Sus aux slogans !
par Arnault Coulet
vendredi 1er décembre 2006
C’est parti. Maintenant que les deux « gros » candidats sont en lice pour la campagne présidentielle, les appareils de campagne commencent à tourner à plein régime. Voici venu le temps des communicants et de leurs slogans, qui risquent d’occulter le débat d’idées.
C’est une tradition politique ritournelle : un bon candidat à la présidentielle a un bon slogan. Les affiches vont commencer à pulluler sur les murs de France et de Navarre, en présentant la bobine sympathique du prétendant et son slogan accolé. Tout cela ne vole pas plus haut que la publicité pour les lessives, mais un « bon » slogan peut faire gagner ou perdre une élection. Malheureusement. Tout le monde se souvient évidemment de la force tranquille de Mitterrand en 1981, et de cette affiche concoctée par Jacques Séguéla présentant le visage serein du futur président sous fond de douceur villageoise. Ce que l’on sait moins, c’est que le slogan de Giscard était très mauvais, au point de cultiver l’ambiguïté sur ses compétences : Il faut un président à la France. Quid ? La France avait-elle eu, de 1974 à 1981, un président médiocre du nom de Giscard d’Estaing ?
Toujours est-il que la tradition se perpétue, ce qui m’amène justement au slogan de Nicolas Sarkozy, tout frais émoulu de la presse régionale de jeudi : la rupture tranquille. La tranquillité semblerait donc être une qualité requise et nécessaire pour devenir président de la République. Le mariage des deux mots est audacieux, mais la noce de la force et de la tranquillité ne l’était-elle pas ? Et puis, c’est bien connu, les meilleures publicités sont celles qui concilient les opposés : Karl Marx qui brandit une faucille et un marteau sertis de diamant, par exemple, pourrait aussi bien réconforter les déçus du communisme que rassurer les aficionados de l’économie de marché. Tout le monde est content. Et tout le monde en prend pour son grade, car cette volonté de concilier l’inconciliable finit par brouiller toutes les cartes. C’est la fin annoncée du débat d’idées. Mais peu importe pour les candidats, car il s’agit de prôner le rassemblement de tous les Français : Sarkozy réaffirme sa volonté de "rompre avec une façon de faire de la politique", de proposer "une autre vision de la France" où "tout peut devenir possible" et d’incarner le mouvement face à un Parti socialiste qui a, selon lui, "choisi l’immobilisme". Mais il s’efforce en même temps de rassurer ceux que cette volonté de rupture pourrait effrayer : "Je veux une rupture tranquille". Pour Ségolène Royal aussi, le slogan est de mise : « l’ordre juste » et le nouveau slogan de campagne « le progrès pour tous, le respect pour chacun » ont des contours si imprécis que cela en fait justement de bons slogans. Car l’objectif est bien celui-ci : tracer une ligne d’horizon politique imaginaire qui rassemble tous les Français, au risque de ne plus rien y comprendre.
Le plus regrettable, c’est que le débat se focalise sur ces jeux de mots puérils. Quand Sarkozy reprend le slogan de Royal en affirmant qu’il défend depuis toujours « l’ordre juste », celle-ci réplique immédiatement en condamnant le « désordre injuste » de la politique de son adversaire. Un partout, balle au centre. Mais voilà qu’hier, en annonçant sa candidature officielle dans la presse régionale, Sarkozy en profite pour placer une pique : "L’ordre juste, c’est juste de l’ordre. »
Le plus regrettable, c’est que si la bataille des slogans désigne un vainqueur, ce sont toujours les Français qui en sortent perdants. Il est temps de décrypter les projets de société des candidats. A la bataille des slogans, préférons la bataille des idées. http://www.sitoyen.fr