La diabolisation

par Pied léger
jeudi 12 avril 2007

La diabolisation : derrière ce mot, souvent utilisé par l’extrême droite pour dénoncer le traitement qu’elle subit, se cache un véritable système de pensée qui empêche toute pensée rationnelle.


L’antiraciste est obsédé par la race, comme le curé puritain est obsédé par le sexe. - Guillaume Faye

Ce matin, après mon jogging du dimanche matin Vaugirard-Tour Effeil-Quais de Seine-Convention, je suis arrivé sur la place de la Convention. Comme tous les dimanches matin depuis quelque temps, les socialistes organisaient un « débat participatif » (où les participants doivent poser les bonnes questions sous peine de se faire rabrouer). Dans le café, les militants de l’UMP distribuaient des tracts, ainsi que des petits gros aux tempes grisonnantes qui se révélaient être de la LCR.
Il y avait pas mal de monde (sur le marché à midi...) et je remontai l’avenue en me frayant un chemin avec mes coudes, pour aller au café où je vais souvent après le jogging. Sur le passage piéton, les petits vieux discutaient entre eux. L’un d’eux, sans me regarder, me tendit un tract que je pris. C’était un tract de la LCR.

« Contre les violences faites aux femmes : une loi-cadre ! », disait le titre.
Une fois au bar, je me penchai dessus.
Quelques extraits mémorables :

« Une femme tuée par son conjoint tous les quatre jours, une femme sur dix victime de violences conjugales, 50 000 viols par an, 11% des femmes victimes d’agressions sexuelles au cours de leur vie, dans tous les milieux sociaux... Ca ne peut plus durer ! [...] Nous ne laisserons ni Nicolas Sarkozy, ni Ségolène Royal instrumentaliser la question des violences sexistes pour y apporter des réponses sécuritaires. [...] Il n’y a pas d’égalité possible tant que les femmes sont harcelées, insultées, violées, battues ou menacées de l’être.  »

On remarquera d’abord le sujet précis et ciblé. Ce tract ne s’adresse pas à tous les Français, ni à des difficultés que tous rencontrent, mais à des cas particuliers minoritaires.
Le tract dit aussi que « les femmes sont harcelées, insultées... », au lieu de parler d’une fraction d’entre elles. Les statistiques fournies au début montraient en quoi seulement une partie des femmes étaient victimes de violences ; plus tard, elles sont contredites par l’affirmation « les femmes sont harcelées, insultées, violées »... Comme s’il arrivait à toutes les femmes d’être victimes de violences, et que toutes subissaient le même traitement terrible. Il généralise hâtivement une affirmation qui ne concerne qu’une partie de la gent féminine. On remarquera le « forcing » de l’argumentation du tract. Il aurait pu dire « des femmes », mais a préféré dire « les femmes ». C’est révélateur.
Le tract affirme que toutes les femmes sont victimes de violences conjugales, par son expression portant dessus. Il contredit les statistiques qu’il a amenées au début. Et en plus, ceux qui l’ont écrit ne s’en sont probablement pas aperçu, alors que cela saute aux yeux.
Sans oublier l’assimilation de Sarkozy à Royal. Le tract dit que les deux vont apporter « des réponses sécuritaires », sans les dissocier en aucune façon. Il y a un amalgame entre les deux.
Un peu plus loin, j’ai vu un tract rouge et noir collé sur un poteau, qui disait :

« Le Pen, Sarkozy, Royal, bouffons du capital ! Combat - une alternative communiste et antilibérale »

