L’entomophagie : « inspirations culinaires »
par Desmaretz Gérard
jeudi 13 février 2025
L’Union européenne a approuvé le 20 janvier 2025 la vente de la farine de larves de vers de farine jaune ou Tenebrio molitor traitée par ultra-violet entrant jusqu'à 4 % dans la composition du pain, fromage, confitures et pâtes. L’emballage devra indiquer que « l’ingrédient peut provoquer des réactions allergiques aux consommateurs ayant des allergies connues aux crustacés, aux mollusques et aux acariens ». Le 15 janvier, La Commission de l’environnement de la santé publique et de la sécurité du Parlement européen avait rejeté une proposition présentée par l’eurodéputée française, Laurence Trochu, pour bloquer l’approbation des farines de larves de vers jaunes. La députée Silvia Sardone (italienne) avait tancé la gauche l'accusant de « considérer les intérêts des multinationales avant ceux des consommateurs et la sécurité alimentaire ». Pour le ministre italien de l’Agriculture, c’est « une bataille de civilisations pour défendre la santé des citoyens, notre modèle de production, notre qualité, notre culture, tout simplement notre souveraineté alimentaire ».
Les insectes apparus il y a 470 millions d'années représentent 80 % des animaux sur la planète avec plus d'un million d'espèces organisées en 600 familles et 29 ordres. Ils ont colonisé tous les continents, milieux et climats et leur biomasse est estimée à 10 milliards de tonnes. L'entomophagie figure aux habitudes alimentaires de milliards d'habitants répartis à travers la planète : Asie, Afrique, Australie, Amérique latine. Les Romains raffolaient de criquets et de cigales, les Conquistadors de fourmis, Hippocrate recommandait, en cas de maladie cardiaque, d'avaler trois mouches « espagnoles » (lytta vesicatoria, coléoptères appartenant à la famille des méloïdés), Madame de Montespan offrait une poudre à la cantharidine (aphrodisiaque) à Louis XIV (une dose de 30 mg peut entraîner la mort).
« Le terme " insecte " a longtemps désigné tous les Arthropodes à six pattes, mais cette définition a évolué au cours des années 1980. Le terme insecte au sens large a été remplacé par celui d'Hexapodes et les insectes ne désignent plus qu'une classe au sein de la superclasse des hexapodes ». Les Hexapodes composent la cinquième classe de l'embranchement des arthropodes, les autres classes étant les Crustacés, les Arachnides, les Myriapodes et les Onychaphores. L'entomologue Claus propose définit les insectes : « Arthropodes à respiration aérienne, à corps divisé en tête, thorax et abdomen ; tête portant une paire d'antennes, thorax composé de trois anneaux, portant trois paires de pattes et le plus souvent deux paires d'ailes ; abdomen formé de dix anneaux, souvent très réduit ».
Tous les insectes ne sont pas comestibles, seules 2.110 espèces réparties parmi 260 genres et 70 familles sont vendus sur les marchés, 88 % d'insectes terrestres et 6 % aquatiques. La Food & Agriculture Organisation indique qu'ils appartiennent aux : hyménoptères (abeilles fourmis) - orthoptères (criquet, grillon, sauterelle) - lépidoptères (papillon, le monarque est toxique) - hémiptères (punaise, puceron, cigale, cicadelle) - coléoptères (scarabée, hanneton) - Polynéoptères : blatte, mante, termite - crustacé (cloporte et crevette).
La capacité d'un criquet à convertir les végétaux en protéines est cinq fois supérieure à celle d'une vache. La sauterelle correspond aux valeurs nutritionnelles moyennes des insectes : calories 168 Kcal aux 100 grammes de produit frais (les besoins quotidiens d'un adulte sont d'environ 2000 kcal/jour) - protides 20 gr (blatte 28 gr, termites 16 gr, poulet 19,6, bovin 17 gr) - lipides 12 gr - eau 64 gr. Ces chiffres dépendent du stade (oeufs, larves, imago) et diminuent avec le mode de cuisson pour augmenter avec l'insecte séché. Dans 100 g de sauterelles sèches, on trouve entre 226 et 238 mg de phosphore et 8 mg de magnésium. Les glucides sont essentiellement composés de chitine, une fibre non digeste.
Les arguments pour lever les freins à la vente d'insectes sont nombreux. L’entomophagie, la consommation d'insectes par l'homme arrive dans nos assiettes avec la Novel food. Selon les « gourmets » : le criquet possède une saveur peu prononcée, les chapulines (criquets du genre Sphenarium) sont délicieux frits avec du piment, de l'ail et du jus de citron... Spécialités locales : « au Kenya larves du charançon du palmier (Rhynchophrus Phoenicis) qui sont à la fois sauvages et semi-cultivées par l'abattage des raphias ; au Burkina Faso, l'insecte le plus consommé est la chenille de l'arbre à karité (Cirina butyrospermi) ; en Amérique du Sud, les fourmis coupe-feuilles (Atta laevigata) ».
La rentabilité économique, peu coûteux à produire, ils consomment herbe, feuillage, fruit, légume, avec un rendement élevé, le grillon donne 200 petits tous les deux mois ! Il faut 100 fois moins de surface et 23 litres d'eau pour produire 1 kg de protéines d'insecte contre 112 litres d'eau pour un kilogramme de protéines animales. Les élevages d’insectes produisent jusqu’à cent fois moins de gaz à effet de serre que les élevages de viande, de quoi réjouir les Végétaliens qui, s'ils le pouvaient, feraient manger de l'herbe aux athlètes. A signaler que les protéines des insectes apportent des purines (base azotée) qui se dégradent en acide urique responsable de la maladie de la goutte...
