« Les Collectionnistes » Prémices de l’Impressionnisme controversées au Petit Montparnasse
par Theothea.com
samedi 1er mars 2025
Quelle pépite ce Petit Montparnasse dont la programmation toujours éclectique et exigeante fait découvrir au public installé en gradin sur des banquettes de velours violet des écritures contemporaines originales et brillantes.
Comment savourer théâtralement la Peinture de jeunes impressionnistes en 1874 qui se font littéralement chambrer par la critique et se font rejeter des salons officiels de l'époque, comment en faire une comédie vibrante, pleine de rebondissements où se disputent les goûts et les couleurs créant des divergences de points de vue virevoltants.
Par le biais du grand bourgeois Parisien, le Marchand Paul Durand-Ruel, catholique convaincu, royaliste, qu'une passion frénétique de la peinture a transformé en un véritable aventurier obsessionnel et persévérant de l’Art.
Avec une foi inébranlable et d'une insatiable curiosité, il perçoit, au-delà du visible, l'émotion que suscitent les toiles encore méconnues et les sensations créées par les variations de la lumière par touches fragmentées sur la peau d'un modèle, sur l'eau, les arbres, la nature, nombreuses scènes étant peintes en plein air.
Et nous voici dans son salon cossu aux couleurs chatoyantes, côté cour une fenêtre surplombe les toits d'ardoise d'immeubles haussmanniens tels peints par Gustave Caillebotte (son très célèbre '' Toits sur Paris, effets de neige '' est conservé au Musée d'Orsay), côté jardin un immense miroir au-dessus d'une cheminée dans lequel se reflèteront les tableaux qu'un couple qui vient de faire son apparition pose alternativement sur un chevalet afin de les visionner.
L'homme, le marchand Paul Durand-Ruel, manifestement enthousiaste, ne cesse de louer les oeuvres de ces artistes novateurs qui révolutionnent la peinture du moment alors que sa femme, elle, y va de quelques sarcasmes et tempère l'engouement de son mari pour ces croûtes peintes par des ''barbouilleurs''.
Elle est surtout agacée que son mari dilapide une fortune et met en péril la situation du ménage. '' Vous commercez peu mais collectionnez beaucoup '' lui lance-t-elle. Il a déjà acheté de très nombreuses toiles de Claude Monet qu'il avait rencontré à Londres en 1871.
Dans ce somptueux décor signé Christophe Lidon, le salon se transformera en musée par l'intermédiaire d'astucieuses images vidéo de Léonard et les lumières de Moïse Hill. On verra défiler des nus de Renoir, dont le fameux '' Torse, effet de soleil '' où la lumière sur la peau de son modèle crée des auréoles multicolores, des stries jaunâtres ou bleutées que les détracteurs se chargent de persifler :
« Essayez donc d’expliquer à M. Renoir que le torse d’une femme n’est pas un amas de chairs en décomposition avec des taches vertes, violacées, qui dénotent l’état de complète putréfaction dans un cadavre. » Madame Durand-Ruel dont le jeu enflammé et tourbillonnant est porté par Christelle Reboul semble être de cet avis trouvant, selon elle, que cette femme à un aspect ''faisandé''.
Paul Durand-Ruel, lui, incarné avec grande subtilité par Christophe de Mareuil, très élégant dans des habits raffinés défend l'humanisme ensoleillé de ce fougueux Auguste Renoir à la tignasse rouquine joué par un Victor Bourigault à la silhouette échevelée et fébrile.
Un journaliste interprété par le débonnaire Frédéric Imberty rend souvent visite à Paul Durand-Ruel. Lui aussi n'est pas avare de critiques acerbes tout en paraissant ne pas être insensible aux charmes des nus de Renoir dont les rondeurs ne le laissent pas de marbre.
Après Renoir, les visuels projettent '' le Pont du chemin de fer à Argenteuil '' lequel fut représenté plus d'une dizaine de fois par Claude Monet. C'est dire si l'artiste était attaché à ce motif, faisant jouer en contrepoint la fluidité du cours d'eau avec la masse géométrique du pont et de ses piles sur lesquelles jouent de multiples reflets.
L'illustre '' Impression, Soleil levant '' (conservé au musée Marmottan à Paris) envahira les murs de l'appartement. C’est avant tout la lumière, les reflets à la surface de l’eau et cette enveloppe vaporeuse autour du soleil qui intéressent Monet. Il juxtapose les couleurs et esquisse des touches de bleu et d’orange qui donnent un aspect inachevé et légèrement flou au tableau, loin de la peinture académique de l’époque.
En 1874, Monet présente sa toile à Paris, lors de la première exposition de la Société anonyme coopérative qui a lieu du 15 avril au 15 mai 1874 dans l'ancien studio du photographe Nadar au 35 boulevard des Capucines à Paris.
Les réactions sont assassines. Le critique d’art Louis Leroy écrit : « Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là », avant d’ironiser : « puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans ! » Ainsi la toile a-t-elle donné son nom au mouvement impressionniste !
Jeanne, l'épouse de Paul, lira d'ailleurs dans un des journaux satiriques de l'époque : « Ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c’est un marchand qui les achète ! » Paul Durand-Ruel, généreux mécène pour ses protégés, leur permettra jusqu'au bout, fidèle à sa vision, de se sustenter, de créer, d'exposer.
Aujourd'hui la cote de ces tableaux flamboie et c'est par un clin d'oeil contemporain que la pièce se termine. Les lumières qui s'étaient éteintes se rallument sur une salle des ventes. Les enchères montent. Le tableau présenté est adjugé, ce soir-là, par le commissaire-priseur à 22 millions d'euros. La personne dans le public qui s'est prêtée au jeu de l'enchère la plus élevée repartira avec un cadeau dédié.
'' Les Collectionnistes '' est une pièce enlevée et lumineuse de François Barluet que Christophe Lidon fait vibrer grâce à une scénographie soignée, vraie palette de teintes chromatiques et des comédiens qui se lancent des réparties et des piques dignes d'un léger vaudeville dans les costumes magnifiques de Jean-Daniel Vuillermoz.
Un très bel hommage à un Homme hors du commun, à la Peinture des sensations fugitives qui bouleversera la perception de l'Art, au Beau sublimé !
photos 1 à 3 © Fabienne Rappeneau
photos 4 à 7 © Theothea.com
LES COLLECTIONNISTES - **** Cat’S / Theothea.com - de François Barluet - mise en scène Christophe Lidon - avec Chistelle Reboul, Christophe de Mareuil, Frédéric Imberty & Victor Bourigault - Théâtre du Petit Montparnasse