Là aussi, amalgame entre les trois candidats, pourtant issus de partis politiques très différents.
Malheureusement, j’ai remarqué cette tendance à l’amalgame dans beaucoup de camps différents.
Les communistes font un amalgame entre les trois candidats, tout en les diabolisant. Dans leurs argumentaires, le mot « sécuritaire » est presque injurieux, comme le mot « racisme » chez les militants de SOS Racisme. Ils le plaquent sur leurs adversaires et les diabolisent à partir de cette opinion - qui est d’ailleurs très simpliste. En assimilant leurs différents adversaires à une même chose, désignée comme ennemie et diabolisée, ils les imaginent ensemble et en tirent des conclusions simplistes. De plus, cela leur fournit un prétexte parfait pour les détester.
Que signifie "diaboliser" ? Selon Wikipédia, c’est "le procédé consistant à donner une forte connotation négative à une idée, un groupe ou un individu, de sorte que sa seule évocation suscite une réaction de rejet."
Lorsqu’on diabolise quelque chose, on arrête toute argumentation rationnelle sur la chose diabolisée. On la considère comme l’incarnation du mal et on s’appuie sur sa haine de la chose diabolisée pour penser. Bien évidemment, un tel point de vue obscurcit tout jugement et pousse vers des conclusions fausses.
En diabolisant quelqu’un ou quelque chose, on ne pense plus à son sujet ; on le hait. On voit tout à travers les verres teintés des commissaires politiques ou des curés puritains. On ne peut même plus peser le pour et le contre ou essayer de trouver les caractéristiques de la chose en question : on la voit comme étant horrible et inhumaine, et on s’arrête là. On ne verra plus ce qui est bon à prendre en elle, mais seulement ce qui est mauvais. Et même si on voit le bon, on trouvera un argument, logique ou fallacieux, pour le considérer comme mauvais, incorrect...
La diabolisation réduit toute pensée. En détestant quelque chose à ce point, on est manipulable à merci par quelqu’un d’autre qui se dit contre cette chose.
Avec la diabolisation, il n’y a plus de pensée rationnelle ; il n’y a que de la passion négative. On peut lier la passion et la raison, j’en parlerai plus tard, mais ici la passion se fait passer pour la raison et empiète sur celle-ci.
Les communistes ne sont pas les seuls concernés. Beaucoup de sympathisants de gauche pro-PS diabolisent Sarkozy en l’assimilant à Le Pen, « la bête immonde ». Ils n’ont aucun argument valable contre lui, et ne prennent pas la peine d’en chercher. Pour eux, il n’y a pas besoin d’argumenter contre Le Pen, parce que c’est un méchant et qu’en disant ça on a tout dit. Par extension, toutes les thèses de Le Pen ne sont pas belles (diabolisées, donc récusées sans argument) et celles de Sarkozy aussi.
La logique n’a plus aucun poids sur ceux qui se laissent entraîner à la diabolisation.
Je suis étudiant en philosophie à Paris IV. Au premier semestre, un maître de conférences nous a donné un cours sur le libéralisme. Il en a parlé en long, en large et en travers. Comment le libéralisme était apparu suite à la réflexion de quelques auteurs anglais, sur la monarchie constitutionnelle, avant de s’étendre à d’autres pays, d’autres auteurs... Le libéralisme a combattu contre l’absolutisme, l’esclavage, la noblesse des castes, et même contre le totalitarisme moderne - qui s’est d’ailleurs développé en réaction à lui. Aujourd’hui, il est souvent confondu avec le néolibéralisme, c’est-à-dire la mondialisation débridée et la toute-puissance de l’économie face au politique. Mais nous savons ce qu’est le libéralisme par rapport au néolibéralisme. Et pourtant, quand je discute avec certains étudiants qui votent UNEF-ID, et qui ont suivi ce cours sur le libéralisme, ils se disent toujours antilibéraux.
Pourquoi ? Parce que, dans leur esprit, le libéralisme est toujours synonyme de pauvreté, de secteur économique débridé et de crises sociales. Le professeur a pourtant expliqué en quoi le libéralisme historique (Locke, Montesquieu, Tocqueville...) se distinguait singulièrement, en majorité, de ce schéma. Seul Mandeville (et, dans une mesure réduite, Adam Smith) s’y est rallié. La prise d’importance de Hayek et d’autres néolibéraux ne date que des années soixante-dix. Dès lors, le libéralisme a fléchi le genou devant le néolibéralisme. Tout cela, le professeur l’a très bien expliqué. Pourtant, ces étudiants de gauche font toujours l’amalgame entre libéralisme et néolibéralisme.

Mais la diabolisation n’existe pas qu’à gauche. On la trouve aussi à droite. J’ai pas mal de cyber-connaissances qui se réclament de Le Pen ou de De Villiers. Certains d’entre eux font un amalgame entre l’UMP, le PS et d’autres courants politiques plus ou moins anti-FN. Ils parlent de l’UMPS, des socialo-communistes... Alors que ces partis soutiennent des propositions, des idées très différentes. Inutile de dire que les mêmes personnes sont viscéralement hostiles à Sarkozy ou à Royal. Elles les ont diabolisées.
Où est la réflexion là-dedans ? Nulle part. Tout l’argumentaire consiste à dire que l’adversaire est méchant, vilain et pas beau, et même qu’il est tout petit (c’est sérieux ! Regardez comment certains argumentent contre Sarkozy...). Il n’y a plus de réflexion sur le mécanisme des partis, leur histoire, leurs idées, leur importance : il n’y a plus qu’une conception dualiste de la politique. Le FN et l’UMP sont mauvais, le PS et la LCR sont bonnes, disent certains.
La diabolisation se trouve presque partout. Je dis presque, car j’ai eu aussi des contacts avec des sympathisants de l’UMP. Or, je ne les ai pas vus diaboliser qui que ce soit. Ils étaient opposés au PS, évidemment, mais argumentaient toujours contre lui. Ils ne disaient jamais « Royal est une s... », mais « Royal va encourager l’assistanat en mettant le SMIC à 1500 €. Et puis, combien cela va-t-il coûter ? On hypothèque l’avenir de la France en creusant la dette, pour de l’assistanat en plus. »
Il y a quand même une différence notable.
Sans doute y a-t-il, au sein des sympathisants UMP, des gens dont l’esprit est corrompu et qui plaquent leurs jugements de valeur sur le monde. Néanmoins, je n’en ai jamais vu. Peut-être que mon expérience politique est incomplète, c’est tout à fait possible. Je parle en toute objectivité - en tout cas, je m’y efforce.

Cela dit, ce que je disais sur la diabolisation concerne tout le monde. Il est facile de s’y laisser entraîner. Le problème, c’est qu’elle réduit considérablement la pensée. A force de voir les choses à travers des verres teintés et de prendre ses jugements de valeurs pour la réalité, on finit par ne plus pouvoir s’en débarrasser.



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