Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardé : le service public outragé !
par Paul Villach
mercredi 4 octobre 2006
Accablant ! On ne trouve pas d’autre mot pour qualifier le comportement de la hiérarchie de l’Éducation nationale avant et après la tentative d’assassinat au couteau dont a été victime dans sa classe Karen Montet-Toutain, professeur d’arts appliqués au Lycée professionnel Blériot à Étampes, le 16 décembre 2005.
Le récit qu’elle fait de sa tragédie dans un ouvrage qui vient de paraître aux Éditions M. Lafon, Et pourtant, je les aime... (Paris, septembre 2006), est un réquisitoire doublement accablant pour l’institution, en ce sens qu’on ne peut lui reconnaître aucune circonstance atténuante et que cette impéritie cynique ne peut susciter que de l’accablement. S’ils veulent savoir où ils viennent de mettre distraitement les pieds, plutôt que de se fier au complaisant Guide du jeune professeur du Monde de L’Éducation dont on a fait ici la critique, les jeunes professeurs seraient bien inspirés de lire ce témoignage.
Une administration forcément irréprochable
L’enquête administrative officielle menée par deux inspecteurs de l’Éducation nationale a, on le sait, exonéré, en janvier 2006, de toute faute caractérisée l’administration à tous les échelons. Avec un peu d’application, on peut aussi ne pas trouver d’eau dans une rivière. Les expériences de Stanley Milgram sur La soumission à l’autorité (Ed. Calmann-Lévy, 1974) ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, du moins du côté des autorités, à défaut d’être connues des premier concernés, les citoyens : elles ont apporté la preuve que lorsque deux échelons hiérarchiques sont en conflit, le sujet en profite pour désobéir ! Sur une enquête administrative pèse donc toujours désormais le soupçon de privilégier une sorte de raison d’État - la protection coûte que coûte de l’infaillibilité de l’autorité - au détriment de ses victimes. Car, au vu des pièces du dossier fourni par K. Montet-Toutain - qui ne dissimule pas son inexpérience, voire sa naïveté - comment ne pas penser au délit pénal de non-assistance à personne en danger et à une violation par l’institution de son devoir légal de protection du fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions, régi par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ?
Des indices précurseurs
La tentative d’assassinat n’est pas arrivée comme ça, par hasard, le 16 décembre 2006. Des indices sérieux et concordants s’étaient accumulés au cours des trois mois précédents. Le contexte du lycée fait apparaître des élèves que l’administration laissait, par exemple, jouer au baby-foot au lieu d’aller en classe !
- Avant la Toussaint, en plein cours, le jeune professeur a eu d’abord à subir des injures et des menaces de viol : « Madame, j’ai envie de vous... », lui lance ainsi un élève. « T’en fais pas, je te la prête après ! », répond-il à un voisin qui sans doute s’agite et réclame sa part.
- Le 5 décembre 2005, elle doit endurer de ces élèves une apologie du vol et du trafic de drogue, estimés plus rémunérateurs en un soir qu’un minable salaire mensuel de prof. Puis, en guise de réponse à ses objections, viennent des menaces de mort : « T’inquiète pas, madame, dit l’un des élèves l’index sur la tempe, on trouve ton adresse, et une balle dans la tête. Si t’es avec ton mari, tes enfants, vous y passerez tous. »
- K. Montet-Toutain tente d’abord d’alerter les responsables du lycée. Elle rédige un rapport à la conseillère principale d’éducation qui n’en fait rien. Elle approche à plusieurs reprises le proviseur - dont on se demande si sa qualité d’ancienne prof d’EPS la prépare bien à ce type de fonction, bien que nombre de profs d’EPS se pressent comme elle pour briguer cette reconnaissance sociale. Toujours est-il que quand, le soir même du 5 décembre, après un conseil de classe, la professeur l’informe des menaces dont elle a fait l’objet dans la journée, le proviseur, écrit-elle, « tourne les talons en (lui) lançant : « De mieux en mieux... ça ne s’arrange vraiment pas ! » »
- Le 6 décembre, K. Montet-Toutain, avec, c’est vrai, la candeur attachante de la jeunesse - croit que l’inspectrice de sa discipline sera plus réceptive. Elle lui adresse un courriel pour l’informer de la situation. Elle la croise même, le 9 décembre, lors d’une réunion : l’inspectrice accuse réception de son courriel mais remet à plus tard tout échange, car elle est très occupée. Ce sera sa seule réponse. Un peu d’expérience, c’est vrai, aurait appris à la jeune professeur qu’elle ne pouvait rien en attendre de plus.
