L’EHESS saccagée !
par samuel-frédéric servière
vendredi 24 mars 2006
Alors que les étudiants anti-CPE réclament des lieux de réunion, l’EHESS, qui leur ouvre ses portes, est sauvagement saccagée. Ces dérives portent un coup sévère à la légitimité de la contestation, et posent la question des règles entourant le mode de protestation estudiantin.
Plutôt que de célébrer cette anonyme Journée de la Francophonie, en ce lundi 20 mars, la direction de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, école réservée aux chercheurs, aux étudiants de troisième cycle et de doctorat) avait décidé de laisser ses portes ouvertes pour permettre l’organisation d’une assemblée générale. Celle-ci devait déterminer du blocage ou non de l’institution. Dans le contexte actuel de fermeture partielle ou totale d’universités, ce geste d’ouverture est d’autant plus louable que les jeunes manifestants se plaignent justement de n’avoir pas assez de lieux de réunion.
Cependant, tous les étudiants n’appartenaient pas à l’école qui a vu passer Fernand Braudel en ses murs. Des éléments Autonomes (anarchistes) s’étant infiltrés parmi les étudiants de l’établissement sont parvenus à devenir majoritaires lors de l’assemblée générale, et le bouclage des lieux fut approuvé.
Pendant trois jours consécutifs, l’EHESS, sise boulevard Raspail dans le centre de Paris, sera la proie d’un incroyable pillage et d’une dégradation systématique du matériel d’enseignement. Un quartier général est établi au quatrième étage pour diriger les opérations de saccage. Les locaux sont allégrement recouverts de tags, et le mobilier, brisé. Les Autonomes élisent domicile dans le bâtiment : repas sur place, allumage de feux avec les meubles dans la cour, bouchage avec des plaques de bois des ouvertures de l’entresol. Surtout, ils détruisent le matériel informatique, outil de travail et d’archivage, d’une précieuse valeur.
C’est en vain que, deux jours durant, la directrice de l’établissement, Madame Danièle Hervieu-Léger, demande l’intervention de la police... sans résultat apparent. Les 200 anarchistes tiennent la place, et de guerre lasse, contraignent la direction à employer une société de sécurité privée, afin d’assurer l’évacuation de son personnel. L’état des locaux est tel qu’un chargé de recherches évoque une possible réouverture de l’établissement à ses élèves pour la mi-mai, ce qui signifie la fin d’année universitaire 2006 !
Au regard de ce gâchis matériel, universitaire et financier, il convient d’apprécier comme il se doit l’ampleur des débordements et l’inactivité des pouvoirs publics, qui sont patentes.
Revenons cependant à la source de la mobilisation. Le cœur d’un mouvement protestataire étudiant se situe dans l’assemblée générale, où l’élève va pouvoir s’exprimer. Sauf qu’il existe un véritable problème démocratique dans ces assemblées [cf. l’article d’Adrien L. ], qui est à la source de débordements et dérives. Il n’y a aucune règle identifiable et claire de participation. N’importe qui peut y siéger, étudiant ou pas, y compris les personnes extérieures à l’université. Y a-t-il des procédures de vote ? L’on pourrait s’attendre à des votes à bulletins secrets, ce qui suppose un recensement des électeurs, donc un quorum, permettant de définir le seuil d’une majorité (simple, absolue, qualifiée). Ces principes, pourtant acquis et appliqués aussi bien lors d’élections générales que pour les anecdotiques élections de délégués de classe à l’école primaire, sont ignorés lors d’assemblée générale. Pis, le vote est à main levée, et surtout contradictoire, ainsi se prononcent d’abord les opposants, puis les abstentionnistes, le solde étant considéré comme favorable à la mesure soumise au vote. La définition et la mise en place de règles démocratiques permettrait d’écarter les éléments allogènes, ne serait-ce qu’en raison du recensement et du quorum. Le premier avantage est de préserver un mouvement estudiantin pur et légitime, face aux récupérations et infiltrations qui nuisent à sa crédibilité. Instituer ensuite une assemblée générale par UFR changerait le rapport à la grève et serait en adéquation avec la participation aux élections universitaires marquées d’ailleurs par un affligeant taux de participation (5 % au Crous, 14 % au CA, 6 % au Cevu, cf. rapport du CIDEM).
Mais aujourd’hui, du fait de l’absence de règle démocratique lors des assemblées générales, et de leur infiltration par des éléments anarchistes- à l’instar de celle qui a eu lieu à l’EHESS-, la violence gagne le mouvement anti-CPE bien que la plupart de manifestants soient pacifiques. Le détournement par la violence est désormais bien présent, et des éléments radicaux s’attaquent aux centres d’enseignements eux-mêmes et à leur figure emblématique en particulier.
La Sorbonne a été prise : tout un symbole. Après elle, les institutions privées d’enseignement ? Science po, voisine de l’EHESS, n’a qu’à bien se tenir. Car la volonté de frapper de façon emblématique est forte : l’EHESS a été investie, alors que l’Alliance française adjacente a été épargnée. Faut-il y voir une action préméditée ? En tous cas, les cibles sont médiatiquement profitables.