Les ministères « d’appellation bizarre »
par docdory
mercredi 21 mars 2007
La proposition faite par Nicolas Sarkozy d’un nouveau " ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale " incite à se pencher sur une question assez peu étudiée, celle des ministères d’appellation bizarre dans le monde, de leur signification sociale et politique, et enfin sur les questions qui se posent au sujet de cet éventuel nouveau ministère.
En effet , la plupart des gouvernements du monde comportent les ministères suivants, à quelques variantes près : éducation, défense nationale, intérieur, affaires étrangères, transports, agriculture et pêche, commerce et industrie, justice, culture, économie et finances, recherche scientifique, environnement, (et parfois sports).
Cette sorte de consensus mondial concernant la composition des gouvernements indique en fait quelles affaires sont, de l’avis général, au moins partiellement du ressort de l’Etat, n’en déplaise aux partisans de l’ultralibéralisme.
Néanmoins le romancier Georges Orwell , dans son célèbre roman 1984, avait saisi l’importance politique des dénominations ministérielles bizarres, et donc imaginé un Etat totalitaire dans lequel le gouvernement comportait quatre ministères baptisés par antiphrases : le ministère de la Paix, qui s’occupait de la guerre, le ministère de l’Abondance qui gérait la pénurie, le ministère de l’Amour qui s’occupait de la loi et de l’ordre (en torturant les ennemis politiques), et le ministère de la Vérité, qui réécrivait l’histoire en fonction de la doctrine présente du parti !
A tout seigneur, tout honneur, la palme d’or du MAB revient sans conteste à l’Arabie saoudite, avec son polyvalent " ministère des Affaires islamiques, des Biens morts, de la Propagation de la foi et de l’Orientation " ! Que sont donc les Biens morts, et en quoi ont-ils besoin d’un ministre, cela reste une énigme insondable. Néanmoins, cela permet de déterminer une première catégorie de MAB, les MAB théocratiques ou religieux. Cela n’étonnera personne de constater que l’immense majorité de ces MAB théocratiques concernent des pays de culture musulmane. Il existe en effet au Soudan un " ministère de l’Orientation (encore un !) et des Awqaf (affaires religieuses) ", en Iran un " ministre de la Culture et de l’Orientation islamique ", au Pakistan un " ministre des Affaires religieuses (lesquelles ont également un secrétaire d’Etat), de la Zakat et de l’Ushr (aumône légale et dîme) ". Les MAB théocratiques ou religieux intéressent la grande majorité des pays musulmans, (y compris ceux censés être plus ou moins laïques comme la Turquie et la Tunisie), à l’exception de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine et de la plupart des ex-républiques d’URSS de culture musulmane.
Existe-t-il des MAB religieux en dehors des pays musulmans ? Oui, mais uniquement dans les pays monothéistes. Pour le judaïsme, il existe en Israël un " ministre sans portefeuille chargé des conseils religieux". Pour le christianisme, en dehors du Vatican, dont le gouvernement est constitué quasi exclusivement de MAB théocratiques, on note trois exceptions : la Norvège (hors UE ) et son " ministère des Affaires ecclésiastiques et de la Culture ", la Grèce (qui, il y a peu, indiquait encore la religion de ses citoyens sur la carte d’identité) et son " ministère de l’Education nationale et des Cultes ", et malheureusement la France (honte à nous !), censée être un des pays les plus laïques, qui garde son préhistorique " ministre de l’Intérieur et des Cultes " (probablement en raison du statut concordataire d’Alsace-Moselle, dont l’abrogation, ou du moins la départementalisation, devrait, si possible, être une tâche prioritaire du futur président). Les pays hindouistes, shintoïstes, bouddhistes etc., n’ont aucun MAB théocratique ou religieux.
Une deuxième catégorie de MAB est celle des MAB révélateurs.
La coexistence dans un même pays d’un ministère de la Sécurité de l’Etat, d’un ministère de la Sécurité publique et d’un ministère de la Supervision laisse subodorer un Etat policier. L’on ne s’étonnera donc pas que cette triple association se retrouve en Chine !
Ces MAB révélateurs sont souvent révélateurs de probables faiblesses structurelles de certains Etats. Ainsi plusieurs " ministères de l’Hydraulique " se retrouvent dans des pays africains, dans lesquels l’acheminement d’eau potable est problématique, un " ministère de la Simplification administrative " est observé en Belgique, tandis qu’on note plusieurs " ministères de la Condition féminine " dans des pays musulmans particulièrement rétrogrades... On note aussi au Sénégal un " ministère de la Politique de bonne gouvernance. Certains de ces MAB révèlent une confusion douteuse entre les affaires d’Etat et certains intérêts financiers : ainsi, au Turkménistan, on note (entre autres) un " ministre de l’Aviation civile et président de la compagnie aérienne Turkmenhovyellany " (sic !)
