Quand Le Monde illustre le « phénomène Bayrou »

par Daniel RIOT
lundi 29 janvier 2007

« Entre Ségo et Sarko, je vote... Bayrou ».

La ringardise politique se glisse dans la droite anxiogène et faussement moderne et dans la gauche démodée et figée : elle n’est plus dans le centrisme devenu l’ extrême-centre révolutionnaire... L’offre Bayrou répond de plus en plus à une vraie demande citoyenne...

« Le Monde » consacre dans son édition datée de ce samedi une page entière à François Bayrou, ou plutôt au « phénomène Bayrou ». Car phénomène il y a. Un article original à partir d’ITW réalisées par Raphaëlle Bacqué. Des gens de toutes conditions et d’âges différents s’expriment en disant beaucoup de choses en peu de mots...

Déçus par le PS ou effrayés par la perspective de Sarkozy à l’Elysée, ils ont un point commun : « Entre Ségo et Sarko, je choisis... Bayrou ». A peine diffusé sur le web (réservé aux abonnés), cet article a déclenché une avalanche de réactions (le plus souvent favorables) et a vite été classé « article le plus envoyé » à des amis ou connaissances. En complément, Le Monde publie un petit reportage de Patrick Roger sur la « nouvelle UDF » qui mène une « campagne de la Renaissance ».

FORCES ET FAIBLESSES DE FRANCOIS-LE-BEARNAIS

Cette page du Monde est riche d’enseignements puisque les électeurs interrogés ne sont pas des militants UDF. La plupart des internautes non plus. Trois traits majeurs :


La mise en relief des atouts de Bayrou.

Sa franchise, ses mises en relief des vrais problèmes (de l’endettement, notamment), son refus des promesses non tenables, ses propositions institutionnelles, sa volonté de rompre avec un système et des mœurs politique qui nous plongent dans le désenchantement et le rejet de la politique, son refus de céder aux sirènes de la politique-spectacle et de la démocratie cathodique, son intransigeance sur les principes républicains et son culte de valeurs humanistes bien définies, son sens du respect du suffrage universel et des citoyens (recours au référendum sur l’Europe et les retraites par exemple, son souci de réconcilier la nation et la société, son engagement fervent mais réaliste pour une Europe forte donc politique, son souci de concilier liberté d’entreprendre et garanties sociales, sa volonté de dépasser des clivages politiciens d’un autre âge, le courage de sa démarche, sa conception intelligente de la laïcité, la cohérence et le sérieux du projet législatif de l’UDF... J’en passe !

La mise en relief des handicaps personnels de Bayrou et structurels de l’UDF.

Son « charisme de table basse ». Et les faiblesses en effectifs et en ressources de son « petit parti ». La mauvaise image du centrisme synonyme de « marais », de rassemblement de notables opportunistes : elle change mais elle lui colle à la peau et les récents transferts de quelques élus (Christian Blanc et Santini notamment) ne facilitent pas la tâche de celui qui veut incarner « un extrême-centre révolutionnaire » qui est aux antipodes du « centre mou » encore bien vivace et ambigu localement. Du coup, Bayrou reste souvent un choix par défaut et non par adhésion.

Ce dernier handicap est aggravé par un constat, une crainte et une peur :

- Sa poussée dans les sondages reste encore trop faible (et trop peu assurée) pour qu’il bénéficie de « l’effet boule de neige » et de la sympathie que provoque par mimétisme la montée en puissance d’un challenger ;

- Que Bayrou se rallie à Sarkozy en cas d’un duel UMP-PS au deuxième tour... Bayrou ne dit rien sur une telle perspective puisqu’il se bat pour être de ce deuxième tour. Il y croit, ni par naïveté ni par optimisme, mais par volonté et détermination ;

- Que voter Bayrou fasse le jeu de Le Pen et que celui-ci réussisse son coup de 2002.

Interrogée par Le Monde, l’écrivain Christiane Coulanges résume bien le dilemme de nombreux électeurs :
« J’ai toujours voté socialiste, j’ai même fait partie du comité de soutien à Lionel Jospin. Mais je suis aujourd’hui préoccupée, car je ne suis pas certaine que la candidate de gauche soit faite pour être présidente. Et puis, il y a quelque chose de démodé dans le discours de gauche. Je ne suis pourtant pas disposée à voter Sarkozy. Il me reste donc Bayrou... En même temps, je suis terrifiée à l’idée que la gauche éparpille ses voix et envoie une nouvelle fois Le Pen au second tour. Imaginez mon dilemme ! »

Sur ce point, Bayrou l’a dit et redit : voter Le Pen, c’est voter pour un statu quo profitable au duo des deux partis qui co-gèrent la crise (en l’aggravant) depuis 25 ans. L’épouvantail Le Pen est d’ailleurs cultivé par la droite et la gauche à un moment où, dans les sondages, Bayrou creuse l’écart avec le patron du FN.