Selon l'entomologiste Skye Blackburn : « une personne moyenne consomme environ un quart de kilogramme d'insectes dans son alimentation chaque année ». La limite d’insectes dans le houblon est fixée à 2 500 pucerons pour 10 grammes, un asticot pour 250 ml de jus de fruits en canette sans parler de ceux que nous pouvons découvrir dans les aliments secs (riz, pâtes, haricots, etc) : pyrales, dermestes, stégobies des pharmacies. Les insectes réduits en poudre peuvent être vendus sous forme de : pâtes, crackers, barres de céréales protéinées, pain, biscuits et sauces. Si vous êtes insectiphobes, évitez d'acheter en vrac ou les aliments conditionnés dans des boites en carton ou en sac papier. Les mites alimentaires se nourrissent de la cellulose...
L'animateur d'une émission télévisée sur TF1 : « J'ai croqué une demi-tarentule. Ce n'était pas si mauvais que ça. Cela avait le goût du crabe ». Rien de plus subjectif que le goût qui correspond aux habitudes culturelles et alimentaires. Au Mexique, les escamoles (larves de fourmis) revenues dans du beurre sont un met très raffiné. Selon de téméraires gastronomes, le criquet grillé a un goût de noix, le ver de farine celui de la noisette, les termites rouges et les larves de sagou celui du bacon, le grillon de la pomme de terre, et goût de crevette et d'amandes pour les larves, les punaises d’eau melon ou la banane, les fourmis à un citron et ses œufs au lait, le ver à soie au beurre de cacahuètes, les vers d’agave rouges seraient épicés, le scorpion a un léger goût de poisson, la tarentule goût crabe ou de la crevette, voire de poulet. Si les insectes sont parfois mangés crus (relevés d'une sauce, ail, piment, soja, citron), ils sont le plus souvent mangés : séchés, rôtis, bouillis, frits, fumés, grillés ou réduits en poudre.
Le gouvernement thaïlandais a lancé une campagne faisant du criquet un aliment populaire à la suite d'une invasion d'insectes en 1978 qui a débouché sur la création de micro-entreprises d'entomoculture. Le grillon se contente de 2 kg d’aliment pour produire 1 kg de poids corporel (les bovins de 8 kg d'aliments pour produire 1 kg de viande). L'activité est peu exigeante : quelques couples d'adultes reproducteurs, un vivarium, une température de 30°C, 12 heures de luminosité quotidiennes, humidité (fond tapissé de graviers humides en permanence), ventilation, alimentation à base de céréales, fruits, légumes, des pondoirs (coupelles). L’élevage sur des déchets humains est possible mais n'est pas sans risques sanitaires. A éviter, les vibrations et la surpopulation (risque de cannibalisme), un grillon par 2,5 cm² (un vivarium d'une centaine de litres peut accueillir 400 grillons). Une femelle pond une centaine d’œufs, durée d'incubation une douzaine de jours, stade adulte en dix semaines, durée de vie environ dix semaines. Il faut veiller à conserver autant de mâles que de femelles, et les insectes d'élevage ne doivent jamais entrer en contact avec des insectes sauvages !
Si une production locale est suffisante pour nourrir un village, restons réalistes, il s'agit d'un marché de niche très segmenté : géographiquement, types d'insectes, variétés des produits (une vingtaine), secteurs de l'alimentation humaine, animal, « médecine » chamanique (thé aux blattes pour régénérer la flore intestinale...) estimé à trois milliards de dollars pour 2023. L'objectif a-t-il atteint ? Une quarantaine d'entreprises mondiales, dont 40 % de start-up peinent à transformer les consommateurs européens en entotariens (consommation d'insectes mais pas de viande). L'étude Edible Insects from a Food Safety de la FAO (2021) indique que 92 % des espèces d'insectes comestibles connues sont récoltées à l'état sauvage, 6 % sont semi-domestiquées..., et 2 % sont d'élevage. Parmi les espèces d'insectes comestibles récoltées à l'état sauvage, 88 % sont terrestres, les autres sont prélevées dans les écosystèmes aquatiques.
Il vous faudra débourser une douzaine d'euros pour une dizaine de bestioles grillées (25 grammes) à déguster à l’apéritif, goût : curry, barbecue, curcuma, paprika, oignon fumé, piment de Cayenne, fruits rouges, chocolat, caramel, beurre salé. Et pour les très jeunes : sucettes et bonbons parfumés à la fraise, à la pomme, à l’orange, crème glacée afin de franchir la barrière psychologique et tromper les sens (vue, odeur, goût, bruit, résidus entre les dents) du consommateur.
La stratégie des acteurs de ce marché consiste à proposer des produits édulcorés, des compléments alimentaires avant d'offrir des produits de substitution à nos habitudes alimentaires pour leur seul profit. Une dizaine d'autres insectes est en cours d’évaluation des risques : la mouche noires (Hermetia illucens larvae), nids de bourdons d’abeilles mellifères (Apis mellifera male pupae), larves du petit ver de farine (Alphitobius diaperinus), etc. Une correction, une précision, une expérience, une remarque ?
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