Un humanisme qui date
par Philippe Bilger
lundi 16 avril 2007
A l’exception d’une minorité d’excités et d’énergumènes, la société française accepte le bien-fondé et la légitimité d’un socle républicain minimal : respect de la loi, tolérance, nécessité d’intégrer ceux qui le désirent vraiment, refus du racisme, laïcité bien comprise. Un humanisme adapté à la quotidienneté, sans grands mots ni principes ronflants mais une sorte de code du vouloir et du savoir vivre ensemble.
Je ne crois pas, sur ce plan, me bercer d’illusions. C’est peu mais c’est déjà beaucoup que cette adhésion à quelques règles basiques. Celles-ci n’imposent pas d’aimer son prochain ni de dorloter autrui mais de le traiter avec une neutralité au moins polie.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, pour faire admettre l’essentiel que je viens de rappeler, il convient de ne pas jeter un certain type de langage sur le feu, de ne pas provoquer, par l’excès, une réaction inverse qui risque d’être elle-même démesurée.
On est revenu des vieilles lunes et des catéchismes démocratiques. Bernard Stasi, dont le courage m’a toujours plu, a écrit il y a longtemps un livre pour décrire l’immigration comme "Une chance pour la France". Exprimée de la sorte, cette incantation était déjà vide de sens à l’époque. Aujourd’hui, elle devient carrément absurde.
Aussi, lorsque Dominique Voynet la reprend à la Courneuve ou que Ségolène Royal vante avec lyrisme "la France métissée" en célébrant le bonheur d’un tel mélange et en nous renvoyant, à nouveau, aux horreurs de l’esclavage, on se demande si la formulation de ces valeurs n’est pas à ce point caricaturale, outrancière, naïve, qu’elle ne va pas aboutir à une révolte contre ce qu’elle prétend nous vendre. Qui peut encore soutenir aujourd’hui, avec ce style, que les problèmes résultant de l’immigration et auxquels tous les politiques sont confrontés, et les citoyens avec eux, représentent une merveille pour la France et une assurance de tranquillité et d’harmonie pour notre pays ?
Il est des mots qui ne passent plus et font mal au travers de l’esprit. Pour corriger une réalité qui n’est pas assez morale, on veut faire la morale à la réalité. Cela tourne à la catastrophe. Il faut savoir le dire autrement. Il faut inventer un langage, une expression qui ne rendent pas ridicules les valeurs auxquelles presque tous, tant bien que mal, nous nous accrochons.
Il faut relooker l’humanisme. Cela impose, d’abord, de cesser de se gargariser le coeur avec ce devoir ressassé de mémoire et de repentance qui satisfait le goût pervers pour le masochisme des démocraties qui ne croient plus trop en elles.
Il faut des mots nouveaux sur les belles exigences et pensées anciennes. Sinon, on oubliera celles-ci. La démocratie aussi a le droit d’être in.