Laissons parler les racistes !

par Dragoncat
vendredi 29 décembre 2006

L’article « Racisme ordinaire, indulgence ou indifférence ? » paru la semaine dernière sur AgoraVox abordait le problème des hommes publics (Georges Frêche, Pascal Sevran) qui se laissent aller à des dérapages verbaux, et des réactions que ces dérapages devraient susciter. L’auteur - Zerth - était visiblement animé des intentions les plus louables en écrivant son papier. Si son indignation est compréhensible, je ne le rejoins pas dans ses orientations.

Nous avons cru pendant longtemps qu’il fallait faire taire les voix discordantes de la démocratie, les racistes, les haineux, les antisémites, les xénophobes et autres savoureux humanistes. Les propos dégradants et agressifs des individus en question ne sauraient en principe être tolérés au sein du débat public.

Il est nécessaire de rappeler que Le Pen et le Front national prospèrent depuis vingt ans, procès après procès, grâce à l’idée selon laquelle on veut le faire taire, jusqu’à paraître, en affiche ou à la télévision durant les campagnes électorales (1988) avec un bâillon. L’image pouvait faire rire ; elle a fait son chemin. La "méthode Le Pen" pour revenir sur le devant de la scène et éventuellement remonter dans les médias ? Sortir une énormité - genre "Durafour crématoire" - se faire attaquer en Justice et se retrouver ainsi au 20 heures pendant quinze jours...

A force de vouloir faire taire le président du Front national, on lui a donné sa meilleure arme : celle de la théorie du complot. "L’établissement veut me bâillonner car je suis le seul à dire la vérité". C’est simpliste, mais ça fonctionne.

Alors l’erreur ne serait-elle pas de vouloir réguler le discours public en cour de Justice ? Pourquoi ne pas prendre exemple - l’idée va en faire hurler certains par principe - sur ce qui se passe aux USA, où chacun peut s’exprimer ? L’injure directe y est naturellement réprimée, mais les discours extrémistes ont droit de cité, que ce soit les discours haineux de Farakan ou ceux du KKK. Dans ce cadre, le discours public révèle la véritable nature des participants. Cette liberté rend le débat indispensable : à partir du moment où chacun peut exprimer ses fantasmes racistes, il faut qu’il trouve en face de lui des contradicteurs (politiques, journalistes ou autres) pour le combattre.

En démocratie, le fanatique est moins dangereux à visage découvert. Ses théories peuvent être combattues et il ne peut, en disposant de la liberté de parole, invoquer un quelconque complot pour s’inventer défenseur d’une vérité secrète.

Chacun sait qu’il se trouve des hommes pour dire que la Shoah est une invention juive, que les blancs sont la race dominante sur la planète, que les noirs sont la race dominante sur la planète, que l’islam doit balayer les autres religions... Empêcher ces discours par la loi ne les affaiblit pas.

Comme le faisait très justement remarquer Marsupilami en réaction à l’article de Zerth, "la moitié des sketchs de Coluche (qui a fait rire la France avec des trucs bien pires que Sevran et Frêche) seraient censurés par les associations antiracistes". C’est déplorablement exact.

L’interdiction amène le règne ouaté du politiquement correct, où le discours de chacun doit passer par le filtre du consensus. Cette bien-pensance voudrait figer la société en une image idéale. Au contraire, la liberté de parole consisterait à remettre cela en mouvement, en regardant la société en face. Le tableau comprend des humanistes et des ennemis de la démocratie. On peut gommer le méchant du tableau, il ne cesse pas de nuire pour autant.

Pour revenir au FN, les grands partis politiques ont tenté, pendant des décennies, de faire honte aux électeurs du Front national. En vain. Le vote FN s’est fait discret ; il s’est aussi dangereusement développé. Avec le résultat que l’on a connu en 2002.

Alors, laissons les racistes, fascistes, blancs ou noirs, de gauche ou de droite, chrétiens ou musulmans, exprimer ouvertement leur haine et leurs idéaux frelatés. Et combattons-les à découvert, au lieu de les faire taire et de les élever au rang de martyrs de la démocratie.


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