Vous avez dit représentativité ?
par La Courgette
vendredi 5 janvier 2007
Un peuple, une institution qui est censée parler en son nom... Et le fossé entre les deux qui se creuse.
Vote représentatif, personne représentative, association représentative, syndicat représentatif... Actuellement, et particulièrement depuis le 21 avril 2002, le monde politique nous sert de la représentativité à toutes les sauces et, il faut bien le dire, souvent à mauvais escient.
Car finalement, qu’est-ce que la représentativité ? Le fondement même de la démocratie, certes. Mais également et surtout une notion remarquablement ambivalente. En voici deux définitions, issues du Trésor de la langue française, le dictionnaire Internet, à mon sens les deux principales à retenir :
Représentativité :
1) Aptitude reconnue à une personne ou à un organisme d’agir, de parler au nom de quelqu’un d’autre.
2) Caractéristique de ce qui constitue un modèle, qui est typique d’une classe, d’une catégorie.
Deux définitions qui vont dans des directions diamétralement opposées, et sur lesquelles, pour les as de la dialectique que sont nos politiques, il est aisé de jouer. Prenons le cas de l’Assemblée nationale. Est-elle reconnue par le peuple français comme apte à parler et agir en son nom ? On peut dire que oui, du moins sous réserve de ce qui suit ; elle est donc indéniablement représentative du peuple.
En revanche, est-elle caractéristique de cet hypothétique « modèle » qui correspondrait au peuple français ? En clair, l’Assemblée nationale ressemble-t-elle au pays qu’elle prétend représenter ?
Pour répondre, voici quelques chiffres, ceux des dernières élections législatives de 2002 (source : www.assemblee-nationale.fr)
Répartition des votes au 1er tour sur toute la France :
UMP - 33,30 %
PS - 24,11 %
PCF - 4,82 %
FN - 11,34 %
UDF - 4,85 %
Verts - 4,51 %
Autres partis - tous à moins de 4 % chacun
Composition de l’Assemblée en pourcentage de sièges :
UMP - 63%
PS - 26%
Autres partis - tous moins de 4% chacun
Ce serait un peu trop facile d’imaginer l’Assemblée nationale à l’image de la France, alors faisons plutôt le contraire. Dans une telle fiction, notre paysage politique est bipartite comme aux Etats-Unis, où deux éléphants se partagent le pouvoir depuis des décennies. Bayrou peut vociférer tant qu’il veut chez Claire Chazal, les petits partis comme le sien ne récupèrent plus que les miettes. Nous habitons également un endroit où il n’y a ni noirs, ni Maghrébins, ni Asiatiques, ni d’autres Européens, ni immigrés du tout d’ailleurs, et très peu de Français issus de l’immigration. Plus inquiétant encore pour notre avenir, nous vivons dans un pays dans lequel les femmes se font diablement rares, voire carrément absentes. Par contre, ô divine surprise, la France compte 19% de cadres et ingénieurs...
Il est certain que l’Assemblée nationale ne pourra jamais correspondre à une vision purement statistique de la société française, ce n’est pas le propos et c’est même la porte ouverte à toutes sortes d’injustices et d’absurdités kafkaïennes. Mais il est également certain qu’à l’heure actuelle, nous en sommes tellement loin que c’est ressenti comme quelque chose d’insultant pour les électeurs de base, les citoyens et tout simplement les humains que nous sommes. Ressenti comme insultant surtout par ceux qui votent aux extrêmes par dépit, et dont on refuse de répercuter le cri de rage qu’ils transmettent dans les urnes ; un cri qui, de fait, ne cesse de s’amplifier. Où va-t-on comme ça ? Une crise de représentativité homme/femme, communautaire et même, c’est un comble, politique, au sein d’une démocratie qui se revendique justement « représentative », c’est pire qu’un problème institutionnel : c’est une véritable catastrophe.
Il y a des dizaines de manières de comptabiliser des voix, et donc d’arriver à des résultats sensiblement différents à partir d’un même vote. L’instauration de la méthode actuelle avait pour but, à peine voilé, d’empêcher les extrêmes d’atteindre le pouvoir. L’objectif est peut-être atteint, mais entre-temps le Front national est devenu le troisième parti de France, et continue de grimper... sans parler de l’extrême gauche, qui poursuit discrètement son ascension dans l’indifférence générale. Alors se pose naturellement la question : interdire par des arrangements comptables le moindre pouvoir aux partis jugés « incorrects » ou « insignifiants », est-ce la meilleure manière de les entraver ? Couper ainsi le citoyen de sa responsabilité d’électeur, est-ce de nature à l’intéresser à la vie politique de son pays ? Et surtout, déconnecter les résultats électoraux des proportions du vote, par la dimension vexatoire que cela induit, n’est-ce pas tout simplement dangereux ?
On ne peut pas, et sans doute on ne doit pas, mettre de quotas en tout sens comme le voudraient certains, mais on ne peut pas se voiler la face non plus. Cette situation crée un complet décalage, qui creuse sans arrêt un peu plus le fossé entre les Français et leurs institutions politiques.
En bref, et pour reprendre les deux définitions citées plus haut, l’Assemblée doit être représentative (première acception) si elle veut continuer à être représentative (deuxième acception). Car sinon, arrivera inévitablement le jour où nous aurons perdu le droit, et surtout l’opportunité, d’appliquer des solutions démocratiques pour résoudre ce problème. Et alors les extrêmes auront gagné, quelle que soit l’issue.