Le sarkosacre de la Porte de Versailles
par Daniel RIOT
lundi 15 janvier 2007
La conquête du trône de la République n’a pas de prix... Le quart du budget de campagne de l’UMP en une journée ! Quatre à cinq millions d’euros, le supershow de la « nouvelle star » avec qui « tout devient possible ».
La fête dominicale s’annonce belle. Un vrai sacre. Sarkopoléon-le-Petit a choisi la porte de Versailles (foires et salons en tout genre) pour son investiture officielle par l’UMP, qui devrait mobiliser quelque 50 000 militants venus de toute la France. Choisira-t-il le Stade de France pour son dernier meeting de campagne ?
Rien n’est trop grand ni trop beau pour le premier parti de France, dont le chef rêve de la plus belle des couronnes césaro-républicaines. La conquête du trône élyséen n’a pas de prix, malgré la transparence des comptes de campagne. Et un aspirant chef d’Etat, dans une République plus monarchique que républicaine, doit montrer qu’il ne fait pas dans la demi-mesure.
La vie est vraiment chère... La location du vaste hall 1 du Parc des Expositions coûte, à elle seule, presqu’un million d’euros. Les sept trains spéciaux (150 000 euros par TGV), les 520 autocars, la location d’écrans géants, de caméras sophistiquées et de tout le matériel qui s’impose dans ce type de superspectacle, les décors, la mise en scène, l’intendance et la... sécurité : quelle comptabilité ! Uniquement des additions et des multiplications (les divisions ne sont que politiques et les soustractions ne sont pas de circonstance) !
« On ne peut pas plaire à tout le monde »
C’est le réalisateur Didier Froehly qui sera le chef d’orchestre de ce supershow. Un excellent pro qui s’est occupé et s’occupe d’émissions aux titres pertinents : Nouvelle Star (la Star’Ac de M6, la petite chaîne qui monte toujours) et... On ne peut pas plaire à tout le monde (ce qui est désespérant quand on prétend que « tout est possible »). Jack Lang devra se creuser les méninges pour que Royal ait, elle aussi, dans les cent jours qui viennent, une superproduction impériale.
Combien pour cette seule journée dominicale ? 3,5 millions d’euros au moins. Près de 5 si l’on additionne tout. Le quart, paraît-il, de ce qui est prévu dans la campagne. On comprend que Bayrou en soit ému (ce qui ne veut pas dire jaloux) : au total, l’UDF n’engagera guère plus de huit millions (ce qui est remboursable par l’Etat)... Le trésorier du Pau football club ne joue pas dans la même catégorie que celui du Paris-Saint-Germain. Limites de l’égalité des chances...
Evidemment, nous voici loin des SDF, des 600 000 logements qui nous manquent, des quartiers difficiles, de la paupérisation qui augmente au rythme de la seule vraie croissance de ces cinq dernières années : celle des inégalités... Le remboursement de la dette est le deuxième poste budgétaire de la République, mais le plus grand de ses partis mène grand train. Un TGD : train à grande dépenses...
« Une démocratie oligarchique »
Il s’agit là, bien sûr, d’une réflexion facile à taxer de populisme. Pardon... D’ailleurs, pourquoi se scandaliser ? Schwarzenegger en Californie a fait plus et mieux : en novembre 2005, il a déboursé 500 millions de dollars dans sa campagne. Et pour l’UMP, ce n’est pas une « première » : son congrès de 2004 a coûté à lui seul plus de 4,2 millions d’euros.
Tout cela pourquoi ? Pour l’image et la mobilisation de troupes déjà acquises, pour la débauche de quelques notables UDF qui sont restés dans les marécages du centrisme trahi, pour tenter de conquérir quelques poignées de voix sur l’extrême droite et sur la droite de la gauche (ce qui nécessite un grand écart acrobatique) : chers, très chers, le sourire (de façade), la représentation (théâtrale), la promo (médiatique). Les intermittents du spectacle vivant pourront, au moins, en faire des saynètes et les Guignols de belles séquences.
Mais le sujet n’a rien de léger. L’UMP n’est pas seule en cause. Ce sont les évolutions corruptrices de la société politico-médiatique, de l’Etat-spectacle, qui exigent (encore) des réflexions nouvelles.
Comme le constate Pierre Rosanvallon : On réintroduit une dimension oligarchique dans la principe démocratique. Entre oligarchie et doxocratie, entre les pouvoirs des géofinanciers de l’économie-casino et la dictature des sondages ou les pressions de la « rue », où va-t-on ? Certainement pas sur le chemin du « réenchantement » de la politique...
Comment une telledébauche pourrait-elle s’étaler sans contributeurs qui, étrangers à la politique, entendent yintervenir autrement que par le vote ?, s’interroge Edgard Pisani dans Vive la révolte (Seuil). Les lobbies qui pullulent ne sont-ils pas là pour recevoir la contrepartie de la contributionde ceux qui les envoient ?
« Que le meilleur perde »
Certes, selon la formule de Jules Michelet, la politique est peut-être (entre autres) l’art d’obtenir de l’argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres, mais pas dans ces conditions.
On savait que l’argent pouvait, parfois, corrompre, donc abîmer, salir la politique, mais à ce niveau de débauche promotionnelle, c’est la politique qui corrompt, donc dénature, détourne l’argent. Un comble. Surtout dans un système électoral qui fait conserver toute sa pertinence et son actualité au titre d’un livre (publié chez Plon en 1999) de Frédéric Bon et Michel-Antoine Burnier : Que le meilleur perde... Seuls les plus riches peuvent gagner.
Daniel Riot