« Mickey 17 » de Bong Joon-ho : une satire brillante de notre société, façon science-friction, mais un brin lassante
par Vincent Delaury
lundi 10 mars 2025
Quid de ce Mickey… 17 ? Un nouveau dérivé de la petite souris illustrée de Walt Disney ? Le retour de Mickey 3D (Il faut que tu respires) ? Que nenni ! C’est, et à mon avis vous êtes au courant (au vu de sa grande couverture médiatique, ce film de science-fiction paranoïaque, doté d’un budget de 150 millions de dollars via le studio Warner Bros., a été sélectionné hors compétition à la dernière Berlinale, grand festival international, avant sa sortie mondiale dans les salles le 5 mars dernier, et il fait, par exemple, la couverture de magazines spécialisés cinéma comme Première et La Septième Obsession), le grand come-back du réalisateur sud-coréen star Bong Joon-ho (Parasite !) derrière la caméra. En 2054, pour Mickey Barnes, mourir est une habitude, une évidence même, car il est un consommable, un « jetable », un engagé volontaire afin de tester les dangers auxquels est soumise l’humanité. Héros malgré lui, dans le registre d’une mort à crédit, il se tue littéralement à la tâche ! Car c’est ce qu’exige de lui son entreprise : mourir régulièrement pour gagner sa vie. Autrement dit, crever n'est pas une partie de plaisir... mais c'est une manière, via la mort à répétition, de gagner sa vie. En cas de décès, Mickey se trouve régénéré avec la plupart de ses souvenirs. Mais, diantre, que se passerait-il si Mickey 17 survivait à Mickey 18 ?
- Robert Pattinson dans « Mickey 17 » (2025) de Bong Joon-ho
Boum : Bong Joon-ho, cinéaste marxiste !
- « Parasite » (2019) de Bong Joon-ho
Six ans après le succès de Parasite - on s'en souvient, une famille déclassée s'incrustait sans vergogne dans une maison luxueuse - tant public (1,9 million d’entrées en France) que critique (Palme d’or du 72e Festival de Cannes 2019 et lauréat de quatre Oscars en 2020, dont celui du meilleur film), Bong Joon-ho (55 ans, né à Daegu, en Corée du Sud, en 1969) dont on connaît la filmographie solide (Parasite bien sûr, son chef-d'œuvre « méchant » sur fond de lutte des classes et de jeu de massacre, mais également Barking Dog, ses débuts en 2000, Memories of Murder, son deuxième long-métrage évoquant l'histoire réelle d'un tueur en série qui attira 5 millions de spectateurs dans son pays, The Host, le film de monstre qui l’a vraiment fait connaître internationalement, Mother, Snowpiercer, coproduction internationale et thriller de science-fiction, mâtiné de politique [la lutte des classes compressée dans un train express], adapté de la bande dessinée française Le Transperceneige, et autres Okja, produit par Netflix), fait son retour en salles avec Mickey 17. Il adapte ici le roman Mickey 7 de l'Américain Edward Ashton, paru en 2022 chez Bragelonne et dont le pitch, à sa sortie, était le suivant : « Mickey7 est un Consommable : un employé jetable d'une expédition humaine envoyée sur Niflheim, un monde de glace, pour le coloniser. Dès qu'une mission paraît trop dangereuse - voire suicidaire -, l'équipage se tourne vers lui. À la mort d'une version, un nouveau corps est régénéré, sa mémoire pratiquement intacte. Et après six morts, Mickey7 a bien compris pourquoi son poste restait le seul disponible de l'expédition quand il l'a accepté... »
- La répétition du même (Robert Pattinson) : voir double dans « Mickey 17 »
Avec Bong Joon-ho, concernant son film, blockbuster maximaliste oblige, petite nuance : nous n’avons plus 7 Mickey mais 17, voire 18, c’est donc l’humain à l’ère de sa reproductibilité technique maximale et ce pour le plus grand des profits capitalistes ! « Rien qu’en lisant le résumé du roman, explique Bong Joon-ho, j’ai tout de suite été captivé. Et bien évidemment, en me lançant dans la lecture du livre, j’ai été de plus en plus absorbé par l’intrigue, d’autant que j’ai trouvé le concept de la réplication humaine d’une singularité totale - et très différent du clonage. Je me suis alors demandé ce que ça ferait d’être cette personne répliquée. »
- Bong Joon-ho (photo J. Olley)