- Entre temps, le 7 décembre, au cours d’un nouveau conseil de classe auquel participent justement les élèves concernés, la professeur relate les menaces qui ont été proférées à son encontre. Mais elle se heurte à une indifférence générale ! « J’ai l’impression, note-t-elle, d’être la seule à ressentir la dégradation du climat, ou en tout cas à m’en inquiéter. Chacun semble s’accommoder de la situation. La routine... »
Une défense administrative irrecevable
Il ressort donc que ni le proviseur ni l’inspectrice pédagogique ne peuvent soutenir qu’elles n’ont pas été prévenues. Quelle est alors leur ligne de défense ? Elle sera énoncée cyniquement par les responsables du Rectorat lors de rencontres avec la jeune professeur après la tentative d’assassinat.
- Premièrement, un euphémisme sordide évite de qualifier le crime. Les prétendues menaces de viol, lui fait-on aimablement observer, n’étaient tout au plus que des « agressions verbales à caractère sexuel ». À quoi la victime répond que les menaces de mort n’étaient sans doute que des « agressions verbales à caractère vital » ! Ces sceptiques sont pointilleux : ils ont, en somme, besoin du passage à l’acte pour vérifier le bien-fondé d’une menace.
- Deuxièmement, par un bel amalgame, on transforme la victime en coupable. Il lui est suavement reproché, en effet, de n’avoir pas suivi la procédure légale en la matière, soit une lettre par voie hiérarchique demandant la protection de la collectivité publique contre les attaques dont elle était l’objet. Et du coup, n’ayant pas demandé dans les règles la protection statutaire, elle se retrouve dans l’impossibilité de demander au Tribunal administratif l’annulation d’un refus de protection qui n’a même pas eu à être formulé !
- Mais puisque ce jeune professeur, comme du reste 90 % de ses collègues, ignorait les textes réglementaires, ne revenait-il pas au proviseur ou à l’inspectrice de lui dicter la marche à suivre ? Au lieu de cela, elles ne lui ont opposé que silence et mépris ! On ne voudrait pas être aujoud’hui à la place de ces deux fonctionnaires irréprochables. Puisse leur sommeil rester serein ! On n’envie pas davantage celle des deux inspecteurs qui n’ont trouvé aucune faute caractérisée dans la conduite de l’administration : leur zèle en a fait des infirmes !
- Quant au ministre de Robien, qui s’est empressé, en janvier, de saluer les heureuses conclusions de leur rapport, ça ne lui a même pas servi de leçon. Il vient de montrer une nouvelle fois sa capacité de discernement : R. Redecker, professeur de philosophie de la région de Toulouse, est obligé aujourd’hui de se cacher sous protection policière ; des islamistes le menacent de mort depuis qu’usant d’une liberté d’expression reconnue en principe en France, il a écrit dans un journal ce qu’il pensait de l’islam. Le ministre n’a rien trouvé de mieux que de lui faire la leçon en rappelant publiquement qu’un fonctionnaire est tenu d’agir avec prudence et de manière avisée ! Justement, le Premier ministre a été, lui, plus avisé : il a exprimé sa réprobation devant cette atteinte à la liberté d’expression.
Il reste aujourd’hui une jeune femme blessée à vie, bien heureuse d’avoir échappé à la mort à laquelle l’ont exposée toutes ces démissions successives. Mais ce n’est pas un hasard qu’elle ait été prise pour cible : sa qualité humaine - avec, c’est vrai, son envers, une croyance candide en celle des autres - la désignait comme une proie facile dans cette jungle qu’est devenue l’Éducation nationale. On a noté qu’aucun mouvement de grève n’est venu crier à une hiérarchie sourde et inhumaine son horreur d’une École où l’on injurie, menace de viol et de mort, puis tente d’assassiner un professeur, sous son œil placide et indifférent. Cette hiérarchie cynique et cette masse soumise font bien la paire. Que leur importe que le service public d’éducation sorte de cette tragédie profondément outragé, puisque, par la faute de ceux qui en ont la charge, il apparaît maintenant aux yeux de tous comme indigne d’un professeur de la qualité de Karen Montet-Toutain ! Paul VILLACH