Une droite dangereuse ?
par KOUINO
vendredi 5 mai 2006
La droite française, malgré la gravité de ses errements répétés, continue d’occuper à elle seule la totalité de l’espace politique français. Il y a plusieurs raisons à cela.
Une de ces raisons n’est pas liée au sujet politique à proprement parler, mais plutôt à son organisation. La désorientation globale de la société, liée à la crise et aux impuissances des politiques, a renforcé considérablement le pouvoir des médias. Paradoxalement, elle a renforcé aussi l’emprise de la droite sur la société, au détriment de la gauche. Non pas parce que les médias, dans leur ensemble, leur seraient a priori favorables, mais parce que ces médias sont toujours aux côtés des plus forts. Ils sont les principaux vecteurs de la pensée unique, parce qu’ils n’ont pas pour objet de rendre compte d’une diversité, mais plutôt de s’adresser au plus grand nombre à travers un prêt-à-penser. En résumé, ils ne prêtent de bonnes intentions... qu’aux riches, et n’aiment... que les forts en gueule.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, alors que les enjeux écologiques sont devenus des enjeux fondamentaux aux cours des dix dernières années, les partis écologistes ont quasiment disparu de la scène publique française. De fait, la faiblesse des partis est telle que lorsqu’ils ne sont plus en situation d’exercer un pouvoir, ils n’existent plus. Le Parti socialiste n’existe plus, lui non plus. Il ne choisira pas son candidat aux prochaines élections présidentielles. Ce sont les médias qui l’ont fait pour lui. A l’heure de la société d’information, il n’y a plus de place pour le renouvellement des idées. C’est, bien évidemment, éminemment grave, car les chroniques judiciaires, ou les polémiques infinies sur le thème de l’immigration, sujets qui occupent l’essentiel des colonnes de nos journaux, sont des problèmes mineurs dans le contexte des immenses défis que la globalisation économique engendre. La scène politique est à réinventer. Mais arrêtons-nous là, ce n’est pas l’objet de cet article (voir article du même auteur en rubrique Médias - " Ils ... font et défont les princes ".
Une deuxième raison permettant d’expliquer l’omniprésence de la droite sur la scène politique est que les Français, depuis longtemps maintenant, ne savent plus dissocier ce qui sépare la droite de la gauche. La croissance économique de l’Après-guerre et l’équilibre des forces politiques avaient favorisé l’éclosion d’une démocratie apaisée, qui avait su réconcilier économie et politique, création de richesse et partage. Cet édifice a été bousculé par la crise. L’effondrement du mur de Berlin et la peur du chômage ont fait le reste. Les Français vivent toujours dans l’illusion que création de richesse engendre redistribution. Ils n’ont plus d’yeux que pour le dieu Croissance. Mais cela ne correspond pas à la réalité. Malgré la reprise, il n’y a pas de redistribution des dividendes de la richesse, et l’emploi industriel, avec ou sans croissance, continue de régresser.
Le monde vit à nouveau un temps de déséquilibre des forces entre le capital et le travail. Les Français vivent dans la nostalgie d’un temps politique qui n’existe plus. S’ils acceptent l’idée qu’un parti puisse dire à la fois tout et son contraire, comme le fait le parti dominant aujourd’hui, c’est parce qu’il est à l’image de leur propre confusion. Le discours de Nicolas Sarkozy sur la rupture n’est qu’un gadget électoral, mais il y a quelque chose de vrai dans ce discours. La droite aura eu la sagesse, au cours des dix dernières années, de faire du surplace pour pouvoir mieux courir derrière un électorat qui ne voulait rien savoir. La droite, la vraie, elle est pour demain, et les Français n’ont pas encore suffisamment compris ce qui la différencie de la gauche.