Puis, le réalisateur sud-coréen, qui a longtemps été en manque d'inspiration après Parasite (Mickey 7 ou 17, qu'importe, le principe est le même, se dupliquer à l'envi et à l'infini, façon imprimante 3D hyper-performante dopée à l'IA, est en fait un projet pour lequel on l'a sollicité), complétait, au sujet de cette adaptation pharaonique (jouant avec les poncifs de la science-fiction, attention spoiler, du vaisseau spatial aux créatures extraterrestres via les machines à cloner) respectivement dans Le Monde (#24937, 5 mars 2025, p. 20, « Définir l'étranger comme ennemi, c'est la base du fascisme », entretien avec Boris Bastide) puis dans Aujourd'hui en France (#8503, 5/03/2025, p. 28, article « Après Parasite, le nouveau choc de Bong Joon-ho », propos rapportés par Michel Valentin) : « Le roman d'origine, c'est de la fiction pure et dure. Il y a énormément d'explications scientifiques. Donc, le film, c'est vrai, se concentre davantage sur la satire politique et le côté humain. L'action se déroule en 2054. C'est comme si je disais aux jeunes : voilà à quoi ressemblera votre vie future. » Toujours Bong Joon-ho : « La Warner Bros. a un département d'acquisition des droits, et avant même la publication de ce roman, le studio avait acheté les droits de Mickey 7. Warner Bros. l'a transmis à la société de production Plan B Entertainment, réputée pour ses projets assez uniques. Je pense qu'ils se sont dit : "Ça, c'est un projet pour Bong qui, lui aussi, est atypique." [N.D.L.R. La pré-production du film a donné lieu à une modification pas si anodine, le Mickey 7 du bouquin devenant Mickey 17 au cinéma] Le chiffre représente le nombre de fois où la personne meurt. Le héros meurt pour gagner sa vie, c'est un concept intéressant. Je voulais que le nombre soit un peu plus grand pour avoir ce côté un peu répétitif. »
- Le couple tyrannique, Ylfa (Toni Collette) et Kenneth Marshall (Mark Ruffalo), entrepreneur véreux, dans « Mickey 17 »
Pour autant, dans Le Monde (#24937), Bong Joon-ho nuançait quelque peu cette lecture-là, quant à son personnage (copier-coller de Donald Musk ou d'Elon Trump ou encore fac-similé de Trump-Musk même combat, fusion totale !), de dictateur colonisateur voyant les pauvres multiples (ou les travailleurs sans le sou, corvéables à merci et interchangeables), comme des parasites, nuisibles à l'expansion de la société capitaliste, autocrate crapoteux se passant très bien de l'éthique dans sa course effrénée au superprofit : « J'ai eu beaucoup de questions à ce sujet. J'ai écrit le film en 2021 et l'on a tourné en 2022. À l'époque, avec l'équipe, on ne parlait pas des deux personnes [Donald Trump et Elon Musk] que vous venez de citer. On parlait de Ceaucescu, en Roumanie, du dictateur philippin Ferdinand Marcos, surtout de personnes défuntes. Et il y a aussi Ylfa, qui n'apparaît pas dans le roman. Je trouvais drôle et ridicule d'avoir un couple de dictateurs. Ça devenait plus terrifiant encore. Mais c'est vrai que le film sort dans une certaine actualité. Même quand on veut parler du passé, ça résonne au présent. »
- Bong Joon-ho et son acteur Robert Pattinson sur le tournage de « Mickey 17 »
Puis, dans Libé, au moment de la sortie du film en salles (#13578, 5 mars 2025, in article Bong Joon-ho : "Je n'ai fait que pousser le capitalisme à l'extrême", propos recueillis par Luc Chessel), il complétait, le quotidien, adepte de calembours, ne manquant pas de filer la métaphore du côté du tropisme de gauche du réalisateur lanceur d'alerte, en titrant habilement l'ensemble du papier, à savoir une double page, "Mickey 17 à la conquête de Marx" : « Le roman d'origine avait pour cadre un lointain avenir, que j'ai rapproché en choisissant la date de 2054, pour que ce soit plus réaliste. Mais il est clair que tout ça a déjà lieu. Le capitalisme est plus virulent que jamais, des entreprises proposent des voyages sur d'autres planètes comme Mars, voire des projets d'émigration et de colonisation extra-terrestre. On assiste également de nos jours aux débuts de l'impression humaine, une entreprise anglaise imprime déjà des morceaux de peau ou des lobes d'oreilles. Ces