Lucie Aubrac, l’abbé Pierre et l’identité nationale
par Jean-Dominique Reffait
vendredi 16 mars 2007
A quelques semaines de distance, Lucie Aubrac vient de rejoindre l’abbé Pierre au panthéon de la nation reconnaissante. Deux grands résistants, deux figures reconnues par les Français pour le courage et la permanence de leur engagement. Deux grandes figures de l’identité nationale...
Ils sont nés en 1912 tous les deux, à deux mois d’intervalle. Tandis que l’une s’extrait de son milieu rural pour devenir agrégée d’histoire, l’autre, issu d’une famille aisée, renonce à la richesse pour devenir capucin et pauvre. Deux volontés qui s’expriment avec force contre les déterminismes sociaux qui les voudraient conformes à leurs origines. C’est la Deuxième Guerre mondiale qui va cristalliser cette volonté farouche de refuser l’inéluctable, attitude qui va déterminer la suite de leur vie. Tandis que Lucie Samuel prend le nom de Lucie Aubrac dans la Résistance, Henri Grouès choisit celui d’abbé Pierre en 1942. Dès lors, il ne seront plus connus du public que sous leurs pseudonymes de résistants. Cette nouvelle identité va constituer le fil rouge de leur exigence : chaque jour, il leur faudra être digne de l’identité qu’ils ont érigée en symbole. Celui qui croyait au ciel, celle qui n’y croyait pas, le curé et la communiste suivront désormais des routes étrangement parallèles.
Personne ne conteste aujourd’hui que ces deux figures représentent au plus haut degré la défense et la dignité de l’identité nationale : le refus de la soumission, les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, une écoute constante des autres, un amour original de la France. Pour eux deux, la France n’étaient pas une idée abstraite, leur engagement ne se référait pas à une vision légendaire et éternelle d’une France de Clovis, non, leur France était celle de ceux qui l’habitaient, ici et maintenant : l’abbé Pierre entre en Résistance pour sauver des juifs, Lucie Aubrac prendra les armes pour sauver son mari et un groupe de résistants prisonniers de Barbie. Dès lors, leur esprit de résistance va se tourner vers les hommes, les femmes et les enfants de ce pays. L’identité nationale, pour eux deux, c’est le respect de l’identité de chacun en ce pays.
Cet amour de la France des gens les pousse sur deux voies parallèles. L’abbé Pierre s’engage en faveur des mal logés et son appel de 1954 fait prendre conscience aux Français de la misère qui tue, près de chez eux, du fait de l’égoïsme silencieux de chacun. Lucie Aubrac s’engage, quant à elle, en faveur des indépendances dans les colonies, au Maroc et en Algérie. Là encore, l’idée d’une France toujours victorieuse et puissante en prend un coup, mais ce coup est salutaire. Ils vont avoir contre eux les nationalistes de tous poils, ces héritiers de Maurras et de Vichy. Ils iront plus loin : l’abbé Pierre défend les droits des militants terroristes des Brigades rouges en Italie tandis que Lucie Aubrac demandaient récemment la libération des militants d’Action directe. Leurs chemins se croisent enfin dans leur dernier combat, en faveur des sans-papiers.
Lorsqu’aujourd’hui, en période électorale, certain candidat évoque l’identité nationale de façon restrictive, en liant cette haute idée à l’immigration, il convient de se choisir les bons modèles. Force est de constater que ces deux personnalités s’identifient à la France, celle de l’union nationale et du sacrifice pour défendre cette union. Ils s’identifient aux valeurs qui font la France et, notamment, sa capacité d’accueil et d’amour, véritable spécificité française. Oui, chacun d’eux a représenté la France rebelle et républicaine, généreuse et accueillante. Loin, très loin, des héritiers nationalistes de Vichy et du renoncement, loin des replis frileux et des légendes éternelles. Ils ont représenté une France vraie.
Nous n’avons pu entendre les voix de l’un et de l’autre sur cette idée vichyste de ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Ils sont nés et morts en même temps. La nation leur rendra hommage, unanime. Qu’elle n’oublie pas leur message puissant et original.