Le surplace, cela n’existe pas. Au cours des vingt dernières années, si la machine économique s’est remise en marche à l’échelle du monde, la machine politique, elle, s’est dangereusement grippée. Le monde est redevenu violent. Poutine et ses Tchétchènes, Georges Bush et ses terroristes, Ariel Sharon et son mur de séparation, Nicolas Sarkozy et sa racaille ; à l’heure de l’exclusion économique, le pouvoir ne se prend plus qu’en distillant la haine. Mais la haine s’étend comme une poudrière. A l’évidence, sauf pour tous ceux qui ne veulent rien voir ni rien savoir, le schéma incontrôlable qui se déroule en Irak aujourd’hui est en train de s’étendre à l’ensemble du Moyen-Orient, et poursuivra son chemin.
Les raisons qui ont fait que la guerre d’Irak était une guerre illégitime sont tout aussi vraies pour les autres conflits qui se préparent, y compris en Iran. Le monde moderne est en train de déposer sur la surface du globe des bombes à retardement de toutes sortes, civiles et militaires. C’est à travers le terrorisme que nous semblons (enfin !) en prendre conscience. Le nucléaire, quel qu’en soit la forme, est dangereux pour ce qu’il est, mais aussi et surtout parce qu’il représente un enjeu de pouvoir. L’idéologie de nos faiseurs de guerre les conduit à une nouvelle forme de classification des hommes et des Etats : Il y a les nations fragiles (les nations riches). Et puis il y a les nations faibles (les nations pauvres). Cette petite différence sémantique est essentielle. Car elle est suffisante pour déclencher le besoin de séparation (expression si chère aux responsables politiques israéliens). "Il nous faut terroriser les faibles pour nous mettre à l’abri de leur terreur potentielle", nous dit-on en substance. Il y a ceux qui, au nom de la liberté, ont le droit de disséminer le danger partout dans le monde, qu’il soit civil ou militaire, et ceux qui, au nom du principe de sécurité, n’ont aucun droit, du tout. Dans un tel schéma, les faibles sont condamnés à vivre derrière des barbelés, non pour ce qu’ils sont, mais à cause d’une fragilité qui ne leur appartient pas. Les Palestiniens ont bien raison d’utiliser le terme " d’apartheid " pour qualifier leur situation actuelle.
A l’heure de la globalisation des échanges, une telle idéologie raciste ne peut conduire le monde que vers une guerre globale. Ceux qui pensent pouvoir se mettre à l’abri se font de lourdes illusions. Les dangers du monde contemporain ne viennent pas de l’obscurantisme des faibles, mais de celui des puissants. La guerre et la démocratie ne sont pas deux objets politiques compatibles. La globalisation économique a pour corollaire un besoin de renouvellement des règles du jeu politique à l’échelle de la planète tout entière. Le monde a besoin de plus d’ONU, et non de plus d’OTAN. Et cela, l’Amérique de Georges Bush ne le veut à aucun prix. C’est cela, l’enjeu principal du combat politique contemporain.
Si l’on compare, sur trente ans, les courbes de popularité de Jean-Marie Le Pen et celles de Jacques Chirac, on s’aperçoit qu’elles ont suivi deux pentes ascendantes strictement parallèles. L’extrême droite aura été le faire-valoir de la droite française dans sa conquête du pouvoir. Quel sera le prix à payer pour cet héritage ? La révolte des banlieues est une partie de la réponse. L’avenir nous dira plus globalement ce qu’il en est, mais là n’est pas le principal enjeu de la présence de la droite sur la scène politique aujourd’hui. Le danger du retour de la droite au pouvoir vient plutôt de l’étroitesse d’esprit d’une famille politique qui n’a pas d’autres projets, ni d’autres ambitions, que celle d’être l’amie des puissants du monde.
