Le racisme universel : la dimension tragique de l’histoire

par Tristan Valmour
mardi 27 juin 2006

Le racisme étend son empreinte sur tous les continents, sans aucune discrimination, et il suffit de se perdre dans les forums pour en apprécier l’ampleur. Or ce fléau universel qui s’appuie sur la dimension tragique de l’histoire résulte également d’une défaite de la raison ; il consacre surtout la négation de l’individu.

L’ histoire* tire sa dimension tragique de l’incapacité des peuples à se retrouver, et interdit à leurs enfants de tracer une voie qui les conduirait à la concorde. Ainsi les fils d’Israël et de Palestine sont contraints de perpétuer le conflit de leurs aïeux. Plus proche de nous, le sentiment anti-occidental se nourrit d’une histoire coloniale qui a engendré bien des frustrations, et pousse certains pseudo-humoristes et chanteurs aux voix dissonantes à clamer ouvertement leur haine de l’Occident. Pourtant, quelques intellectuels africains admettent aujourd’hui le partage des responsabilités dans cet épisode douloureux de notre passé commun. Il convient en effet de rappeler que l’esclavage était pratiqué aussi bien par les occidentaux que par les Africains, d’Afrique blanche ou noire. D’autre part, les esclaves - des délinquants, des débiteurs insolvables ou des prisonniers de guerre - étaient vendus par des chefs noirs aux négriers. Sans vendeurs, point d’acheteurs. Enfin, il faut également rappeler que de nombreux marins anglais et français ont perdu la vie pour avoir fait respecter l’abolition de l’esclavage, ce qu’Hollywood n’a jamais montré.

Si les Portugais ont découvert l’Afrique au XVIe siècle, afin de tracer de nouvelles voies vers l’Amérique, et d échapper à la domination des corsaires musulmans sur la Méditerranée, il aura fallu attendre trois siècles pour véritablement parler de colonisation. En effet, l’attention de l’Occident était tournée vers l’Asie et l’Amérique. Les premiers comptoirs occidentaux sur les côtes africaines ont été loués aux chefs locaux, et comme on ne battait pas monnaie, le troc demeurait le seul mode d’échange. Le découpage arbitraire de l’Afrique par les Européens n’a certes pas respecté les peuples. L’objectif : éviter un conflit mondial entre les deux superpuissances de l’époque, la France et l’Angleterre. Rappelons cependant qu’avant la colonisation de l’Afrique par les Européens, les différents empires qui ont tenté d’unifier ce continent n’ont guère survécu à leurs fondateurs, quand l’organisation politique des Etats européens s’inscrivait dans la continuité, malgré quelques soubresauts. Même la suzeraineté ottomane ne fut que théorique. Aucun Etat suffisamment organisé ne pouvait s’ériger en interlocuteur face à l’hégémonie européenne, d’où l’arbitraire du découpage. En effet, historiens et ethnologues s’accordent sur « l’organisation anarchique » africaine, c’est-à-dire la propension qu’ont eue les Africains à être gouvernés par une autorité directe, celle du chef de village, comme à rejeter toute autorité non directe.

Les colonies européennes de peuplement en Afrique furent rares ; on retient surtout l’Algérie et l’Afrique du Sud. Et si par colonisation, on entend conquête, alors tous les peuples sont des colonisateurs. En effet, le 12 avril 1591, Ahmed el-Mansour, sultan du Maroc, écrasa les 40 000 guerriers du Sonhraï près de Gao pour s’emparer des richesses locales. En 1670, Osaï Toutou réunit les Etats achantis (actuel Ghana) et conquit ses voisins. A la fin du XVIIe siècle, Biton, un Bambara du clan Koulibali (région du Mali actuel), conquit de vastes terres jusqu’à Tombouctou. Et que dire du plus célèbre conquérant africain, le « Napoléon noir », Tchaka, le Zoulou, qui érigea en dix ans (1810-1820) un immense empire dans le Sud de l’Afrique et auquel on prête près de deux millions de morts ? Natal, Orange, Transvaal et même l’actuelle Mozambique furent conquis. Ou colonisés ? Tout est question de sémantique. Il est inutile de multiplier les exemples : chaque continent connaît son conquérant, ce n’est pas une spécificité européenne.

Rappeler la responsabilité partagée dans l’esclavage ne conduit nullement à minimiser celle des occidentaux, qui demeure pleine et entière. Que cela ne soit pas utilisé par les extrémistes de tout bord, il s’agissait seulement de sortir l’histoire du cénacle universitaire. En outre, rappelons que stigmatiser les occidentaux, c’est renforcer les positions extrêmes de certains tout en poussant d’autres dans cette voie. Il s’agit d’un mécanisme de défense naturellement humain : si on me prête une image qui n’est pas mienne malgré mes protestations, alors j’en viendrai à m’y conformer. Ensuite, l’homme du XXIe siècle qui juge l’histoire doit prendre garde à comprendre le contexte pour éviter bien des erreurs d’appréciation. De même, il n’apparaît nullement que la responsabilité du paysan du Poitou, d’aujourd’hui ou d’hier, ait été engagée. Enfin, il faudrait que l’abolition de l’esclavage devienne une fête où nous nous retrouverions tous pour dénoncer unanimement l’exploitation des peuples.

D’une mauvaise appréciation de l’histoire peut résulter une dimension tragique qui, malheureusement, nous conduit à l’affrontement, quand nous gagnerions à nous unir, car où que nous vivions, nous sommes tous des paysans du Poitou.

* Sources : elles sont trop nombreuses pour être listées, mais on retrouvera l’essentiel des données historiques, dans un bon ouvrage de vulgarisation : Le monde et son histoire (Louis Bergeron, Marcel Roncayolo, Luce Pietri, Marc Venard, Maurice Meuleau), aux Editions Robert Laffont.


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