Les politiques de l’urbanisme, du logement et de l’immobilier : pour une stratégie globale, adaptée et efficace

par Rage
mercredi 31 janvier 2007

Urbanisme, logement, immobilier sont trois angles totalement imbriqués d’une seule et même réalité : l’espace de vie. A l’heure du droit - utopique et mensonger- au logement opposable (DAL), il est difficile d’aborder l’urbanisme sans évoquer son pendant complémentaire qu’est l’immobilier, avec ses paramètres et contraintes, le logement n’étant, finalement, que la résultante qualitative et quantitative issue des choix opérés dans les deux autres champs. Cet article se décomposera en deux parties. La première partie sera plus orientée sur les constats liant urbanisme et immobilier, la seconde partie traitera des résultats et réactions à entrevoir pour infléchir les tendances à l’œuvre.

L’urbanisme : le parent pauvre des politiques publiques

L’urbanisme a souffert et souffre encore de la logique de planification globale faite à l’aveuglette et par patates thématiques dans les années 1960-1970 (zones commerciales, zones industrielles, zones d’habitat, âge d’or de la Datar) plus proches de la planification à la Sim City que la distillation parcimonieuse d’actions urbaines là où il le fallait.

La ville, et plus largement les agglomérations constituent le substrat d’études et d’action des compétences de l’urbanisme. Par conséquent, être un expert en urbanisme revient à être un acteur à la fois technique et politique, la subtilité résidant dans la position du curseur entre les deux compétences. La différence avec Sim City étant qu’en réalité, vous n’êtes pas du tout seul à décider !

En effet, l’urbanisme autrefois beaucoup trop technicisé et appartenant au corps unique des ingénieurs cubistes aux formes « rationnelles » et aux plans en damier, a été immédiatement transféré dans le courant des années 1970 aux acteurs politiques, et plus particulièrement aux maires, puis aux présidents d’EPCI.

Ce choix de faire de l’urbanisme une compétence publique n’est pas forcément obligatoire puisque dans les pays anglosaxons, « l’urban planning » relève avant tout des acteurs privés.

Si l’optimum se situe probablement entre public et privé, en France la maîtrise politique du champ de l’urbanisme a surtout eu pour but de limiter les projets « fous » type barres, tours, autoroutes en centre ville et autre urbanisme de « dalles ».

Cette maîtrise, salvatrice dans les années 1970, a ensuite grandement complexifié la donne freinant certes l’action des ingénieurs-techniciens (âge d’or du ministère de l’équipement, des ponts et autres TPE) mais aussi les bonnes pratiques... qui se faisaient ailleurs.

Qui sont les urbanistes ?

Les spécialistes de l’urbanisme, techniciens souvent pluridisciplinaires à la croisée de l’économie, de l’architecture, des transports ou de l’environnement, ne sont plus ce qu’ils pouvaient être il n’y a qu’une vingtaine d’années. Aujourd’hui ces urbanistes, universitaires généralistes dans leur grande majorité, sont des compensateurs d’excès, traducteurs de données spatiales et jongleurs sur la pluricompétences.

Leur problème ? Ils ne sont ni reconnus, ni bien payés, ni organisés.

Dépendants du politique, et bien souvent cloisonnés dans des administrations qui refusent la transversalité (parce que pilotées par les anciens cadre d’Etat reconvertis), ils sont préposés à produire des plans et autres schémas qui ne sont que des outils sophistiqués - et coûteux- d’aide à la décision pour des élus en mal de lecture de leur territoire pour leur prochaine mandature.

Stratégique, car agissant sur la morphologie de l’espace de vie (donc politiquement ultra porteur et visible), la technicité des urbanistes doit aujourd’hui se contenter de sanctuaires (les agences d’urbanisme), de niches exposées aux commandes publiques (bureaux d’études) et de services publics qui décidément n’arrivent pas à se moderniser pour croiser les approches et agir en logique de « projets » (donc casser les cloisonnements thématiques et hiérarchiques).

Bien sûr, il y a l’urbanisme de planification et l’urbanisme opérationnel. Ce dernier étant plus concret, plus porteur (SEM, architecture, promoteurs immobiliers) mais infiniment plus limité en postes, l’essentiel des acteurs de l’opérationnel étant trusté par les architectes (et donc urbanistes), les juristes et économistes de haut niveau.