éléments de science-fiction sont notre réalité. [Quid de cette figure de l'"expendable", autrement dit l'être humain consommable et ré-imprimable joué par Robert Pattinson... dix-sept fois !?] Ce sont des gens qui existent et qu'on croise tous les jours. Par exemple, des ouvriers qui font des métiers dangereux. Quand un travailleur se blesse ou meurt, il est immédiatement remplacé par un autre, la vie s'arrête mais le poste, lui, continue... Je n'ai fait que pousser ça à l'extrême, à travers le concept d'impression d'humains. Dans le film, Mickey 17 est ce personnage gentil, un peu benêt peut-être, et il est jeune. Il est donc la proie et la victime idéale d’un système dont j’avais envie de montrer le côté humain. [Autre question du journaliste-critique autour de l’humain imprimé qui peut rappeler les films à l’ère numérique, qui sortent en rafales des grands studios comme d’une imprimante] Les studios hollywoodiens sont des machines qui brassent de gros capitaux, et faire des films demande beaucoup d’argent, c’est la seule différence avec le roman ou la bande dessinée. Le cinéma est un médium profondément capitaliste. Utiliser le capitalisme pour le satiriser peut sembler étrange ou contradictoire, mais je pense, en tant que créateur, qu’il ne faut pas s’en priver. »
Des croissants de lune glacée
- Les Creepers, limaces ou chenilles, petites et géantes, de « Mickey 17 » (2025, Bong Joon-ho)
Mickey 17 ? C'est vrai que son récit, déployé en trois temps (celui de l'exposition : on y découvre un pauvre type, Mickey, un gentil naïf dont le commerce de macarons dans l'Amérique exsangue des années 2050 a périclité, du coup le voilà avec d'énormes dettes contractées auprès d'un usurier sans pitié, aussi, pour s’en sortir, il signe, sans lire toutes les clauses du contrat inscrites en tout petit en bas de page, pour une expédition au long cours destinée à coloniser Niflheim, une planète de glace, là-bas, avec à l'autre bout de la chaîne capitaliste un ripou de richard sans scrupules (Kenneth Marshall), loin de la Terre et de ses turpitudes, il sert bientôt de cobaye pour devenir un « expendable », un remplaçable qui peut mourir sans problème et être répliqué indéfiniment via l'impression 3D, et tester ainsi la capacité des hommes à vivre sur cette nouvelle planète hostile parce que truffée de virus), celui du développement (Mickey 18 rencontre Mickey 17, dans des décors de chambrée spatiale à tuyauterie rétrofuturiste qui rappellent un peu Le 5e élément) et celui de la chute (scoop, découverte, sur Niflheim, de grosses bestioles attachantes, les Creepers, un potentiel danger pour l'homme, ressemblant à de grosses limaces géantes, aux faux airs de croissants velus mobiles, ces créatures locales étant également surnommées les Rampants, ne sont pas sans rappeler les monstrueux vers des sables du Dune (1984) de Lynch).
- Robert Pattinson se fait imprimer à l’envi, et jusqu’à l’overdose, dans « Mickey 17 » de Bong Joon-ho
Si l’on s’attendait à un chef-d’œuvre éclatant à la hauteur de The Host ou de Parasite, force est de constater que, malgré de nombreux moments de génie, le film peine à se transcender et laisse quelques zones d’ombre dans son déroulé-fleuve. Dès le départ, le film s’installe dans une logique de farce grinçante qui, tout en s'inspirant du genre de la science-fiction, cible frontalement l'absurdité des grandes entreprises et des empires mégalomanes : Robert Pattinson incarne donc ce « minable » Mickey, un clone qui, à force de "démultiplications", se retrouve à naviguer dans un univers de manipulation industrielle et humaine, à la fois ridicule et menaçant. Sa lutte pour sa propre identité – et par extension, contre un système hautement corrompu qui le traite comme un simple produit jetable – prend des airs de comédie noire, teintée d’une profonde amertume, voire de mélancolie (le paradis perdu des tardigrades géants, à la monstruosité dodue pas bien méchante, et l'insistance sur l’œil larmoyant, cadré en gros plan, de la reine mère de ces bestioles, vivant depuis fort longtemps sur Niflheim, territoire hostile pour l'être humain).
