Johnny en holiday ou Halliday en cavale ?

par Madrugada
lundi 19 février 2007

L’exil fiscal de Johnny est en soi un détail anodin, mais le sujet cristallise plusieurs débats de société importants : au-delà de la répartition de la pression fiscale, on parle notamment d’harmonisation de l’espace européen et des paradis fiscaux, d’instrumentalisation politique et de manipulation médiatique. Or le citoyen possède l’arme absolue : couper les vivres à ceux qui, comme notre rock-star, veulent échapper à leurs devoirs et n’adhèrent plus au pacte social national en ne conservant que les avantages qu’ils tirent personnellement d’une société « libre » qui les a par ailleurs bien gâtés.

Beaucoup d’entre nous aiment bien Johnny, à qui j’accorde volontiers un talent, cependant pas au point d’en parler, car le sujet reste tout de même très mince. Mais puisqu’il est le prétexte pour aborder un certain nombre d’importants débats de société, parlons-en néanmoins.

Johnny veut s’expatrier et gagner son paradis fiscal ? Nous sommes plutôt contre cette démarche (pour des raisons explicitées ci-après) ? Nous, citoyens, détenons l’arme absolue pour nous défendre : le boycott des concerts de l’artiste, de ses enregistrements et de tout ce qui lui rapporte des droits, des marques dont il assure la promotion (lunettes et probablement bien d’autres). Ainsi ses revenus seront asséchés, et le problème de l’impôt à acquitter ne se posera plus, faute d’assiette (jusqu’alors une des mieux garnies du microcosme). Johnny perdrait ainsi largement plus qu’il n’économiserait dans sa fuite honteuse. Et nous aurons fait jouer à plein les mécanismes du marché, invoqués par les jésuites et les ânes de tous bords pour justifier ce qui n’est que la cupidité, voire la lâcheté, de notre vedette nationale. Le problème est qu’il faudrait que nous soyons des millions à appuyer en même temps sur le bouton de notre arme magique... Or, malheureusement, la conscience collective n’est pas à la veille d’éclore dans notre société où les valeurs de l’individualisme sont seules mises à l’honneur, subrepticement mais si efficacement.

Pourquoi sommes-nous plutôt opposés à cette démarche de gagne-petit de la star du yéyé ? Pour quatre raisons principales :

- lorsque le grand public, directement ou indirectement, volontairement ou à l’insu de son plein gré, paye et assure les revenus de l’idole, il acquitte en même temps un impôt que la star ne fait que collecter et reverser dans les caisses de l’Etat. Le manque à gagner de l’opération "exil fiscal" devra donc être compensé par ce même grand public, qui ainsi se sera tiré une balle dans le pied ; il n’aura fait que creuser un peu plus le déficit de nos finances publiques qui lui fait par ailleurs pousser des cris d’orfraies.

- lorsque S-le-ventilo se félicite presque ouvertement de la démarche de son supporter, ou à tout le moins l’accepte implicitement, encore une fois il nous manipule et pratique l’amalgame : il entretient la peur et justifie les futurs tours de vis sociaux en brandissant le spectre de la fuite des cerveaux (dans le cas qui nous occupe, tout reste à prouver...), en tout cas de la fuite des gros contribuables. Johnny représente certes une activité économique, mais de là à l’assimiler à un entrepreneur dont les performances sont vitales pour la nation...

- lorsque notre rocker décide de prendre son volumineux baluchon, avec l’objectif final de s’installer sur les terres sauvages de Monaco, il souhaite échapper à la corvée de verser son écot dans les caisses de l’Etat français, mais il reste prudemment à portée : à portée des gogos de son public idolâtre, à portée également de quelques sécurités apportées par ce même Etat. Prenons un exemple simple : il continuera à bénéficier de notre défense nationale, de nos chers porte-marins et sous-avions, présents et à venir, et ceci sans bourse délier. Mais n’allons pas trop loin en abordant les problèmes de l’armement et des paradis fiscaux, si juteux pour quelques bienheureux privilégiés.

- lorsque notre lièvre-chanteur entame sa fuite en zig-zag (premier virage en Suisse, second virage en Belgique !) afin d’échapper aux fusils de Bercy, il contribue, à son modeste niveau, à miner un peu plus encore notre Europe déjà bien malade. Comment espère-t-on que les citoyens puissent adhèrer à la marche vers l’unité d’un ensemble par ailleurs si incohérent et offrant toutes les échappatoires, parfois à la limite de la fraude, au plus nantis ? L’harmonisation fiscale est de toute évidence un symbole et une mesure dont nous ne ferons pas l’économie si nous voulons faire avancer l’Europe. D’ailleurs, il est inutile de chercher autre part que dans l’accumulation des petites ignominies la raison du non français au projet de traité constitutionnel.

Alors, laissons fuir Johnny où ça lui chante, oublions-le si besoin est, et coupons-lui les vivres. Soyons néanmoins magnanimes et laissons-lui transmettre, en exonération de droits, ses biens à l’étranger à ses enfants, à qui nous n’avons après tout aucune raison de faire plus de torts qu’à ceux du Darfour ou de nos banlieues défavorisées.


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