Par ailleurs, l’opérationnel paye beaucoup mieux que la planification, pour la simple et bonne raison que dans un cas il y a concrétisation du travail et dans l’autre absence d’organisation opérationnelle pour donner vie et suivi à la planification.

La pluridisciplinarité de l’urbaniste est une force peu rémunératrice

Aujourd’hui c’est un plan Marshall dont l’urbanisme a besoin, évoque J. Frebault (expert urbaniste) dans son courrier au ministre des Transports et de l’Equipement, M. Perben, de septembre 2006 (Gazette des communes, septembre 2006), et il n’a pas tort.

Les mécaniques à l’œuvre depuis plusieurs dizaines d’années devraient pourtant amener les pluridisciplinarités à se retrouver autour d’une table pour évoquer la maîtrise du foncier lorsqu’une autorité organisatrice planifie une ligne de transports en commun ou même pour cartographier les couches de la ville (SIG) afin d’optimiser les actions et de limiter les coûts.

Mais l’organisation administrative, les échelons et périmètres administratifs coupent les efforts de ceux qui agissent sur des espaces géographiques organisés et rationnels qui ignorent les périmètres aléatoires d’une organisation française kafkaïenne.

Alors, au lieu de faire du renouvellement urbain en lien avec les promoteurs immobiliers, le tout pour produire du logement à coût maîtrisé (et accession sociale), on a attendu que l’essentielle des parcelles porteuses soient construites et vendues à prix d’or, on a mis en place des PLU malthusiens (ultra restrictifs), on a cherché à tout préserver (arsenal des ABF et autres périmètres de sauvegarde), on a fait du tout bagnole et de la ville nouvelle ex nihilo, sans essayer de comprendre qu’il fallait s’adapter faute de quoi, les individus trouveraient d’autres solutions.

A défaut d’avoir un urbanisme rationnel et organisé (modèle allemand ou hollandais, là où il n’y a pas de demande de permis de construire mais une définition des zones où il est permis de le faire), on a laissé les mécaniques de marché et d’immobilisme faire leur chemin.

- La première mécanique, celle de marché, a complété un étalement urbain insufflé par l’usage de la voiture particulière et non canalisé par une politique ambitieuse de transports (voir Suisse ou Japon). Les citoyens pouvant se rendre rapidement en centre-ville ont préféré acheter leur pavillon à la campagne, pressurisant des villages souvent peu préparés à ces arrivées massives d’habitants, et occasionnant des externalités fortes (extension coûteuse des réseaux, congestion routière, pollutions, ghettoïsation mono fonctionnelle, manque d’équipements, etc.).

- La seconde mécanique, parfaitement complémentaire, a été de préserver à outrance des espaces qui auraient pu évoluer. La préservation entraînant la rareté, les prix immobiliers se sont envolés, activant d’autant plus la centrifugeuse qui marginalise socialement et spatialement ceux qui n’ont pas les moyens financiers pour faire le choix de leur lieu de vie. L’immobilisme se traduisant également par la détérioration mécanique de ce qui n’avait déjà pas été une réussite, à savoir les banlieues résidentielles et autres lotissements vendus à prix d’or mais réalisés à l’arrachée.

Les absences de l’urbanisme ouvrent la voie à la hausse de l’immobilier

L’absence d’action forte sur l’urbanisme est aussi l’un des facteurs qui a permis à l’immobilier de s’envoler (voir article du Monde du 20/01/07 sur les « records des prix immobiliers ), d’autant plus que la faiblesse de l’action publique pour maîtriser le foncier a été caractéristique d’une vision à court terme ne donnant pas les marges de manœuvre aux élus suivants pour agir sur leur territoire.

Si certaines villes, comme Grenoble, Lyon ou Nante, ont progressé nettement dans ce domaine (acquisition de foncier pour réaliser des projets et des plus-values qui permettent par exemple de produire du logement social), d’autres ont laissé les choses couler, faisant des quartiers riches des quartiers encore plus riches, et des quartiers pauvres, des zones encore plus pauvres.

