L’identité nationale est dans ses petits papiers
par Charles-Pierre Halary
vendredi 6 avril 2007
Si la gauche veut rester elle-même, elle doit ouvrir les yeux à la droite. La gauche d’hier, c’est la droite d’aujourd’hui. Avant-hier elle était contre le drapeau tricolore et pour celui du roi. Hier, pour la peine de mort. Et elle n’accepte qu’à regrets le drapeau étoilé de l’Union européenne et celui de l’ONU. Royal en cherchant à revenir sur la gauche d’antan rencontre la droite dure. L’identité nationale est dans ses petits papiers.
La confusion des esprits renforce le pouvoir des sondages sociologiques. Premiers affectés : les redresseurs de statistiques de sondage effectués sur un échantillon fragile de 1 000 personnes qui représentent la France, soit 1/44 000 du corps électoral traité par vingt à trente enquêteurs dans une salle de "télémarketing". Entre une enquête sur une offre SFR et un paquet de lessive, ce travail de représentation de notre opinion nationale est de plus en plus contesté à juste titre. Ceux qui connaissent les modes de gestion de l’arme atomique sont à juste titre terrifiés par la chaîne de commandement possible de l’extinction de notre espèce. Par contraste, on peut se douter du laxisme absolu qui régne dans le cadre des méthodes sociologiques de sondages. Il faut un intellectuel sérieux comme le très intelligent directeur d’IPSOS, Giacometti, pour garder à ces acrobaties un certain sérieux. Il est bien seul. Un artiste, quoi. Les autres sont surtout concernés par la facturation de ces produits de boule de cristal.
La dérive vers le drapeau est liée aux sondages qui font monter Le Pen, en pondération, dans les résultats publiés. Il est maintenant certain que le vieil homme du Front National constate la reprise de ses idées par tout l’éventail politique français. Il doit être à la fois content et déçu de cette reconnaissance tardive. Surtout déçu par un pays qui ne sait pas le surpendre, lui le doyen de la présidentielle avec Laguillier dont le radotage fonctionnarisé équilibre sa verve boulevardière sur les petits écrans.
Autrefois, une fois sorti de la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme autoritaire populaire était le fait des staliniens qui sortaient les drapeaux tricolores quand il le fallait pour cacher leur subordination au Kremlin. Aujourd’hui, la gauche n’a plus ces structures autoritaires dans ses sous-bassements. Le PS ne parlait pas de la dictature stalinienne. Le PCF arrivait donc à faire voter pour le "social-traître" au deuxième tour, voire au premier. Mitterrand en avait bénéficié. Il faut constater que c’est fini. Il n’a plus de base à rallier. Mais le PS persiste à avoir ce discours jésuite qui affirme à sa gauche des choses que jamais ses dirigeants ne pensent réellement comme par exemple Guy Mollet chantant l’Internationale en envoyant les jeunes conscrits en Algérie avec l’appui du PCF. La direction du PS, avec Fabius comme caricature, cherche un peuple à exciter pour ensuite le calmer et justifier une prise de pouvoir pacificatrice. Nous sommes ici dans le domaine de la psychose.
L’appareil du PS est encore formé ou plutôt déformé à cette rengaine imaginée par Miterrand. Et si ses dirigeants soufflent le chaud sur Bayrou en privé, sa base est sur les marchés avec les militants de la gauche de la gauche qui se moquent de leurs contorsions. On peut dire que le 1er avril a paralysé tout le monde dans la cage aux éléphants. Le sommet est persuadé qu’il y a une base révolutionnaire qui a remplacé le PCF. Il a tort. La France rurale qui avait construit un PCF urbain n’existe plus. Et il ne peut pas avoir de descendance.
Sur le drapeau, Le Pen doit s’amuser de Royal et ses allusions droitières. Par exmple, le PS fonde sa promotion en expliquant que "la gauche, c’est royal". On se croirait dans le populisme de la Nouvelle Action française si chère à Mitterrand, celui des beaux quartiers qui vont guincher le samedi à la Bastille.