L'influence de Snowpiercer - Le Transperceneige (2013, une production The Weinstein Company, hélas torpillée à sa sortie par le gros dégueulasse, et criminel sexuel, Harvey Weinstein, actuellement sous les verrous) est également palpable, avec une hiérarchie sociale rigide, où les puissants (incarnés ici par un burlesque Mark Ruffalo, pantin pathétique moins obsédé par sa personne que par l’image qu’il renvoie, et par son iconoclaste épouse blondasse, collectionneuse de sauces), se retrouvent dans une position grotesque, à la fois absurdes et terrifiants dans leur mépris de l'humain, celui-ci comptant moins, à leurs yeux, qu’un simple tapis persan. L’idéologie de la réussite à tout prix et du profit qui écrase l’humanité se trouve donc au cœur du récit de Mickey 17, sous les traits d’un patron outrageusement mégalo, qui semble prendre des décisions sur un coup de tête, sans se soucier des conséquences humaines. La vie humaine, pour lui, n’est qu’une variable d’ajustement dans l’équation du profit. Ce personnage pétaradant, constamment filmé par un de ses sbires, au crâne glabre, pour faire monter l'audimat - coucou Trump, le revoilou ! - rappelle furieusement les grandes figures populistes actuelles ou anciennes (avec son menton levé, il peut faire penser à Mussolini), dont l'arrogance et l’outrecuidance n’ont d'égales que leur mépris pour les autres. On est également ici sur les pas de Parasite, nous conduisant vers une réflexion, sans filtre, à la Ruben Östlund, sur la lutte des classes et l’ascension d'une classe dirigeante complètement déconnectée de la réalité.
- Naomi Ackie (Nasha) et Robert Pattinson (Mickey Barnes) dans « Mickey 17 », 2025, signé Bong Joon-ho
Cependant, Mickey 17 n’est pas exempt de défauts. Si Bong excelle, comme à son habitude, dans l’art de mélanger la satire politique et la comédie absurde, son film se perd parfois, au sein d'un joyeux bordel dramaturgique, dans des scènes excessivement longues (le jeu de séduction entre Mickey 17/18 et Nasha, jouée par Naomi Ackie, qu'on a pu voir récemment dans Blink Twice, est guère passionnant ; le rajout de la présence sur le vaisseau de tueurs à gages, au service d'un mafieux, qui entend faire payer sa dette au héros endetté fuyard de la Terre, ne me semble pas indispensable) et dans des dilemmes moraux - entre Mickeys, qui tuera l'autre parce qu’il mérite de vivre ? - qui, malgré leur pertinence, sur fond de jeu de dupes et d'imposture façon Volte/Face (1997) de John Woo, semblent se diluer dans la science-fiction elle-même. Le scénario, bien que d’une grande richesse d’idées, souffre parfois de son approche délibérément fragmentée, limite nébuleuse. Et certains rebondissements apparaissent un peu trop artificiels, téléphonés, si ce n'est inutiles.
- Anamaria Vartolomei, Robert Pattinson et Bong Joon-ho sur le tournage de « Mickey 17 »
Ainsi, Bong Joon-ho insiste un peu trop sur le fait de voir deux Pattinson dans le même plan, or, au ciné, question effet spécial, c'est du déjà-vu depuis belle lurette, à commencer par Jeremy Irons fois deux dans le bien plus troublant Faux-Semblants (1988) de David Cronenberg, se jouant de la gémellité érotique avec glissements progressifs vers le sable mouvant de l'obscur objet du désir. Puis, les multiples itérations de Mickey rappellent fortement les boucles temporelles répétitives infernales d’Un jour sans fin et d’Edge of Tomorrow. De plus, le personnage de la soldate féministe à tendance saphiste, Kai, interprétée (avec grâce) par la superbe actrice franco-roumaine Anamaria Vartolomei, manque d'étoffe et semble un peu sacrifié au montage : elle disparaît au milieu du film pour n'apparaître qu'à la toute fin, dans l'épilogue, comme un cheveu sur la soupe. Cet épilogue, parlons-en, il finit en « happy end » un petit peu trop hollywoodien - attention spoiler : la révolution intergalactique, même si tempérée par un dernier cauchemar de Mickey avec la cynique collante Ylfa (Toni Collette), est en marche, avec la totale du dénouement positif attendu : l'amour en personne prôné, la décolonisation de la planète Niflheim, l'annulation du génocide de sa population autochtone et la défaite cinglante du tyran milliardaire, comme cerise sur le gâteau. On aura connu plus subversif ! L’histoire aurait peut-être mérité une narration plus fluide pour lier toutes ses réflexions, se voulant vertigineuses (la mise en abyme du rôle-titre), et rendre ainsi davantage hommage à la complexité (souhaitée) de ses personnages.
