Iran, épouvantail de service, et fier de l’être*
par Mathias Delfe
mardi 28 novembre 2006
Parti de loin, de 1979 avec le retour triomphal de l’ayatollah Khomeiny, dans une interminable guerre (1) d’un autre âge, avec un Irak qui faisait alors figure d’allié aussi bien des occidentaux que des Soviétiques, l’Iran incarne aujourd’hui mondialement au niveau politique ce que la grippe aviaire représente au niveau sanitaire : un épouvantail.
Un épouvantail, c’est-à-dire un artefact plus ou moins grossier ou rustique destiné à effrayer les masses naturellement supposées stupides qui confondent aspect menaçant et réalité de la menace.
Certes, l’Iran d’Ahmadinejad - qui, pour l’Ouest, est ce genre de type forcément douteux qui ne porte pas de cravate avec son costume - partage avec la Corée du Nord de Kim Jong-il l’envié statut de méchant institutionnel qui resserre derrière ses dirigeants les citoyens pacifiques et prospères de la géographie libérale, mais Téhéran conserve malgré tout une posture de star internationale dans une pièce où Pyongyang (2) ne fait que de la figuration régionale.
En effet, quoique les gouvernements des principales puissances de la planète s’y emploient opiniâtrement, l’ultime vraie dictature stalinienne ne parvient pas réellement à paniquer ni les bourses ni les foules, sans doute parce que l’on sait le régime depuis longtemps exsangue, ses missiles tout justes capables de terrifier quelques poissons japonais et des surfeurs californiens enclins à gober tous les bobards, enfin et surtout parce que nul n’ignore que ce petit pays misérable et médiocrement peuplé n’est rien d’autre qu’un pion de la Chine dans le jeu de go mondial des influences politico-militaires, pion que Pékin broierait quasi instantanément si nécessité s’en faisait sentir (3).
Au contraire,
l’Iran est un électron libre qui ne réfère qu’à lui-même avec une suffisance
arrogante qui prêterait d’ailleurs à sourire si les risques encourus par les
peuples de la région -à commencer par le peuple iranien- n’étaient pas si
graves.
Le nain, en termes
économiques et militaires, se prend pour un géant et n’ambitionne rien d’autre
que de jouer, dans l’éternelle guerre froide ou tiède que se livrent les grandes
nations du monde, le rôle naguère imparti à l’URSS.
C’est pour une part vrai, dans la mesure où la République islamique d’Iran, verbalement intraitable avec l’Occident en général, a repris à son compte l’emploi que tint longtemps l’Irak de Saddam Hussein, qui était de proposer au monde musulman le mirage d’un Etat suffisamment sûr de sa force pour contrebalancer l’humiliante puissance israélienne, résister à l’hégémonie américaine et même être apte à défaire l’une et l’autre.
Illusion, comme on le sait, et il semble très probable que l’invincibilité de l’armée iranienne soit de la même médiocre facture que celle de son homologue irakienne.
C’est aussi pour une autre part (de loin la plus large) faux, puisqu’à l’évidence la fusion entre l’islam sunnite et l’islam chiite ne semble pas d’actualité, ainsi qu’en témoignent, toujours en Irak, les violences intercommunautaires, à quoi s’ajoute le caractère très minoritaire du chiisme dans la constellation musulmane. Le phare des non-alignés ?
Là, il y a de la concurrence, depuis les dictateurs fourbus Castro et Khadafi jusqu’à un Luiz Inacio « Lula » da Silva qui n’en demande pas tant, en passant par l’omniprésent colonel Chavez, qui se verrait très bien dans un rôle plus taillé à sa mesure baroque que dans celui du falot président iranien et qui, de toute façon, pour moult raisons politiques, culturelles et religieuses, ne s’entendra pas bien longtemps avec un pisse-froid frustré du style de Mahmoud Ahmadinejad ou de ses ayatollahs de mentors. Alors ? L’Iran, véritable bombe menaçant le monde libre et démocratique, ou épouvantail commode à fédérer derrière la bannière étoilée (6) ? *L’épouvantail, hégélien jusqu’à l’absurde dans son besoin de reconnaissance, accepte souvent d’accomplir son destin jusqu’à se perdre soi-même ; parfois, la prise de conscience du caractère inéluctable de la distribution des rôles lui fait interrompre le jeu avant la fin pour préserver l’acquis ; ainsi Khadafi a-t-il renoncé à être autre chose qu’un tyran de troisième zone, tout juste capable de terroriser une poignée de malheureuses infirmières bulgares.
(1) Guerre de position et de tranchées
de1980 à 1988 qui fit plus ou moins un million de victimes.
(2) Depuis la rédaction de cet article, le récent essai nucléaire auquel s’est livré le régime avec une "bombinette" n’infirme en rien ni le statut ni la stature du bad boy Kim Jong-il.
(3) Vous croyez que l’arme atomique fait peur aux dirigeants d’un pays de 1300
millions d’habitants ? Les maîtres des lieux ont déjà montré dans le passé
qu’ils n’étaient pas à quelques dizaines de millions de morts près afin de
parvenir à leurs fins.
(4) Comme si le prix à payer pour la Shoah
était que rien de ce qui concerne les juifs ne pouvait demeurer étranger au reste
du monde (ce qui se défend d’un point de vue éthique, mais éthique et politique
font rarement bon ménage,et Israël n’est pas le dernier à l’illustrer).
(5) Des groupes terroristes n’ont pas non plus
besoin de ce pays pour les équiper ou pour se procurer de quoi fabriquer des
« bombes sales » : le Pakistan et la Corée du Nord sont déjà des
puissances nucléaires, sans compter les possibilités toujours surprenantes
des mafias de la Russie et de ses ex-satellites.
(6) Y compris l’étoile de David.