Travailler plus pour gagner plus ?

par Luc Peillon
mardi 27 mars 2007

6 mai 2008, 19h45. Ghislaine est avachie dans le RER. Elle est épuisée. Dans le train qui la ramène en grande couronne, elle tente de soulager son poignet. Elle le masse, doucement, comme le lui a conseillé son médecin. De toute façon, elle devra y repasser, sur le billard. Une nouvelle opération du canal carpien pour soigner ce trouble musculo-squelettique (TMS), première maladie professionnelle en France, autrement appelé « mal des cadences ». Un mal qui s’est douloureusement réveillé chez Ghislaine depuis que celle-ci a augmenté son temps de travail. Caissière au Maxiprix du boulevard Saint-Martin, à Paris, elle a dû revenir, sur « invitation » de son patron, aux 39 heures. « Travailler plus pour gagner plus », le slogan résonne encore dans sa tête, un an après la campagne présidentielle. Pourquoi pas ?, s’était-elle dit à l’époque. Mais celui qui gagne plus, pour l’instant, c’est le gérant du magasin. Les quatre heures supplémentaires, au-delà de 35 heures, ont été, comme promis, exonérées de cotisations sociales (1). Un très gros avantage pour Maxiprix, un tout petit pour elle, dont elle se serait bien passé, tant ces quatre heures de travail en plus la font rentrer à point d’heure. Et payer un peu plus la nounou. Le patron, depuis, a d’ailleurs gelé les salaires. Si bien que le bonus se résumera à peau de chagrin, quand bientôt il sera mangé par l’inflation. Le problème de Ghislaine, c’est aussi Maryse. Sa meilleure copine. Celle de la caisse numéro 12, juste à côté. Maryse a été licenciée. Repasser aux 39 heures a, en effet, augmenté mécaniquement le temps de travail de 10%. Mais la charge de travail, elle, n’a pas progressé pour autant. Résultat : le magasin s’est séparé de 10% de ses caissières. Dont Maryse. Les 10% de licenciées ont initié un mouvement de grève et toutes les copines se sont montrées solidaires, mêmes celles qui n’étaient pas touchées par le plan social. Mais comme promis par le candidat, elles ont dû organiser un vote à bulletin secret sur la poursuite de la grève (2). Résultat : 10% de oui, 90% de non...Les copines ont dit qu’elles étaient désolées, mais toutes ont juré qu’elles avaient voté « oui ».
C’est pourtant Maryse qui avait été séduite par les propositions du candidat « travailler plus pour gagner plus ». Aujourd’hui, Maryse est à la maison, au chômage. Elle ne travaille plus, et surtout ne gagne rien. Ses allocations, comme promis, ont été supprimées, après ses deux refus de propositions faites par l’antenne ANPE (3). Mais comment, à 53 ans, et avec son mal de dos, accepter le job de livreuse en scooter ou celui de technicienne de surface dans le métro ? Maryse, sans allocation, a basculé sur les revenus d’assistance. Ceux-ci ont également chuté. Comme promis, son candidat a voulu « élargir la différence entre revenus du travail et revenus de l’assistance » (4). Mais comme les revenus du travail n’ont pas vraiment augmenté, ce sont ceux de l’assistance qui ont baissé. Maryse au chômage a sombré dans la pauvreté. Ghislaine enchaîne les heures supplémentaires, sans gagner beaucoup plus et en mettant sa santé en danger. Le dirigeant de Maxiprix, lui, est un homme heureux.

Luc Peillon, journaliste

(1) : proposition 2 du volet social du programme de l’UMP, (2) : proposition 18, (3) :proposition 7, (4) : proposition 5.


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