Une énième potion d’Harry Potter : la coupe est pleine !
par Paul Villach
lundi 19 juin 2006
Impossible d’ y couper, même par temps de Coupe du monde de football, au lancement dans les supermarchés et les médias du nouveau DVD « Harry Potter et la coupe de feu » ! La coupe n’est pas pleine pour tout le monde. Rien ne paraît devoir arrêter cette incontinence. Il faudra la boire jusqu’à la lie.
Médias et éducateurs ne cessent pas, en effet, de se faire les hagiographes de cet insipide personnage, Harry Potter. Les raisons d’un tel engouement laissent pantois : le nombre de fans, de livres et de DVD vendus, le coût de réalisation des films ou encore le nombre de spectateurs, suffisent aux médias comme arguments, comme s’ils attestaient la qualité d’une œuvre ! L’avis du grand nombre est-il une garantie ? Les éducateurs, eux, font valoir la découverte du plaisir de lire chez des jeunes dont on sait qu’ils ne lisent pas, ou encore le plaisir du rêve qu’ils trouvent dans ces aventures. Seulement doit-on lire pour lire ? Mange-t-on pour manger ? Surtout peut-on manger ou lire n’importe quoi ? Une promesse de plaisir n’est-elle pas un leurre parfois employé pour faire passer une pilule ? Sait-on même quelle pilule fait avaler Harry Potter ? Quant aux rêves, sont-ils tous des incitations à la création ? Certains ne sont-ils pas maladifs, d’autres stériles ? Dans quel type de rêve plonge-t-on avec Potter ? A-t-il vraiment fallu attendre cet énième potion pour y répondre ? Dès le premier tome, Harry Potter à l’école des sorciers, on savait déjà à quoi s’en tenir, mais, comme toujours, la force de frappe d’une campagne publicitaire invasive frappe les médias d’une perte soudaine de discernement.
Pourtant, à l’exception des 30 à 40 premières pages où l’humour associé à une observation assez aiguë des relations familiales ou sociales (Cf. l’oncle Vernon qui aime se plaindre de choses et d’autres : « Les gens qui travaillaient avec lui, Harry, la municipalité, Harry, son banquier et Harry constituaient quelques-uns de ses sujets préférés. »), la lecture devient vite un pensum !
I- Un stéréotype
- On reconnaît tout de suite le stéréotype du héros de conte de fées : l’enfant abandonné, destiné à être maltraité par sa famille d’accueil, de façon caricaturale ! Il en découle une distribution manichéenne des rôles élémentaire, entre d’un côté les méchants, la famille Vernon avec « les Moldus » (ceux qui ne comprennent rien à la sorcellerie), et la gentille victime innocente, Harry et bientôt ses amis sorciers. On déclenche facilement les réflexes voulus, comme la compassion avec la larme à l’oeil quand l’enfant découvre dans le miroir sa famille disparue...
- Le stéréotype se reconnaît aussi dans l’école des sorciers où l’enfant est initié : ses activités spécifiques sont conformes à l’image conventionnelle de la sorcellerie : l’apprentissage de la baguette magique, de la potion, etc.
- L’attente générale ménagée ne peut être, du reste, qu’artificielle, puisque la partie n’est pas égale : d’un côté se trouvent les nuls, sans pouvoir surnaturel, « les Moldus », de l’autre, les « aristocrates » (au sens étymologique, les meilleurs) doués de pouvoirs défiant toutes les lois de la physique. Sans doute y a-t-il un combat entre les bons et les mauvais sorciers, mais l’issue ne fait aucun doute : Harry ne peut pas perdre. Reste la façon sans doute dont il se sortira d’affaire : en fait, c’est déjà entendu, vu qu’il a ces fameux pouvoirs qui règlent tous les problèmes, sauf quand il oublie son attirail, sa cape invisible, c’est vrai ! Alors là, quelle attente fébrile ! On en a les mains moites : le livre tombe des mains !
- Enfin, L’exhibition du malheur d’autrui ou des menaces que font peser des monstres divers ou encore les peurs des héros complètent le stéréotype du conte de fée : le réflexe de voyeurisme peut être stimulé, mais chez l’enfant de maternelle. On sait qu’à partir du primaire, des exhibitions plus saignantes lui seront offertes à la télévision, puisqu’on s’accorde à reconnaître qu’un adolescent de 15 ans a déjà assisté à des milliers de meurtres dans les fictions qu’il a pu voir.
- Il n’est guère que l’invention de néologismes, dans le champ lexical de la sorcellerie, qui sorte du stéréotype, - et encore ! - mais pour en devenir indigeste. Combien de fois n’est-on pas tenté de sauter des lignes, voire des passages, pour y échapper ? Les reportages de matchs de « Quidditch », ce rugby aérien sur un manche à balai, sont aussi passionnants que ceux qu’effectuaient sur TF1 les duettistes Thierry Roland et Jean-Michel Larqué ! Les adorateurs d’Harry Potter poussent-ils la dévotion jusqu’à supporter ce fatras ennuyeux, mot à mot, sans rater une seule ligne ? On a peine à le croire !
II- Six idées archaïques
Ce stéréotype serait sans importance s’il ne s’accompagnait pas d’idées archaïques et dangereuses. On en observe au moins six .
- La première est une croyance en la prédestination : on naît supérieur - ici avec des dons de sorcier ; Harry porte la marque à son front d’une cicatrice qui reste la trace de sa résistance, tout bébé, aux forces du mal qui ont emporté ses parents. Autrefois, on naissait noble ou manant, et rien ou presque dans la vie ne pouvait rien y changer. Est ainsi ignoré qu’on peut développer son intelligence ou non par son travail, puisqu’en somme, on est (on naît) intelligent comme Harry ou on ne l’est pas ! Pas question de le devenir !