Le vrai patron de l’UMP habite de l’autre côté de l’Atlantique. A l’heure de la globalisation économique et du retour de la lutte sans merci des faibles contre les forts, ou plutôt des forts contre les faibles, il ne peut y avoir qu’un seul centre de pouvoir politique dans chaque camp. C’est d’ailleurs pour cela que Georges Bush tient tant à donner un nom, et un seul, à l’ennemi invisible qu’il s’est désigné en la personne de Ben Laden. L’ironie et le paradoxe de cette montée en puissance de l’expansionnisme politique américain, c’est que ceux qui lui auront le mieux résisté seront venus des rangs d’une droite issue de la vieille Europe, comme l’a si bien dit Donald Rumsfeld, en l’occurrence, Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Combat d’arrière-garde, résidu d’une conception politico-diplomatique du temps passé, soyons-en sûrs, cette résistance ne se renouvellera pas. Il n’est que de voir, pour s’en convaincre, l’état de renoncement de l’Europe face à l’aggravation du conflit israélo-palestinien. Promis, juré, Nicolas Sarkozy ne mangera pas le même pain que ses prédécesseurs. Ce sera une soumission pleine et entière à la puissance. Sa rupture, ce sera au moins cela. Faire de la politique, c’est savoir dire qui sont ses amis et qui sont ses ennemis. Nicolas Sarkozy a choisi les siens. Il n’a aucun regard sur la violence que cette puissance induit.
La gauche est en coma profond. Ses dirigeants, pas plus que ses électeurs, ne savent où se situent leur droite et leur gauche. Le seul message que les médias aient véhiculé à propos de Ségolène Royal, depuis qu’elle est placée en orbite présidentielle, est son intérêt pour les politiques sociales de Tony Blair. Ce qui fait la singularité du parcours de Tony Blair ne tient pas à ses politiques sociales, quelles qu’elles soient, mais à son alliance avec Georges Bush. Un tel contresens à propos d’un homme, dont la vision politique est avant tout opportuniste, ne peut aider les Français à comprendre ce qui dissocie la droite de la gauche. Le temps de la pusillanimité est dépassé. Pour gagner un combat, il faut savoir dire ce qu’est son ennemi.
A l’inverse, le radicalisme de façade d’un Laurent Fabius, faisant au moment du référendum sur la Constitution européenne, le choix de voter avec tous ceux qui pensent que l’avenir du monde, c’est de construire des murs de séparation entre les peuples, est une aberration politique et une faute morale. Il aura prouvé là qu’il ne sait pas ce qu’est la différence entre un mouvement populaire et le populisme. Ce qui est valable pour Laurent Fabius l’est tout autant pour "la gauche de la gauche " : il est des promiscuités malsaines, révélatrices d’une impasse idéologique. Il est temps de remette en cause quelques-uns des substrats idéologiques de l’époque, issus pour la plupart de 68, dans lesquels la gauche a perdu son âme à force de renoncements idéologiques : 68, c’est le culte de la liberté et la distance prise par la gauche avec son histoire officielle. Mais à bien des égards, finalement, les libertaires (version gauchiste) et les libéraux (version Madelin) sont aujourd’hui exactement sur la même longueur d’ondes. Ils ne forment qu’un seul parti, auquel on peut amalgamer les adeptes du tout-sécuritaire, le "parti des victimes" (version Le Pen). Au total, cet ensemble milite pour une seule et même cause : la cause de l’individualisme-roi, ou dit autrement, le " parti des égoïstes ".
La dernière saillie des libertaires, à propos de leurs droits à caricaturer l’islam au risque de provoquer des émeutes à l’échelle de la planète, en dit long sur cet immense " parti des idiots " dont l’horizon mental ne dépasse pas de plus de 20 cm la périphérie de leur nombril. Le populisme, c’est un parti dont le seul objet politique est de dire : " Je suis une victime ". A l’opposé, un mouvement populaire a pour ambition de rassembler le plus grand nombre. Dans un monde dominé par l’exclusion, le seul projet politique qui vaille est celui qui a pour objet de construire de nouvelles solidarités entre les hommes à l’échelle de la planète entière. C’est cela, le chemin de la gauche pour demain. C’est le seul chemin raisonnable pour affronter la globalisation économique. Pour ce projet, les Français sont disponibles. Ils suffit qu’ils le comprennent. La droite, par ses excès, va les aider comprendre. La droite, c’est le parti de l’exclusion, de la violence, et de l’extrémisme.