La métamorphose interne de l’UDF libre et rajeunie.

« Nous sommes en train de réenraciner l’UDF dans le territoire, se félicite Eric Azière, le spécialiste de la carte électorale du parti centriste. Quoi qu’il arrive, le soir du premier tour, on aura une idée précise du score et de l’influence de l’UDF dans toutes les circonscriptions et tous les cantons de France. Et, ajoute-t-il, nous aurons ainsi notre feuille de route pour les scrutins suivants  ».

UNE RECONQUETE TERRITORIALE

Il y a eu surtout (et cela s’accentue) une reconquête territoriale et un rééquilibrage de l’électorat

*Les élections régionales et européennes de 2004 ont fourni une première indication. Deux années plus tôt, l’UDF avait presque disparu de certaines régions, avec des scores d’à peine 2 % dans plusieurs départements. Il homogénéise désormais ses résultats sur l’ensemble du territoire, ne descendant plus au-dessous des 8 %. Il lui reste, encore, des terres de mission, notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Corse, où les principaux bastions de l’UDF étaient constitués par l’aile droite issue du Parti républicain. Mais avec ses 45 000 délégués cantonaux et son travail de terrain discret mais efficace, il est redevenu un parti vraiment national.

* La « nouvelle UDF » ne repose plus sur ses notables locaux. Ce sont des équipes totalement renouvelées qui se constituent. Ce sont elles qui peuvent rééquilibrer un électorat majoritairement urbain et fortement représenté dans les classes moyennes supérieures.

Selon l’enquête IFOP-Paris Match de janvier, le candidat centriste recueillait 23 % d’intentions de vote chez les cadres supérieurs et les professions libérales ; il pointait à 13 % chez les ouvriers et les employés, à égalité avec Jean-Marie Le Pen. Cet électorat-là est une cible prioritaire pour Bayrou dans les semaines qui viennent.

UNE CAMPAGNE DE LA RENAISSANCE

Autant dire que cette campagne de 2007 n’aura pas grand-chose à voir avec celle de 2002, dans laquelle ce qui restait de l’UDF était réduit à sauver les meubles. Cette fois, c’est une campagne de Renaissance.

Sur ce plan-là, Bayrou a réussi un premier pari qui n’était pas gagné d’avance. Son deuxième pari sera plus difficile encore à emporter.

Mais il peut s’en passer des choses en trois mois, surtout en cette époque où le zapping touche tous les domaines, y compris la politique ! En attendant la suite, il y a plus qu’un frémissement : le mot « centriste » fait de moins en moins sourire en coin ou hausser les épaules.

Avec sa simplicité et sa sincérité, Bayrou rend « ringards » celles et ceux qui s’occupent plus des « couvertures en papier glacé » et d’exposer leur « bon profil » aux caméras que de présenter avec clarté et pédagogie les problèmes et leurs solutions.

LE MEILLEUR CANDIDAT OU LE MEILLEUR PRESIDENT ?

Les modes, par définition, se démodent. L’image de Bayrou dans les Guignols et les plaisanteries sur ses grandes oreilles rendent ringards ceux qui en rient encore... L’offre Bayrou répond de plus en plus, semble-t-il, à une vraie demande : les experts en communication de Ségo et Sarko ne l’avaient pas prévu ! Les politologues non plus.

Mais le Béarnais connaît trop Henry IV pour savoir qu’il ne faut pas manger la poule au pot avant qu’elle soit cuite et que « les déplaisirs talonnent toujours les contentements ». Il sait surtout, comme le roi au panache blanc, qu’un « acte vaut cinq dires ». En cette époque où le dire compte trop par rapport au faire, c’est pour lui un excellent atout. Le meilleur peut-être... Surtout si une prise de conscience majeure se développe : les présidentielles ne consistent pas à récompenser le meilleur candidat selon les critères du « star-système » et de la « démocratie cathodique », mais à choisir le meilleur président. Le plus crédible. Le plus rassembleur.Le plus conscient des vraies réformes en profondeur à faire. Le plus digne de confiance pour diriger et représenter la France et les Français dans cette Europe incertaine et dans ce monde en révolution permanente.

Daniel RIOT


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