L’injustice
par batbat
lundi 5 juin 2006
Source de toutes les frustrations, le pire des maux.
L’injustice est un sentiment par essence subjectif. Les causes en sont par conséquent multiples, réelles ou putatives. Et l’expression de ce sentiment peut être démonstrative ou tacite.
Nous pourrions en rester là. Si seulement.
Malheureusement, ce sentiment est partagé, malgré la diversité de ses causes, par une part croissante de la population. Et, a fortiori, la diversité de ses expressions augmente en nombre et en intensité.
Nous en revenons au grand thème, plus que récurrent - presque répétitif - des causes et des conséquences, non d’un fait, mais d’un sentiment aussi salvateur que dangereux.
La notion de sentiment partagé d’une même injustice joue un rôle primordial dans l’intensité potentielle de son expression en raison de sa traduction première, la frustration. Mais aussi du fait que, quelle que soit l’origine de l’injustice, le sentiment partagé conduit à la légitimation de son expression.
D’autre part, si l’expression est issue d’une même cause, elle peut précéder, accompagner et/ou suivre la conséquence. C’est-à-dire que si l’expression démonstrative précède, accompagne ou suit la conséquence, l’expression tacite, quant à elle, précède toujours la démonstration.
Par ailleurs, l’enchaînement cause-expression-conséquence peut prendre la forme d’une spirale soit linéaire, soit arborescente, avec déplacement de l’objet de la cause. De là découle la complexité de la résolution de la cause afin d’atténuer l’expression et ce qui peut en être ses effets.
Il est bien sûr illusoire de croire en une extinction totale du sentiment d’injustice, expression et cause, puisqu’il est, comme nous l’avons dit, subjectif par essence. Il y a donc impossibilité naturelle d’y mettre fin, mais possibilité d’atténuation.
Par là, et au-delà de la source, « objet » de l’injustice, nous pouvons apercevoir le rôle des acteurs du partage que sont les voies de communication - médias et transports, ainsi que le rôle des hommes politiques, et plus généralement de la politique ; car finalement (théoriquement) la politique est pratiquée dans le but d’améliorer la vie des gens : c’est-à-dire de trouver, et de se donner les moyens pour y arriver, que ce soit collectivement ou individuellement.
Insistons sur la dangerosité de l’expression du sentiment d’injustice.
Pour commencer, prenons un exemple de cause. La mondialisation économique, largement diabolisée par la population française, est pourtant, en soi, une chance. Elle devrait permettre l’égalisation des économies entre Etats.
Oui, mais le « libéralisme », qui devrait avoir pour rôle de faciliter les échanges, est prôné en grand dogme universel, inébranlable, faute de mieux ; le communisme ayant par ailleurs montré son inadéquation.
Faisons maintenant un parallèle avec la notion de démocratie. Aussi difficile à définir que fragile, la démocratie a besoin de règles pour exister. La loi est faite pour cela. Si une démocratie n’impose plus de limite, elle se transforme en anarchie, système politique mort-né. De même, le libéralisme économique, sans loi, s’anarchise-t-il, et seule la loi du plus fort règne, la situation devient alors intenable.
Les victimes en sont les Etats les plus fragiles, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui devraient bénéficier de la mondialisation des échanges. Les Etats fragilisés, les populations qui les composent sont alors elles aussi touchées. D’où l’apparition d’inégalités de plus en plus grandes au sein d’un même Etat. Celles-ci deviennent à leur tour sources d’injustices et d’expressions de mécontentement, pouvant être « vertement » exprimées selon le ressenti partagé.
Certes, la mondialisation économique ne constitue pas à elle seule la source de ce sentiment, mais elle reste impliquée indirectement dans de nombreux cas. D’autant que l’interdépendance des Etats force ceux-ci à en faire partie.
D’ailleurs, le pendant de la mondialisation est incontestablement la montée, depuis quinze ou vingt ans, des nationalismes et des intégrismes religieux de toutes sortes.
Citons la montée des partis d’extrême droite des pays européens (Autriche, Pays-Bas, Belgique flamande, Danemark, Italie, France, pour ne citer qu’eux). Ou encore le nombre croissant de personnes qui se disent d’abord chrétiennes, juives, musulmanes ou hindoues avant d’appartenir à une nationalité.
Dans tous ces cas, il s’agit d’une sorte de mondialisation ou de régionalisation des nationalismes et fondamentalismes.
Citons l’exemple frappant de la Côte d’Ivoire.
Le « principe d’ivoirité » insinué au début des années 1990 est l’expression d’une montée du nationalisme, mêlé d’un racisme flagrant.
Pourquoi ? Parce que la Côte d’Ivoire, pays qui a connu l’expansion économique, a attiré une main d’œuvre dont elle avait besoin, venant des pays voisins très pauvres comme le Mali ou le Burkina-Faso. Or, quand la situation économique et financière s’est dégradée, aidée en cela par sa fragilité toute juvénile, les Ivoiriens « de souche » ont commencé à condamner les « étrangers » (Maliens, Burkinabés, Européens, notamment Français) perçus comme responsables de leurs maux.
Cette situation se retrouve dans de très nombreux pays, et de tout temps. Ce n’est qu’une répétition de l’histoire.
La France connaît actuellement la même chose, bien que la situation économique globale reste assez bonne.
Les inégalités s’accroissent dans la population, et des responsables sont subjectivement mais globalement désignés comme sources du mal. Le sentiment d’injustice se partage, et les populations d’origine géographique différente ou de classe sociale diverse s’opposent.