Un train d’enfer

par olivier cabanel
lundi 30 janvier 2023

"Quelle belle journée" se disait Paul : un ciel à peine saupoudré de quelques flammèches de nuages qui s’éloignaient sur la pointe des pieds pour faire place à un ciel du plus beau bleu..

De plus, il partait en voyage, et pas n’importe quel voyage, un voyage vers le sud ouest, dans ce coin merveilleux appelé le « Périgord noir »…

et cerise sur le gâteau, il y allait en train, invité comme chercheur à un symposium où on allait traiter du progrès…

de plus, les organisateurs avaient mis les petits plats dans les grands, en lui réservant le tout dernier modèle de train à grande vitesse, lequel utilisait comme carburant l’hydrogène, garantissant le moins de pollution possible.

Le taxi le posa devant la gare, et muni de son ticket de transport, il eut vite fait d’atteindre le quai, au bord duquel son train l’attendait déjà.

Au passage, avant de repérer son wagon, il nota le nom du train : « le progrès  » !

Décidément ce voyage s’annonçait prometteur et surtout rapide…

il s’installa paisiblement, observant les autres voyageurs, alors que le train dans un chuintement à peine audible démarrait.

Face à lui, un homme bedonnant, le visage émacié par les rudeurs d’un hiver...peut-être un chef de chantier, se dit-il…

à coté de lui, une jeune beauté, plus occupée par les messages de son smartphone que par ses voisins de voyage : un couple avec un enfant turbulent, ce qui laissait augurer d'un voyage animé…

le train avait pris sa vitesse normale, mais manifestement, ça ne suffisait pas au pilote, qui devait avoir le pied sur l’accélérateur, même à l’approche d’une courbe en descente, facilement observable du compartiment où il se trouvait, celui-ci étant pourvu d’une large baie panoramique…

Et le train poursuivit sa lente et longue accélération, au point que le voyageur ressentait une étrange inquiétude, d’autant que la vitesse aidant, une sourde vibration, parcourait la rame…

et le train continuait son accélération…

les vibrations augmentaient, et dans le compartiment, un étrange silence s’était fait, ponctué par une légitime inquiétude…

et le train continuait d’accélérer…

brusquement, les vibrations laissèrent la place à un sourd grondement, les bagages s’agitaient dans leur compartiment, au point qu'une valise décida de s’échapper, s’écrasant sur les genoux de la jeune fille, qui, du coup, abandonna provisoirement son smartphone…

et le train accélérait…

la peur traversa la pensée du voyageur, qui sentait poindre un danger…

et le train accélérait…

toute la cabine vibrait, le grondement s’amplifia, et l’on sentait poindre un début de panique…

seul l’homme bedonnant restait calme et souriant…

alors que le bruit devenait insupportable Paul s’adressa à lui, tentant de comprendre à quoi tenait le calme du « chef de chantier » supposé.

-« vous n’êtes pas inquiet ?  » lui demanda-t-il…

- « mais pourquoi s’affoler ? » répondit celui-ci.

- « Vous n’avez pas vu le nom de ce train ? »…continua-t-il...

- « oui, le progrès, et alors ? »...

- « Eh bien, vous ne le savez pas… ? Mais on n’arrête pas le progrès… ! »

Ce fut la dernière phrase que le voyageur entendit, car dans un fracas infernal, le train venait de quitter la voie…

Encore une fois, le progrès avait perdu la partie...

Au delà de cette fable, c’est le moment d’évoquer la farce quasi tragique du Lyon-Turin, ce projet de TGV lancé il y a 33 ans, auquel s’est ajouté plus tard un projet fret, qui a suscité une vague d’indignation, dont je suis fier d’avoir été l’un des fers de lance, sinon à l’initiative de la contestation.

En effet, ce projet à plus de 30 milliards, dont plus du tiers se passe en tunnels, (bonjour le tourisme ferroviaire), était voulu d’abord par Louis Besson qui rêvait d’une gare TGV au cœur de Chambéry, puis suite à des petits arrangements entre amis, obtenait l’aval de la région, puis du gouvernement.

Or, depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et les élus écolos ont rejoint la contestation, Grenoble n’en veut plus, (lien) Lyon non plus (lien), d’autres ont suivi, notamment en Maurienne (lien) et ne parlons pas de l’Italie qui le conteste plus que jamais.

En France malgré tout, nombreux ont baissé les bras, d’autres continuent la lutte avec des arguments parfois trompeurs, comme le fait d’assurer que la voie actuelle suffit à reporter le trafic fret de la route vers le rail, (lien) sachant que ce mode de transport ne peut survivre sans subventions, étant souvent trois fois plus cher que la route.

La seule solution connue est le procédé R-shift-R, lequel permet une rentabilité du fret ferroviaire, vu la technologie qu’il développe...mais certains opposants ne veulent pas l’évoquer.

Pour l’instant, Lyon-Turin est donc dans une impasse, et on n’est pas prêt d’en voir le bout du tunnel, d’autant qu’il y a peu, l’ex-premier ministre en déplacement à Chambéry émettait des doutes sur les priorités (lien), le gouvernement évoquant plus tard « une pause » (lien)... d’autre ont suivi au point ou aujourd’hui, l’enquête d’utilité publique est en train d’être invalidée, suite au temps qui passe... lien

comme rien n’a été décidé avant la fin 2022, le projet vient de perdre l’argent européen promis, ce qui laisse mal augurer de la suite. Lien

Comme dit mon vieil ami africain : « il n’est de sagesse qui, se laissant perdre par le progrès, ne risque la folie  ».

L’image illustrant l’article est de Dubout

Merci aux internautes pour leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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