Le réchauffement climatique : l’article du Monde qui désinforme

par Matthieu
jeudi 8 février 2007

Serge Galam nie, dans Le Monde, l’effet de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Accumulant les clichés, Serge Galam compare les scientifiques aux nazis, aux communistes, et aux bourreaux de l’Inquisition. Tout un programme.

J’ai repris, toute honte bue, le titre de l’article de Timothée Poisot, pour l’adapter à la prose de Serge Galam. Après Claude Allègre dans L’Express, c’est la deuxième fois qu’une telle tribune est offerte aux avocats de cette cause. Ce deuxième papier va cependant bien plus loin.

L’ancien ministre, quand il a commis sa tribune dans L’Express, n’avait pas eu besoin d’être présenté. Il s’est complètement discrédité dans l’affaire, mais cela n’a pas empêché Serge Galam de se lancer dans l’aventure. N’ayant pas été ministre, et étant donc moins connu, il est peut-être bon de parler d’abord un peu de lui.

Serge Galam est chercheur à l’Ecole Polytechnique en épistémologie appliquée, et physicien au CNRS. La conjonction de ces deux domaines donne un champ d’étude très intéressant, où les comportements collectifs sont analysés d’un point de vue physique : par exemple, il a été souvent question de la façon de modéliser le processus d’adhésion à des réformes[1]. Une requête sur ISI - Web of Science (un moteur de recherche pour publications scientifiques) avec le mot-clé « Galam » retourne un certain nombre d’articles basés sur son modèle de comportement individuel des citoyens, qui propose une interprétation sociophysique des résultats serrés (environ 50-50) auxquels nous ont habitués les élections présidentielles récentes. Notons, cependant, qu’il n’y a aucune référence à la climatologie : ainsi, nous pourrions nous attendre à ce que, quand Serge Galam parle du réchauffement climatique, il s’interroge sur la diffusion de l’idée dans l’opinion publique, le seuil critique au-delà duquel les politiques joignent le mouvement, ou encore sur l’inertie des larges sociétés par rapport à la réactivité de petits groupes. En bref, qu’il l’interprète en sociophysicien, position où son expertise est parfaitement reconnue, y compris par ses pairs au niveau international.

Relisons maintenant l’article  : à part un très court passage[2] qui peut, de loin, s’y apparenter, il ne s’agit pas de sociophysique, mais d’une charge générale contre les climatologues, le GIEC, et tous ceux qui parlent des conséquences prévues de l’activité humaine sur le climat et des façons d’y remédier. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Serge Galam commence par qualifier le GIEC de grand-messe qui a canonisé l’hypothèse de l’intervention humaine dans le réchauffement climatique. Le vocabulaire religieux n’est pas innocent, il s’en resservira.

Ensuite, dans un paragraphe déroutant, il se place dans l’hypothèse que le réchauffement n’est pas d’origine humaine : les efforts du GIEC et des écologistes à la Hulot nous placeraient alors dans une impasse dramatique, qui aboutira à la disparition totale de l’espèce humaine. Rien de moins ! Et pourquoi ? C’est là que le raisonnement devient vraiment beau : c’est que les ressources que nous affectons à la recherche sur le climat (immenses, à n’en pas douter) nous priveraient de la possibilité de démultiplier la recherche fondamentale et appliquée des moyens qui nous permettraient de vivre indépendamment des conditions climatiques (même au prix de risques écologiques et éthiques accrus). Vous ne rêvez pas : un physicien reconnu nous avertit, dans un journal de (moins en moins de) référence, que quelques centaines de climatologues nous empêcheraient de brûler du pétrole pour monter le chauffage ou la clim’ en cas de variation du climat. Et encore, je n’arrive même pas à mettre de mots sur les « risques éthiques » dont il parle. Je n’ose (allez si, j’ose) pousser jusqu’à répéter que ces climatologues, s’ils se trompaient en pensant que le réchauffement est d’origine humaine, nous orienteraient avec un tel contrôle qu’ils provoqueraient l’extinction de l’espèce humaine. Quelqu’un de volontaire pour lui dire qu’ils ont si peu d’influence qu’ils n’arrivent pas à faire changer les politiques même en ayant l’appui d’un économiste  ?

Il s’embarque ensuite dans quelques considérations sur la science en général, et la climatologie en particulier, qu’on a déjà entendues, et combattues, mille fois. La seule différence étant que d’habitude, on a plus l’habitude de les lire sous la plume de pseudo-scientifiques payés par Exxon. La science, selon lui, constate à la fois un réchauffement avéré et une augmentation de la quantité de CO2 dans l’atmosphère, un point c’est tout. Vouloir relier les deux constatations dans une relation de cause à effet, sous le prétexte qu’elles sont corrélées dans le temps, n’a présentement aucune base scientifique. Il suppose donc que les climatologues n’ont rien fait d’autre, depuis plusieurs décennies, que tracer un diagramme avec la concentration de CO2 en abscisse et la température en ordonnée, y porter les mesures montrant une corrélation, s’asseoir en cercle autour, discuter, et pondre un rapport de quelques centaines de pages mettant en danger la survie de l’espèce humaine.