- Robert Pattinson (Mickey Barnes) dans « Mickey 17 »
Cela dit, je chipote, l’acteur britannique Robert Pattinson livre ici une performance assez impressionnante, avec une palette d’émotions diversifiée - pour un acteur, on s'imagine que c'est « l'éclate », jouant tout à tour un timide mollasson limite benêt (Mickey 17) et un double bien plus survolté et extraverti, s'accordant la dinguerie (Mickey 18), qui va au-delà de son rôle de simple « clone », parvenant à incarner à la fois la lose poisseuse et l'espièglerie salvatrice, le faisant échapper à la gravité dans tous les sens du terme, la révolte et l’impuissance. Ce comédien « beau gosse tourmenté » pour midinettes au départ, rappelons-nous de la saga téléfilmesque Twilight (2008-2012), depuis il a nettement diversifié son je(u) en s'épanouissant davantage chez des auteurs indépendants, tels David Cronenberg (Cosmopolis, Maps to the Stars), James Gray (The Lost City of Z) et Claire Denis (High Life), parvient à donner, sans être toutefois renversant sur toute la ligne (il manque tout de même de charisme, autrement dit, de présence à l'écran, selon moi), une certaine profondeur à son personnage-gigogne tout en restant dans la lignée de ce que le film exige de lui : après tout, à force de se reproduire en s'améliorant à chaque fois, en étant recraché par cahots, et ce par une espèce d'espace circulaire anale de machine IRM du genre photocopieuse géante, on ne sait plus trop bien qui IL est vraiment (c'est tout l'effet jeu de miroirs carnavalesque du film, il est auto-remplaçable) : un homme, ou davantage encore une multitude d’hommes, se cherchant sans cesse (Je est/hais un autre) dans un univers absurde, aux confins de l'ubuesque (ici, le roi est nu, l'acteur star est un simulacre né de l'industrie culturelle pop estampillée Hollywood, l'IA peut dupliquer son image à l'infini !). Mais le vrai problème réside dans le fait que, dans un monde aussi peuplé et dévasté, l’humain (trop humain) semble parfois se perdre, et la satire, bien que brillante, finit par devenir un peu trop envahissante, quitte à nous perdre quelque peu en route. On finit, en tout cas pour ma part, à saturer avec lui, oups pardon, eux : les Robert en veux-tu en voilà. Ses arlequinades, au bout d'un moment, tournent un peu à vide, surtout lorsqu'en mode cartoonesque, il s'efforce, le regard ahuri et les bras agités grands ouverts, à jouer « à l'asiatique ». Or, n'est pas Song Kang-ho, l'acteur burlesque fétiche de Bong (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer : Le Transperce-neige, Parasite), qui veut.
Mais le long-métrage, à la beauté formelle manifeste (toutefois, ça, on le savait, Bong Joon-ho est un grand formaliste, ici secondé par un chef op virtuose qui n'est autre que Darius Khondji), malgré sa bonne volonté de se rendre attachant, notamment via son final dans la neige très miyazakesque (où l'on apprend, comme les héros du film, à aimer, à défaut de les comprendre entièrement, les Creepers), n’atteint pas l'impact que l’on aurait pu attendre de lui, en grande partie à cause de sa narration parfois bancale et de son rythme irrégulier volatil (récit feuilleté et non linéaire, narré en voix off par Mickey 17), faisant se succéder sans fin, presque en boucle, à l'instar de son personnage principal démultiplié ad nauseam sur lequel tout glisse (puisque sa mort, de toutes façons, n'a aucune importance, il sera, une fois canné, aussitôt ressuscité), des « remplaçables », ou avatars, interchangeables, des personnages de trop binaires (manichéens), des métaphores un poil lourdingues ou à l'humour potache un peu risible (cf, le dessin-pictogramme pour évoquer l'acte sexuel hétéro, Mickey se dessine bien loti, au niveau de l’entrejambe, alors sa fiancée Nasha (agente de sécurité et maîtresse femme), moqueuse, lui sort que la sienne n'est pas si grosse, franchement on aura connu humour plus fin) ainsi qu’une accumulation de scènes anecdotiques (surtout le milieu du film, vraiment son ventre mou) qui finissent par lasser : 2h17, c'est quand même bien long.
- Tous les garçons s’appellent Robert (ou Mickey)...