Des outils existent pourtant, qu’il s’agisse de la programmation de zones d’aménagement concerté (ZAC), du renouvellement urbain (du GPV-ORU en passant par l’aménagement des places et carrefours), de l’amélioration qualitative des espaces (éclairages, végétaux, partage modal de la voirie) ou même de la réalisation de lignes de transports en site propre : il est possible de moderniser la ville pour proposer du « mieux social, économique et environnemental ».

De puissante mécaniques à l’œuvre profitant de la non-action

Lorsque la puissance publique, ou plutôt le conglomérat de petites actions publiques, est défaillante, seule la loi du marché s’applique, ce qui revient à dire la loi des acteurs économiques les plus puissants.

Puisque l’action publique, les règles du jeu (la définition et l’attribution des permis et zones de construction) et les acteurs publics eux-mêmes ne s’investissent plus pour faire de la politique urbaine, les promoteurs privés se chargent eux-mêmes de définir les priorités.

Et parmi ces promoteurs privés, il faut entendre d’une part ceux qui construisent pour faire de la marge de rendement, et d’autre part ceux qui investissent pour dégager des plus-values.

Lorsque le public démissionne des ses rôles régaliens et d’anticipation, le marché privé s’empresse d’utiliser ses leviers financiers pour dégager des marges, pour en vivre et mieux investir par la suite, alimentant ainsi la machine de l’immobilier à la hausse. L’adéquation de l’offre et de la demande ne pouvant être à un équilibre parfait, il suffit de jouer la carte d’une offre toujours limitée face à une demande de plus en plus individualisée et dédoublée par un marché d’investisseurs déjà propriétaires pour alimenter l’envolée des prix de vente.

Soutenue par des prix de matières premières toujours plus élevés et une main-d’œuvre toujours plus chère (même si on l’exploite toujours autant), l’envolée de la valeur « virtuelle » du foncier se couple avec l’envolée de la valeur réelle des « murs » pour amener à la situation que nous connaissons : doublement des prix de l’immobilier entre 1998 et 2006, parfois plus.

La hausse alimentant la hausse et les convoitises, les revenus du patrimoine ne cessent de s’accroître face aux revenus du travail, créant ainsi une source de rémunération « passive » bien plus puissante pour ceux qui en bénéficient que leur propre travail. Parallèlement, ceux qui ne possèdent pas, et n’héritent pas, subissent une double dépréciation, la première par l’absence de revenu issu du patrimoine, la seconde par l’accroissement du poids de l’immobilier dans le budget de la personne ou du ménage.

Les résultats sont sans appel : creusement des inégalités à partir du marché du logement, entre ceux qui en vivent et ceux qui de leur vivant ne pourront y prétendre.

Au Japon, certains appartements et prêts se remboursent en plusieurs générations !

Faut-il en arriver là ou bien maîtriser les prix du l’immobilier ?

Puisque le logement n’est pas un marché comme les autres, parce qu’il s’agit de la pierre angulaire de la vie d’un individu avec l’emploi, il me semble plus rationnel de limiter les velléités spéculatives et d’inciter la puissance publique à se structurer pour à nouveau investir le champ de l’urbanisme, et par ce biais de l’immobilier.

Cela est d’autant plus vrai dans des communes « touristiques » où parfois plus de 50% des propriétés n’appartiennent plus à des Français, mais à des étrangers.

Doit-on laisser l’immobilier français se mondialiser à ce point ? N’y a-t-il pas des taxes-droit d’entrée et/ou limites à inventer pour conserver notre patrimoine, tout en limitant les excès dont on sait qu’ils conduisent au bout de la chaîne à la tente rouge Décathlon sur les bords de Canal Saint-Martin ?

Néanmoins, le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ce ne seront pas les notaires, les promoteurs, les fonds de pension et les multipropriétaires, dont les « bailleurs de logements étudiants de masse à loi de Robien » qui se plaindront d’une telle envolée de l’immobilier... Certains pensent même qu’il s’agit d’une bonne chose puisque cela donne des patrimoines à ceux qui ont fait le choix à une époque de devenir propriétaires... Encore faut-il que ce « réajustement » se fasse dans des proportions rationnelles, ce qui n’est pas le cas puisque le bénéfice des uns se traduit par un lourd coût pour l’ensemble du système.


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