- Une seconde idée archaïque est la promotion de la célébrité sans acte méritoire qui la justifie : Harry Potter est connu de tous avant même qu’il ait accompli le moindre exploit. C’est la même idée qui est propagée par la « Télé-réalité », où les individus les plus frustes, sans qualités particulières, sinon une complexion physique sexuellement attirante, elle aussi innée, acquièrent une notoriété du seul fait qu’ils ont été vus à la télévision. Que vaut cette notoriété ? Quel profit les spectateurs peuvent-ils bien retirer de ce « savoir », en dehors d’une identification et d’une vie fantasmée par procuration qui leur font oublier leur médiocrité quotidienne ?
- Une troisième idée archaïque est la banalisation de méthodes d’éducation destructrices. La punition vise, par exemple, à inspirer la terreur chez l’enfant qui a transgressé la règle : autrefois, on le menaçait des cabinets avec les rats (et l’enfant n’osait plus aller aux toilettes avec les conséquences qui s’ensuivaient) ; ici, l’enfant est emmené dans « la forêt interdite » où vivent les monstres les plus effrayants. Ou encore, les enfants sont répartis en équipes (les quatre maisons) et une concurrence effrénée est stimulée, assujettissant chaque élève à la pression du groupe ! Quelle éducation !
- Une quatrième idée archaïque est la croyance en l’existence d’une distribution manichéenne des rôles dans le monde entre les forces du Mal et les forces du Bien (comme le croyait Manès, au IIIe siècle) qui agiraient sur les hommes transformés en pantins. C’est un leurre de guerre fort prisé depuis toujours qui a le mérite de clarifier les choix en faveur de ceux qui en usent. La réalité, on le sait, est plus complexe. Le mal et le bien se définissent, au contraire, par rapport à des objectifs qu’une société, des groupes ou des personnes se proposent, dans le cadre général de l’univers des vivants : ainsi peut-on soutenir qu’est un mal tout ce qui attente à la vie, avec les réserves qui découlent des circonstances particulières où se trouvent une personne ou un groupe quand ils doivent se défendre pour assurer leur propre survie.
- Une cinquième idée archaïque consiste à « faire rêver » sur les moyens illusoires de défense dont une personne peut disposer : chacun souhaite faire disparaître menaces et ennemis d’un coup de baguette magique ou devenir « invisible » en revêtant une « cape » spéciale. C’est même ce que fait très bien, paraît-il, l’autruche, en enfouissant sa tête dans le sable : on nomme même cette technique « la politique de l’autruche ». Où mènent ces puérilités ? Ce ne sont pas des rêves qui préparent à affronter les relations sociales où les hommes se font la guerre, avec plus ou moins d’intensité ! Seules la connaissance des rapports de force, celle du droit, et la détermination à assurer sa dignité ou sa survie sont des moyens raisonnables et parfois efficaces.
- Une sixième idée archaïque, enfin, donne surtout une représentation fictive de la sorcellerie, telle qu’elle s’exerce encore dramatiquement aujourd’hui en France. L’ethnographe, Jeanne Favret-Saada, l’a décrite dans Les mots, la mort, les sorts (Gallimard, 1977). Des esprits fragiles croient être prisonniers des paroles d’une personne qu’elle soupçonne de malveillance à leur égard. Ils n’attendent leur salut que de l’intervention de « sorciers » auxquels ils attribuent des pouvoirs de désenvoûtement. Il est hors de question de tenter avec eux, comme a essayé de le faire l’auteur, de réfléchir « scientifiquement », de l’extérieur : car la relation de sorcellerie engage tout participant dans un camp (l’ensorceleur) ou dans l’autre (l’ensorcelé) ; il n’y a pas de position neutre. Cette approche de la sorcellerie, du reste, peut aider à comprendre « la relation d’information », car, à vrai dire, on ne parle jamais pour ne rien dire ; tout signifie quelque chose pour peu qu’on y réfléchisse, y compris « l’information indifférente » que sont les nouvelles de la santé, le temps qu’il fait, a fait ou fera, le sport, les stars, et bien sûr... Harry Potter ! Cette "information indifférente" peut avoir, en effet, trois fonctions différentes selon les besoins : elle sert à établir ou à maintenir la communication pour éviter les sujets qui fâchent ; elle permet habilement de faire diversion et donc de pratiquer la censure ; et, enfin, elle offre, sans en avoir l’air, des modèles à imiter.
Un livre ou un film qui se résume à un stéréotype chargé d’au moins six idées archaïques doit-il être recommandé à des adolescents, fût-il déjà lu ou vu par des millions d’entre eux, selon les médias de masse qui leur en rebattent les oreilles ?
- Doit-on tirer son plaisir de ce qui peut vous nuire ? Doit-on rêver de ce qui vous égarera à coup sûr ?
- En laissant Harry Potter, on songe au conte de Daudet, "La chèvre de M. Seguin", dans Les lettres de mon moulin. Trop maternée par M. Seguin, dans son pré carré d’herbe tendre, Blanquette n’a aucune idée de ce qui l’attend quand elle saute la barrière. Et de fait, face au loup, elle aura beau jouer de ses cornes toute la nuit, avec courage, elle se fera dévorer au petit matin.
- Il est à craindre que des enfants nourris d’Harry Potter et autres fadaises de même farine, ne puissent compter sur aucune baguette magique pour résister aux agressions qui seront l’ordinaire de leurs relations sociales à venir. Paul VILLACH