Reste néanmoins une œuvre riche, sauvée par tout le dernier tiers du film, agissant tel un cauchemar éveillé (l’invention visuelle du cinéaste est ici incontestable), lovée dans un manteau de neige - territoire inentamé des Rampants - confinant à l'abstraction picturale de toute beauté (oui, esthétiquement, c'est magnifique, une goutte de sang ou une pierre noire qui tombe dans un champ de neige en devenant en quelque sorte une extension, comme arborescente, d'elle-même), qui, tout comme ses personnages, continue de se chercher (une identité, une incarnation, une forme adéquate, une mythologie nouvelle, loin des franchises hollywoodiennes habituelles, labellisées Marvel ou DC Comics), avec la promesse d’une future reconnaissance, peut-être, quand le temps aura permis de déceler toutes ses subtilités, calées entre States et Corée du Sud.
- Deux fois Mickey/Robert Pattinson, « Mickey 17 » (2025), par Bong Joon-ho
Il faut que tu respires…
- Aimez-vous Robert Pattinson ? Mickey 18 et Mickey 17 dans « Mickey 17 », 2025, de Bong Joon-ho
Un 3,5/5 pour cette belle tentative d’allier humour noir, au bord du burlesque libérateur, et science-fiction visionnaire, à la critique sociale acerbe, et pur divertissement bon enfant, pas trop méchant - on reste loin du mordant et ambigu Starship Troopers (1997) du fou violent hollandais Paul Verhoeven, qui combinait aussi science-friction et relents fascistes, pour mieux les dénoncer. Ainsi, ce Mickey 17, selon moi, mais ce n'est que mon humble avis !, ce n'est pas le meilleur des Bong Joon-ho. En même temps, atteindre les cimes subversives jouissives d'un Host et surtout d'un Parasite (quel parasite celui-là, il s'invite encore ici alors qu'on ne lui a rien demandé !), c'est tout de même loin d'être évident. Et, à la fin, allez savoir pourquoi (certainement du fait de l'homonymie), j'avais envie de plus d'envolée lyrique « verte » avec, en écho, les paroles accrocheuses et émancipatrices de Mickey 3D, groupe de rock français qui se fait trop rare : « Je vais te raconter l'histoire de l'être humain. Au début, y avait rien, au début c'était bien. La nature avançait, y avait pas de chemin. Puis l'homme a débarqué avec ses gros souliers. Des coups de pied dans la gueule pour se faire respecter. (...) En deux temps trois mouvements, l'histoire était pliée. C'est pas demain la veille qu'on fera marche arrière. On a même commencé à polluer les déserts… Il faut que tu respires, et ça c'est rien de le dire. Tu vas pas mourir de rire, et c'est pas rien de le dire. » Allez, vive les gentils Creepers !
- Bong Joon-ho (photo Stefanie Loos/AFP)
Et, last but not least, gageons que le brillant Bong Joon-ho, dont on sent bien qu'il veut réussir un scénario exceptionnel qui sortirait de son cerveau humain et non pas des algorithmes d'une intelligence artificielle de pointe, genre ChatGPT calibré pour fignoler du narratif de haut débit, fera mieux encore la fois prochaine : il se murmure (source : Les Cahiers du cinéma #818, mars 2025, p. 73) qu'il est en pleine préparation de son prochain film, un premier long métrage d'animation autour des rapports entre les créatures des profondeurs (énièmes avatars des Creepers ?) et les humains, annoncé comme le film coréen le plus cher de l'histoire et adapté du roman, et beau livre documentaire, de la journaliste française - décidément, il est francophile ! - et militante écolo passionnée par la protection des océans profonds Claire Nouvian, Abysses (publié chez Fayard en 2006, info d'après Screen Daily). Dernièrement, en conférence de presse à Séoul, pour la promotion de Mickey 17, qui n'est pas en 3D contrairement à la saga Avatar signée James Cameron, Bong Joon-ho a exprimé son inquiétude par rapport à l'importance croissante de l'IA dans l'écriture de films : « Je veux faire un "coup 78" [ou "coup divin"] toutes les deux pages de mes scénarios », a-t-il déclaré, faisant allusion au fameux coup qui a permis, en mars 2016, à l'humain Lee Sedol (Coréen) de battre, au jeu de go, le programme AlphaGo, développé par Google DeepMind. Allez, go : faisons un rêve... S'il réussit, ça risque grave, ce coup-ci, de faire un chef-d'œuvre !
Mickey 17 (2025 - 2h19). États-Unis (+ Corée du Sud). Couleur. De Bong Joon-ho. Avec Robert Pattinson, Naomi Ackie, Steven Yeun, Toni Collette, Mark Ruffalo, Holliday Grainger, Anamaria Vartolomei, Anna Mouglalis (la voix de Mama Rampeur). En salles depuis le 5 mars dernier. ©Photos VD, souvent d'après la presse.