Les bateaux ivres de la finance
par demos
vendredi 27 octobre 2006
Il y a vingt ans, le montant quotidien des transactions boursières était égal au capital d’une grande banque américaine ; aujourd’hui, il est de l’ordre du capital cumulé de leurs cent premières banques ! Aujourd’hui, les « Hedge Funds » ou ce que nous appelons pudiquement les « fonds d’investissement spéculatifs à hauts risques », dominent de plus en plus les marchés financiers
Ils ont leur siège social pratiquement tous dans des paradis fiscaux, et 400 d’entre eux réalisent, à eux seuls, 80% des transactions financières mondiales. Leur chiffre d’affaires quotidien, tenez-vous bien, approche les 6000 milliards de dollars ! C’est-à-dire environ la moitié du PIB des USA.(1) Les Hedge Funds gèrent en « actifs » 847 milliards d’euros dans le monde, dont 285 milliards en Europe (40 milliards en France) avec un ticket d’entrée rarement inférieur à un million d’euros (2).
Ces fonds d’investissement spéculent sur les PDC, « produits dérivés de crédit ».(3) Selon G. Tett, journaliste financier au Financial Times : « L’opacité de ce marché est telle que personne ne sait ce que sont exactement les PDC ». En 2004, le marché des PDC représentait 5000 milliards de dollars (4), il atteignait fin juin 2006 la somme gigantesque de 26 000 milliards de dollars (5) dans l’anarchie totale, sans surveillance réelle des organismes officiels du marché (6).
Cette année, l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) a révélé que 20% des transactions concernant des dérivés de crédit comportaient des erreurs majeures, et qu’aux USA plus de 90% des contrats conclus sur ces produits étaient consignés sur des bouts de papier, au point qu’en 2004, le président de la Réserve fédérale s’est dit « franchement choqué » par cette situation. Selon un article paru dans le Financial Times daté du 17/07/2006, « Les dérivés de crédit n’existent que dans le cybermonde et sont seulement des moyens permettant aux riches d’échapper au fisc. » Pour le célèbre investisseur Warren Buffet, les dérivés de crédit sont « des armes financières de destruction massive ». Même le FMI, pourtant grand défenseur du libéralisme et du consensus de Washington (7), paraît très préoccupé par cette gestion d’apprentis sorciers. La Banque des règlement internationaux (BRI), dans son rapport annuel publié fin juin 2006, évoque « le triomphe des comportements économiques prédateurs et ces orientations auxquelles il est difficile de trouver une explication logique », estimant « qu’il est prudent de s’attendre au meilleur, tout en se préparant au pire ».
Les Hedge Funds et leurs méthodes spéculatives auraient été imaginés il y a une dizaine d’années par les dirigeants de la banque Morgan and Boca Raton entre deux cocktails (8). Ces banquiers de l’extrême sont réputés pour leurs pratiques de pillards, leur gestion scandaleuse, les manipulations boursières diverses qu’ils orchestrent, et le mépris avec lequel ils traitent les entreprises dont ils prennent le contrôle. Ces nouvelles racailles sans foi ni loi du capitalisme mondialisé blanchissent des milliards de dollars de la mafia (9). Ils sont, par ailleurs, grevés d’un ratio d’endettement criminel (de 6% à 8%) qui démultiplie artificiellement leur capacité d’autofinancement, en faisant peser les risques de leurs stratégie au jour le jour sur le dos de la société tout entière (10). Récemment, ces fonds ont été accusés de faire chuter l’action EDF et, dans le passé, d’avoir déstabilisé le cours en Bourse d’entreprises comme Alcatel ou encore France Télécom, sans parler des scandales WordlCom, Tyco, Xeros. En septembre dernier, Amaranth Advisors a ainsi perdu 5 milliards de dollars en une semaine, ce qui a entraîné la ruine de leur clientèle et l’intervention de la BCE (11).
Chers amis, chers électeurs, les formes de capitalisme pratiquées il y a quarante ans pouvaient comporter des préoccupations sociales ou éthiques qui apparaissent complètement désuètes aujourd’hui. Depuis, les visées des grandes entreprises se sont enfoncées dans un entonnoir au bout duquel il n’y a plus que les intérêts des dirigeants et des actionnaires, au nom d’une liberté bafouée. Et l’appétit vient en mangeant : à force de viser des objectifs de rentabilité de plus en plus élevés (+20% quelquefois sur capital d’investissement et +40% pour les Hedge Funds), les dirigeants d’entreprise et d’institutions financières en viennent à travailler sur les apparences en spéculant sur le virtuel, en misant sur une économie de façade, en fabricant un monde artificiel cauchemardesque pour une moitié de la planète et misérabiliste pour l’autre, en invoquant, sans la moindre pudeur, le réalisme et la fatalité comme seules justifications. J’aime à penser que nous serons capables de réitérer notre refus d’un capitalisme de catastrophe, comme nous l’avons fait courageusement et lucidement à l’occasion du Traité constitutionnel, en nous opposant une seconde fois en 2007 à cette régression humaine dans laquelle la liberté, la dignité et le respect des individus sont rabaissés au fond du caniveau...
1.Le monde diplomatique, octobre 2006 : « Une économie d’apprentis sorciers »
2.Ces chiffres sont extraits d’une étude sur le développement des fonds spéculatifs en France publiée, jeudi 24 novembre, par Asterias, une société de conseil britannique
3.Il s’agit de parier sur un risque prévisible en misant sur une créance plus ou moins douteuse.
4.http://www.pwc.fr/fr/pwc_pdf/pwc_g648578.pdf
5.Le monde diplomatique, octobre 2006 : « Une économie d’apprentis sorciers »
6.Gillian Tett, The Dream machine. Lire aussi : http://www.agefi.com/Quotidien_en_ligne/Investir/articleDetail.php?articleID=278333
7.Il s’agit des recommandations néolibérales à la sauce étasunienne : baisse des impôts, libre-concurrence, déréglementation, etc. Le FMI conditionne ses prêts au respect de ces recommandations, participant ainsi à la ruine des pays pauvres forcément très endettés.
8.Gillian Tett, The Dream machine.
9.http://www.monde-diplomatique.fr/2000/04/DE_BRIE/13634
10.http://www.lesaffaires.com/fr/Aujourdhui/detail.asp?id=241481&id_section=808,809,810,82 Lire aussi cet excellent exposé au Parlement italien, en français : http://www.solidariteetprogres.org/spip/sp_article.php3?id_article=1684
11.http://www.lexpansion.com/art/15.0.147697.0.html