Tout cela est la conséquence des sondages. La simplification des débats politiques qui a des côtés pragmatiques dans les pays de bipartisme parlementaire a des effets destructifs sur la rationalité hexagonale. Aujourd’hui, aucun dirigeant politique, par conservatisme professionnel (c’est la catégorie la plus ringarde de la société française), ne peut parler de ce qui se passe. Parce que la première victime serait cette catégorie elle-même. Dès que la réalité française apparaît, on parle de "populisme". Car les médias suivent les politiques et se détachent du réel, donc du peuple. Bourdieu l’avait bien montré tout en tirant des conclusions discutables. La société devient pour les journalistes TV et les politiques un spectacle mutuellement rentable. Debord et Baudrillard nous regardent sur leur nuage.
La gauche en revenant en arrière ne comprend pas son rôle. Mauvais casting. Elle doit toujours aller de l’avant. La droite d’aujourd’hui défend les idées de la gauche d’hier. Si la gauche se met en marche arrière comme vient de le faire Royal avec Jeanne d’Arc et la Marseillaise, elle a raison historiquement mais tort politiquement. Les écologistes ont fait du passé table rase et leur message est devenu le seul qui est politiquement crédible. Mais sans force politique, comme Al Gore.
Quand Montebourg disait que Hollande était Le problème de Royal, il avait raison. En effet, la Hollande est le premier État républicain à avoir arboré nos couleurs tricolores nationales. Mais sur le monde horizontal. Couché ou debout, il faudra choisir le symbole. Pour le moment la gauche s’est couchée en panne d’idées devant l’angoisse des Français. Le futur n’est probablement pas rose mais il ne faudrait pas non plus qu’il nous fasse bleuir de peur. L’écologie ne fait pas recette car elle n’est plus conflictuelle. La droite a repris ces idéaux nés initialement à la gauche comme mouvement social. Tout le monde est Vert. Car auparavant l’écologie, comme science de la nature, était clairement à droite à sa naissance en Allemagne à la fin du XIXe siècle.
Pour le moment, à Paris et dans sa région, il semble qu’une majorité de Blancs demande à une majorité de gens de couleur leurs papiers d’identité... nationale. Ce sont de vraies questions et les réponses sont souvent fausses. Pour le moment Royal semble pâlir malgré le rouge de confusion qui colore ses joues.
Dans cette période, les sondeurs deviennent fous comme dans la mer des Sargasses.
L’identité nationale est dans ses petits papiers.
Ségolène Royal doit être très fatiguée par cette campagne démente. Elle doit être fatiguée pour affirmer que tout dépend d’elle alors que les forces de l’histoire sont incontrôlables. Et que le libéralisme individualiste est censé être son ennemi. Lui reste-t-il encore un peu d’énergie pour vouloir ce pouvoir illusoire de nomination qu’est celui de la présidence ? Ce n’est plus sûr.
Vouloir le pouvoir consiste à exacerber autant qu’à apaiser. Mais l’un vient avant l’autre. Cette compétion endogame devient de plus en plus sujet à psychanalyse. L’attitude des jeunes qui se voient invités à acheter un drapeau tricolore pour donner du travail aux couturières du Poitou sera lourde de conséquences. J’en vois qui déjà songent à un long déjeuner campagnard pour fuir ces turpitudes morales du 22 avril. Aujourd’hui, nous avons une droite conservatrice plus mobilisée que la gauche. C’est un très mauvais signe pour notre pays car son avenir n’y est dessiné nulle part dans cette droite qui pense toujours qu’il est encore possible de revenir en arrière. Il est temps de voir une pensée de gauche s’affirmer avec le drapeau européen, l’écologie et l’ONU. Une foule de jeunes en sont convaincus et pratiquent ces valeurs. Comment se fait-il que le seul pays d’Europe, la France, dont la population manifeste sa croissance par une forte démographie dispose de dirigeants qui se contentent de faire des cocottes en papier avec des programmes marqués au sceau des valeurs conservatrices ? À ce jeu, Sarkozy mène le bal des jeunes conservateurs qui semblent les plus aptes à produire des ruptures. Avec lui, l’identité nationale sera dans les menus comme plat obligatoire. Car Ségolène Royal n’a trouvé ignoble que la cuisine qui la liait à l’immigration. Quand on sait que notre pays n’est pas, dans les faits, plus "envahi" que l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Italie, on peut juste espérer que nos oriflammes nationaux déployés ne vont pas donner des idées semblables aux Allemands.