhension des petites gens ; simulacres d’humanisme ; de simulacres de nostalgie ; et de simulacres d’altruisme. L’information pertinente est noyée sous un amoncellement de reportages secondaires ou anecdotiques et de sujets de proximité. Si information pertinente, il y a...

Nous avons regardé, crayon et chronomètre en main, le journal de 13 heures de TFI, durant trois semaines. Même si nous ne portions pas ce journal dans notre cœur, nous n’avions pas saisi l’ampleur de sa particularité.

Entre le 29 mai au 2 juin : on ne traite du séisme en Indonésie que deux minutes dans la semaine, alors que l’on traite : quinze minutes trente de Johnny Hallyday et de sa tournée flash-back, trente-cinq minutes d’actualités moins agréables mais tout aussi prosaïques et quotidiennes, comme : la « pagaille » à cause du lundi de Pentecôte, le retour du rhume. (Ou encore : la pénurie de médecins en Normandie, la perte de points sur le permis, un appartement squatté dans un village, les impôts, les contrefaçons, les assurances, le chômage des quinquagénaires, le risque des opérations chirurgicales pour les fumeurs, un appartement détérioré par un locataire en fuite, la baisse des achats à cause du froid.)

On peut recenser 53 sujets agréables comme le jardinage, les marchés bio, la neige en Corse, la Fête des mères, des chevaux en Aubrac, les deux-chevaux, des retraités visitant un centre aéré, la baisse de la pollution du littoral corse, la Féria de Nîmes, la Fête des mères, la fête des voisins, un agréable facteur dans un village déserté, la chanson Sur le pont d’Avignon. En moyenne, chaque édition comporte 10 reportages agréables, surtout les dix derniers.

Lundi dernier, jour de la Pentecôte, l’information sérieuse s’est résumée à de longues plaintes sur la « pagaille » dans les transports. Et en cette période de Coupe du monde, l’information s’est résumée à traiter de la blessure de Jibril Cissé, de l’accueil des Bleus en Allemagne... Le 13 juin, 20 minutes ont été consacrées uniquement à la Coupe du monde et aux supporters. Alors que le raid israélien sur la bande de Gaza qui a causé la mort de 9 personnes, et l’attentat en Irak qui a tué 18 personnes ne couvraient à eux deux que 40 secondes du journal !

Fabrice Decat, rédacteur en chef du 13 h, explique qu’il aime proposer une « information positive et chaleureuse, offrant une sorte de respiration après une série de sujets plus graves. Souvent les gens me disent que cela leur fait du bien... Nous cherchons surtout de belles histoires à raconter, tout en diversifiant les destinations . » L’ennui, c’est que les sujets graves, comme il le dit, sont de moins en moins traités.

Les tactiques de pêche à l’audience de Pernault ayant fait mouche, PPDA et Pujadas s’empressent de se refiler la canne, euh... le tuyau. A ce rythme, d’ici quelques années, on regardera tous les guignols de l’info ! Ô Audience, nom sublime et grand !

Sources :
D. Schneidermann, « Le crime parfait, mort de l’international », Le Monde télévision, 8 juin 2002.
Y. Rebours, « CPE  : la tambouille de jean Pierre Pernaut sur TF1 », 30 mars 2006, M. Endelweld, «  Plongée à l’intérieur des journaux télévisés », Le Monde diplomatique, décembre 2005.
M. Endelweld, «  Toujours plus court », Le Monde diplomatique, décembre 2005.
M. Endelweld, « Une bonne histoire de télévision », Le Monde diplomatique, décembre 2005.


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