Certaines compositions gouvernementales réalisent un résumé ironique et tragique de la situation de leur pays, ainsi en Afghanistan le gouvernement renferme les ministères suivants : du Pèlerinage, des handicapés et martyrs, des Frontières, des Réfugiés, de la Lutte contre les stupéfiants, et enfin de la Condition féminine...
D’autres MAB traduisent des parentés historiques (le " ministère des situations d’urgence" se retrouve en Russie, dans nombre d’ex républiques d’URSS et en Mongolie).
Une autre catégorie de MAB est celle des ministères polyvalents, exotiques ou inattendus : La Papouasie-Nouvelle-Guinée nous propose ainsi le subtil " ministère de la Santé, des Affaires de Bougainville et du HIV " (probablement le seul virus au monde à avoir droit à un ministère !), tandis que le Canada nous offre le pompeux " ministère du Commerce international, de la Porte d’entrée du Pacifique et des Olympiques de Vancouver Whistler " ! La Belgique a un " ministre des Classes moyennes et de l’Agriculture ", le Ghana un " ministre de la Culture et des Chefferies ", et la Grande-Bretagne un " ministre des Transports et de l’Ecosse " ! Citons dans cette catégorie le défunt et éphémère " ministère du Temps libre " du premier gouvernement Mauroy, qui a dû paraître bien exotique à l’étranger !
Cet inventaire un peu surréaliste ne serait pas complet si je ne mentionnais pas les gouvernements parmi les plus pléthoriques : Chine, Inde, Ghana, et Italie, lesquels regorgent de vice-ministres. Cela peut s’expliquer par l’importance démographique dans certains cas, et par des manifestations d’amitié ou de combinaisons électoralistes dans d’autres... La Suisse au contraire bat le record de simplicité, avec seulement sept ministres, appelés chefs ou cheffes (cette dernière appellation témoigne de l’indépendance de la Suisse vis-à-vis des recommandations de l’Académie française !). Enfin, deux Etats ont des gouvernements de composition introuvable, la Libye et la Corée du Nord (cela n’étonnera personne !)
Intéressons-nous maintenant à ce nouveau MAB que propose Sarkozy. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une totale innovation. En effet , il existe au Canada un " ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté ", qui ne semble pas avoir tellement réussi à ce pays : en effet, le Canada pratique dans ce domaine une politique multiculturaliste, dite " d’accommodement raisonnable ", qui a abouti à quelques énormités. Citons le droit des lycéens Sikhs de porter leur poignard à l’école, des juifs orthodoxes de passer leur permis de conduire avec un examinateur du même sexe, et le fait que la Charia a failli être appliquée dans l’Ontario dans les affaires familiales ! Une révolte contre cette politique néfaste a d’ailleurs débuté récemment au Québec dans la commune d’Herouxville.
Or, là encore, Sarkozy utilise le procédé orwellien de l’antiphrase ! Rien ne l’indispose plus que nos particularismes nationaux. On l’imagine mal défendre énergiquement le fromage au lait cru dans un marathon agricole à Bruxelles. Il a clairement déclaré qu’il contredirait, au mépris de la démocratie, le suffrage du peuple français en imposant un TCE condensé par un vote parlementaire, il a dénoncé la laïcité dans un de ses livres et dans le rapport Machelon, il est partisan d’un alignement sur la politique extérieure américaine, il s’est d’ailleurs autosurnommé " Sarkozy l’Américain ", il est un chaud partisan de l’ultralibéralisme économique, il donne l’impression que les droits de l’homme, pour lui, se résument aux droits des patrons et actionnaires !
Un " ministère de l’Identité nationale ", selon ce que l’on connaît de Sarkozy, ressemblerait plus à un " ministère de la carte d’identité nationale ", sorte d’annexe du ministère de l’Intérieur qui se préoccuperait plus de l’identification des citoyens par vidéosurveillance à l’anglaise, ou par tout autre procédé électronique et biométrique, que de promouvoir leur identité culturelle (comme pourrait le faire un Jean-Pierre Coffe), selon le principe qu’un consommateur bien surveillé vaut mieux pour les intérêts économiques qu’un citoyen indépendant d’esprit.
En conclusion, la France, dont la dette publique est abyssale, n’a pas besoin de dépenser des fortunes pour un gadget ministériel aussi inutile que coûteux pour le contribuable. Il suffit d’imaginer le budget d’achat d’un grand bâtiment aux dimensions ministérielles à Paris, le salaire d’un ministre, de son directeur de cabinet et des dizaines de fonctionnaires qui y travailleraient si cette lubie était réalisée, pour condamner sans appel ce projet, venant d’un candidat qui a pourtant fait de la réduction du nombre des fonctionnaires son cheval de bataille !
NB : les renseignements concernant les compositions gouvernementales sont disponibles sur le site France Diplomatie.