Les « 3 I » de François Bayrou
par Nicolas Goin
mardi 27 mars 2007
D’où vient cette frénésie ? Comment la sauce est-elle montée ? Comment arriver si haut, si vite ? Non, nous ne sommes pas en pleine primaire socialiste et nous ne parlons pas de Ségolène Royal mais, comme aucun grand média ne le fait, de François Bayrou. 8%, 12%, 16%, 20%... Comment ? Sur quelles positions ? Sur quelles propositions ? Avec quel programme ? Alors que des articles pleuvaient lorsque la candidate socialiste n’était encore qu’en phase d’écoute, personne ne semble s’émouvoir aujourd’hui du vide programmatique du candidat de l’UDF. Pourtant des bribes sont là, dans ses meetings, dans ses interventions médiatiques, sur son site Internet... Des bribes qui, à force de se juxtaposer, découvrent les « 3 I » de François Bayrou.
I comme Incohérence
François Bayrou est très certainement le candidat le plus incohérent des douze finalistes. Incohérent avec lui-même, incohérent avec sa famille politique, incohérent pour ses alliés de l’UMP,...
Trois exemples suffisent pour en prendre conscience ; la plupart étant bien entendu liés au décalage qui existe entre les votes de Bayrou à l’Assemblée depuis des mois voire des années et les positions actuelles du candidat.
- 1er exemple sur le rôle de l’Etat. « Bayrou-Candidat » insiste sur la présence de l’Etat dans les villes, dans les quartiers (« Je veux un sous-préfet qui représente l’Etat dans chacun de ces quartiers (...) avec obligation de résidence » - discours du 7 février à Bordeaux) alors que depuis 2002, il a voté toutes les propositions de loi qui ont contribué à diminuer les crédits du Fonds d’intervention pour la ville (FIV), quasiment réduits de moitié en trois ans (179,9 millions d’euros en 2002 contre 109,1 en 2005).
- 2e exemple, économique cette fois, sur la majoration des heures supplémentaires dans les PME. « Bayrou-Candidat » trouve « injuste et scandaleux que l’heure supplémentaire dans une petite entreprise rapporte moins au salarié que dans une entreprise de plus de vingt ! ». Or, il a voté pour le maintien de la majoration à 10% pour les entreprises de moins de vingt salariés en approuvant les deux lois d’assouplissement sur les 35 heures ; contribuant ainsi à une situation qui l’insurge en campagne.
- 3e exemple enfin sur l’environnement. « Bayrou-Candidat » proclame lors d’un discours le 22 avril 2006 : « Si nous laissons les choses aller selon leur propre logique, en prenant uniquement les besoins immédiats, uniquement les marchés, uniquement les intérêts financiers de court terme, alors nous sommes certains d’aller dans le mur ». Belle clairvoyance, pour un homme qui depuis 2002 a soutenu toutes les mesures de libéralisation du secteur de l’énergie...
I comme Immobilisme
Alors que François Bayrou se positionne désormais comme le véritable candidat du changement, tout autour de lui semble prédire le contraire : un immobilisme incontournable voire même une crise politique majeure.
Et cela pour deux raisons principales.
- La première tient à sa volonté de former un gouvernement d’union nationale mêlant à la fois UDF, UMP, PS, autres (?)...Sur le papier, ça aurait effectivement de la gueule un gouvernement associant Borloo, DSK, De Robien, Guigou...On se dit « bah oui, c’est bien de les avoir tous là, chacun pour ses compétences et pour ses positions ! Un sévère à l’Intérieur, une plus sociale au logement, un pragmatique à l’économie, une avocate à la Justice pour contrebalancer le teigneux de l’Intérieur... » Sauf que le résultat de cette jolie colonie de vacances risque bien de ne pas emmener la France très loin, ou tout du moins de ne pas le faire très vite. Imaginez les heures, les jours, les semaines, les mois de négociation entre des personnes qui n’ont aucune vision commune de la France et des priorités à engager. Un peu comme si un producteur de cinéma disait à Steven Spielberg de faire un film avec Pascale Ferran... Les choses risqueraient bien de traîner et les intermittents du spectacle d’obtenir des CDI.
- La deuxième raison tient au vide qui existe derrière François Bayrou. Nicolas Sarkozy se pose comme le chef de l’UMP derrière lequel les lieutenants se rangent fidèlement. Ségolène Royal doit composer avec un Parti socialiste dont l’éventail des idées est assez large. Mais, au moins, ces deux candidats peuvent s’appuyer sur leur parti pour, après la présidentielle, s’attaquer aux autres élections, disposer d’un groupe de parlementaires cohérent. De son côté, François Bayrou doit colmater les fuites dans sa maison UDF : Santini, De Robien, Borloo qui est parti depuis bien longtemps, Simone Veil qui s’est sarkoïsée... Et ces fugueurs du moment ne reflètent qu’une tendance déjà palpable depuis de longs mois :
- Le groupe UDF à l’Assemblée ne vote plus du tout comme un seul homme : sur le dernier vote du budget par exemple, une partie a voté pour, l’autre contre et la dernière s’est abstenue ;
- Au Sénat, c’est la même chose. Alors que François Bayrou dit défendre les agriculteurs sans toutefois avoir de position claire sur les OGM, les sénateurs UDF ne se sont pas opposés en mars 2006 à la loi sur les OGM préparée par le gouvernement Villepin.
- Le groupe UDF à l’Assemblée ne vote plus du tout comme un seul homme : sur le dernier vote du budget par exemple, une partie a voté pour, l’autre contre et la dernière s’est abstenue ;
Si François Bayrou a déjà du mal à tenir son propre parti et afficher une cohérence (même de façade), comment peut-il assurer qu’il réussira avec dans son gouvernement d’union des membres de plusieurs partis ?
I comme Incantations
Malgré ses envolées contre le pouvoir médiatique et l’apparence, il semble que François Bayrou s’attarde un peu trop sur le contenant plutôt que le contenu, sur la tactique plutôt que sur la stratégie, sur la posture plutôt que le réel positionnement.
Il se déclare « antisystème » alors qu’il a gravi tous les échelons de son parti comme un bon soldat : délégué général de 1989 à 1991, secrétaire général de 1991 à 1994 et enfin président en 1998. Au niveau des mandats électifs, rien de bien antisystème non plus : conseiller général, député, parlementaire européen, ministre des gouvernements Balladur et Juppé.
Pour finir, le candidat rebelle a voté jusque récemment tous les budgets de la majorité, RPR comme UMP.
Il dit, enfin, dans le Nouvel Observateur du 15 mars 2007, être plus proche du PS que de l’UMP : « il y a une confrontation nette de projet de société entre Nicolas Sarkozy et moi. Alors qu’il n’y a pas cette confrontation entre Ségolène Royal et moi ».
Sur quelques thématiques importantes, force est de constater que cette posture est quelque peu trompeuse :
- Sarkozy et Bayrou sont contre la hausse du SMIC, Royal est pour ;
- Sarkozy et Bayrou sont contre l’abrogation du CNE, Royal est pour ;
- Sarkozy et Bayrou veulent réduire l’ISF et les droits de succession, Royal est contre ;
- Sarkozy et Bayrou sont ouverts à la hausse de la TVA, Royal trouve cela socialement injuste.
La liste peut-être encore longue...
En conclusion, il monte, il séduit, il fait mine de rassembler, mais personne ne sait vraiment ce qu’il prépare et avec qui.
Si déposer son bulletin dans l’urne relève pour vous d’un saut dans le vide, d’un billet vers une destination inconnue alors n’hésitez plus, vous avez trouvé votre homme !