Il
s’appelle Issa. Il appartient à un groupe de rebelles dans son pays, le
Tchad, où le régime du président Idriss Déby est responsable, depuis
l’avènement de ce dernier en 1990, de la mort de plus de 25 000
personnes, avec la bénédiction et l’appui de la France. Issa décide de
fuir le jour où les services de renseignements font procéder à des
arrestations parmi ses camarades. Le 24 février 2007, il arrive à Orly
et dépose aussitôt une demande d’asile politique. Rejetée par le
ministère de l’Intérieur le 27 comme "manifestement infondée".
Il refuse par deux fois d’embarquer mais est finalement expulsé vers le
Tchad le 6 mars. Le lendemain, son frère, réfugié statutaire en France,
reçoit un appel téléphonique de lui : emprisonné au commissariat
central de N’Djamena, il a emprunté le portable d’un co-détenu. Il a
été arrêté par la police dès son arrivée à l’aéroport. La ligue
tchadienne des droits de l’Homme a pu vérifier qu’Issa est
effectivement en détention. Les dernières nouvelles, reçues le 13 mars,
sont inquiétantes : privé de nourriture et donc très affaibli, il
n’avait pu prendre contact avec un avocat, aucune procédure ne lui
ayant été notifiée. Voilà comment "la France des droits de l’Homme d’après" renvoie les victimes vers leurs bourreaux.
Il
s’appelait Elanchelvan Rajendram. Fuyant les persécutions au Sri Lanka,
il était arrivé en France en 2002. Débouté du droit d’asile l’année
suivante, au contraire d’une partie de sa famille réfugiée à
Strasbourg, il a été expulsé en août 2005, malgré le danger encouru
pour lui dans son pays : "Nous voyons passer beaucoup de Sri Lankais d’origine tamoule. Nous
savons ce qu’ils endurent. L’oncle d’Elanchelvan installé à Hautepierre
a été torturé en détention. Le certificat médical qui décrit les
séquelles fait trois pages",
témoigne Simone Fluhr, membre du Collectif d’accueil pour les
solliciteurs d’asile à Strasbourg, qui l’avait assisté en vain dans ses
démarches. "Je savais qu’il serait en danger là-bas. Il avait déjà
perdu deux frères. Et l’un d’eux était membre des Tigres-tamouls. Je ne
comprends pas pourquoi l’Ofpra ne l’a pas cru", se désole un de
ses amis, réfugié à Strasbourg, David Balathas. Pourquoi, en effet ?
Parce qu’une politique plus dure est désormais en vigueur à l’Office
français de protection des réfugiés et apatrides, visant à démasquer
les "faux réfugiés" et à les faire expulser. "Le volant d’immigration est entièrement alimenté par des flux que nous subissons, comme (...) les demandeurs d’asile",
a ainsi déclaré à l’assemblée nationale Nicolas Sarkozy. Précisant sa
pensée lors d’une conférence de presse le 11 janvier : "la procédure de demande d’asile n’est
plus une “fabrique à clandestins”. La politique de fermeté paye. La
lutte contre les détournements a permis une chute spectaculaire du
nombre des demandes d’asile adressées à la France". Au nom de cette "lutte contre les détournements",
92% des dossiers sont rejetés. Elanchelvan faisait partie du lot. Le 28
février dernier, à l’aube, alors qu’il sortait des toilettes installées
dans la cour de sa maison, il a été exécuté de six balles par des
militaires de l’armée sri-lankaise. Il "a rendu son dernier souffle dans les bras de sa femme. Sous l’oeil goguenard de ses assassins", précise l’article consacré à ce drame par Les dernières nouvelles d’Alsace : "Elanchelvan avait 30 ans. Il laisse derrière lui son épouse et une
petite fille âgée de trois mois ainsi que des parents brisés par la
perte de leur troisième et dernier fils".
Un rassemblement est organisé demain à 9h en sa mémoire, à Strasbourg,
place Broglie. Le message adressé au préfet sera l’arrêt de toute
expulsion vers le Sri Lanka.
Il
s’appelle Sedat Tastan. Ce jeune Kurde de 19 ans est arrivé en France à
l’âge de 14 et il vit avec ses parents, frères, soeurs, oncles et
tantes à Marseille. Il y est travailleur dans le bâtiment. Au Kurdistan
turc, il n’a plus que sa grand-mère de 90 ans. Et il y est considéré
comme déserteur, n’ayant pas accompli son service militaire, si bien
que tout retour au pays l’expédierait directement dans une prison
turque. C’est pourtant vers cette destination que les autorités
françaises ont tenté à trois reprises de l’expulser. Tabassé malgré sa
faiblesse, liée à la grève de la faim qu’il menait en signe de
protestation, drogué, Sedat a expérimenté tous les stratagèmes utilisés
par notre belle police. Mais il a tenu bon, aidé en cela par la
mobilisation des militants du Réseau Education Sans Frontières, et par la réaction citoyenne de passagers ayant refusé de voyager en sa compagnie dans de telles conditions. "Après 20 jours au centre de rétention de Marseille, 10 jours de grève
de la faim, 3 tentatives d’expulsion par avion avec violences
policières avérées et une nuit en prison à Meaux (78), Sedat ressort
libre ce lundi 19 mars du Tribunal de Bobigny", annonce dans un communiqué la section des Bouches-du-Rhône de l’association. Procès pour "refus d’embarquement" ajourné au 10 septembre prochain, à la demande de son avocat, le temps pour lui de régulariser sa situation administrative : "C’est un désaveu des
méthodes et de l’entêtement de la préfecture des Bouches du Rhône," juge RESF 13. Un ouf de soulagement, donc, mais le coup est passé bien près.
Voilà
où nous en sommes aujourd’hui en France, à la veille du départ du petit
Néron de son ministère de l’Intérieur. Un pays où l’on rafle 21 sans
papiers venus chercher à manger aux restos du coeur. Où l’on arrête des
parents et grands-parents venus chercher des enfants à l’école
maternelle. Où l’on ne craint pas de disperser les citoyens s’opposant
à ces ignominies à coups de gaz lacrymogènes, au milieu des parents
avec poussettes ! Où l’on met en garde à vue une directrice d’école
maternelle. Il suffit ! C’est le message porté par Serge Portelli,
vice-président au tribunal de Paris et président de la 12e Chambre
correctionnelle, dans son essai baptisé Ruptures, intégralement publié sur Bétapolitique : "Cette politique que Nicolas Sarkozy veut
amplifier, s’il est élu, par la création d’un grand ministère de
l’immigration et de l’identité nationale uniquement dédié à une chasse
encore plus implacable et inhumaine contre l’immigration clandestine,
conduit à un peu plus dégrader l’image de la France. Elle aboutit
surtout à faire de notre pays une immense machine répressive. Refusant,
par parti pris idéologique, de voir tout le bénéfice que peut nous
apporter la population immigrée, Nicolas Sarkozy propose de continuer à
mobiliser un appareil étatique extrêmement coûteux pour combattre des
illégalités qu’il crée lui-même". Tout sauf Sarkozy !
PS : à lire aussi, pour mémoire, Chronique d’une expulsion annoncée.