Je ne veux pas trop parler ici des modèles toujours plus affinés, des simulations toujours plus poussées qui en sont tirées, et des données expérimentales toujours plus précises auxquelles elles sont mesurées. Je me contenterai seulement du premier d’entre eux, juste pour montrer qu’écrire aucune base scientifique est une malhonnêteté. Il a été proposé au 19ème siècle, je crois, et se base sur un simple bilan d’énergie. Un schéma est disponible ici. La Terre absorbe l’énergie des radiations du Soleil, se réchauffe, et émet en retour un rayonnement infrarouge. Les gaz de l’atmosphère, l’eau par exemple, absorbent une partie de ce rayonnement, se réchauffent, et piègent l’énergie sur Terre. Le CO2 fait partie de ces gaz qui absorbent dans l’infrarouge  : tirer une relation de cause à effet est donc légitime, voire évident[3].

Il continue avec l’habituel baratin sur les incertitudes de la science  : tout ce qu’il dit est certainement très vrai, mais il oublie, par mégarde, de mentionner que cette incertitude est quantifiable. Les climatologues prennent en compte les marges d’erreur dans leurs résultats, ce qui explique la fourchette de température que le GIEC présente. D’ailleurs, l’incertitude sur le comportement humain est bien plus importante que les autres paramètres, d’où les différents scénarios présentés (allant de «  optimiste  » à «  les Africains et les Inuits rattrapent le niveau de vie américain  »). La meilleure partie de cette partie sur les incertitudes des modèles reste tout de même l’argument-choc «  la météo se trompe tout le temps, alors il est impossible de prévoir le climat à long terme  ». Même dans un café du commerce, il y aurait peut-être quelqu’un pour rappeler que météorologue et climatologue, ce n’est pas le même métier[4].

Ensuite, du café du commerce, on passe aux forums Usenet. Généralement, dans les groupes de discussion conspirationnistes ou ufologues, il y a toujours certains intervenants pour comparer Galilée à l’inventeur incompris du moteur à mouvement perpétuel et les scientifiques (dogmatiques) aux inquisiteurs espagnols. Parfois, quand la polémique va loin, il n’est pas impossible de trouver des références aux nazis.

 

Ici, Serge Galam n’hésite pas et sort l’artillerie lourde  : j’ai beau être familier de ce genre de trash, je n’avais jamais vu une telle concentration de lieux communs  !

Il est hors de question de répondre aux allusions sur les nazis, les communistes, ou les prophètes, elles sont trop mesquines.


Rappelons par contre que Galilée et Einstein avait construit une théorie scientifique explicative, et que c’étaient leurs adversaires, théologiens[5] et nazis, qui n’en avaient pas. Ici, la position est singulièrement renversée  : si Serge Galam n’est pas d’accord avec l’influence humaine dans le réchauffement climatique, il n’a besoin que d’un seul argument, mais scientifique. Pas d’attaques dignes de forums ufologistes ou conspirationnistes.


Et pour finir, laissons-lui la parole  : il faut rappeler que la preuve scientifique n’a pas besoin de l’unanimité pour exister, elle s’impose par sa simple existence. Effectivement. Et le fait qu’après plusieurs dizaines d’années d’études et de contre-propositions, toutes les théories alternatives à la responsabilité humaine aient été écartées, pour ne laisser que ce genre d’attaques, en est une illustration parfaite.



[1] Et certaines personnes n’étaient pas d’accord avec lui, d’ailleurs.

[2] C’est alors la culture ambiante qui va faire le gros de l’explication en comblant les vides, par une harmonisation sémantique. Il s’agit en fait d’une recherche de non-contradiction avec les faits, plutôt que d’une explication unique, fondée sur les faits.

[3] Evident au sens que la relation de cause à effet vient spontanément à l’esprit. Cette relation n’est vrai «  évidement vraie  » et doit être testée et affinée  : c’est ce qui se fait depuis maintenant 50 ans.

[4] La météo est une physique chaotique, difficile à prévoir avec précision, à l’échelle locale et à quelques jours. La science du climat est un système certes fortement non-linéaire, mais prévisible, au moins pour les valeurs moyennes. En tout cas, les deux choses sont très différentes  : personne n’utilise les modèles météos sur des échelles de dizaines d’années. Que l’auteur se fourvoie à ce point est surprenant, mais n’est rien comparé ce qui suit.

[5] L’allusion à ‘théologiens à l’époque’ = ‘docteurs’, ‘scientifiques aujourd’hui’ = ‘docteurs’, donc ‘scientifiques aujourd’hui’ = ‘théologiens à l’époque’ est un des pires sophismes que j’ai jamais lu.


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