L’écran blanc

par C’est Nabum
vendredi 27 mai 2022

 

Même pas moyen de griffonner.

 

Jadis, l'auteur en mal d'inspiration pouvait encore jouer du crayon ou de la plume pour chercher dans le griffonnage le déclic qui mettrait en branle son processus créatif. Imaginez donc l'insupportable confrontation avec un écran qui demeure vide, face à un clavier qui a une drôle de touche. Pire encore, nul reflet n’incite le malheureux si peu créatif à se tourner vers les reflets de l'autofiction. Ce blanc ne le regarde pas dans les yeux, il le laisse à sa vacuité sans lui venir en aide.

Que faire dans pareil cas pour remettre le pied à l'encrier ? La tentation est grande d'aller quérir sur la toile ce déclic qui fait défaut au risque de participer à l'insupportable gaspillage énergétique. L'idée du reste n'est pas fameuse. Que faire de tous ces chats qui minaudent en compagnie de leurs maîtres, béats d'admiration ? Que penser de tous ces plats expliqués par le menu que nous servent ceux qui ne veulent pas rester sur leur faim sans en faire partager la terre entière ? « Est-ce là une manière astucieuse de lutter contre la malnutrition ? »

Devant cette page blanche, il n'est pas aisé de marcher sur des œufs sans briser la coquille. Dans pareil cas, le clavier se couvre de nids de poule, de dos d'âne et de chausse-trappes qui ne sont plus indexés à une lettre ou bien un signe. L'azerty perd toute signification tandis que seule la barre espace atteste du vide qui se joue en cet instant douloureux.

Puis, à force de volonté, l'écrivaillon décide de se lancer au hasard, de compter sur sa bonne fortune pour qu'une écriture automatique lui offre un fil à dévider. L'espoir est de courte durée, le correcteur vient semer et souffler cette petite lueur vacillante. Il se permet de le mettre sur une autre voie, lui qui justement est incapable de retrouver sa voix intérieure, cette petite musique qui habituellement guide son esprit. Ses doigts refusent obstinément de se faire le prolongement d'une pensée en panne sèche.

Un petit clic le sort de sa torpeur. Insidieusement, il est resté branché avec un réseau social. Un message vient titiller son imaginaire, il ne prend pas la peine de répondre à cet inconnu, ami virtuel, qui le remet sur le droit chemin. Il revient promptement à son écran blanc, espérant mettre en blanc ce fil ténu qu'il vient de percevoir.

Un titre apparaît alors comme une évidence : « Écran blanc » en réponse à ce merveilleux conte sur la page blanche d'un auteur dévoré vivant par son encrier. Le tâcheron des mots s'évertue alors à ne pas singer ce récit, à surtout s'éloigner de sa dimension surréaliste. Il s'attache à rester très terre à terre, ce qui n'est pas une excellente idée quand tout ceci est destiné à une vague qui ne connaît jamais de creux.

Ces mots s'enchaînent laborieusement. Le blanc se noircit sans nuance, le clavier se refuse à se faire aérien. Les phrases s'enchaînent sans se déchaîner, sans souffle ni imagination. Il remplit sa mission, simple assuétude sans raison, sans saveur ni valeur. Il tape, espérant achever sa page alors que depuis longtemps déjà il a découragé les derniers courageux lecteurs.

Ce sera un matin pour rien, un texte sans intérêt, un récit qui se dilue dans un espace au vide sidéral. Il est préférable du reste de jouer de la touche fatale, celle qui d'une simple pression effacera tout ce verbiage dérisoire. Le blanc est parfois plus éloquent que ces misérables nuances de gris qui se perdent entre les lignes.

Laborieusement, le mot de la fin se profile cependant au bout de cette page que le malheureux s'est refusé d'abolir. Il se persuade que ce moment d'incertitude rassurera ceux qui ne cessent de vanter sa faculté créatrice. Oui, il n'échappe pas au manque d'inspiration, voilà qui nous rassure. Pourtant, il trouve quand même un subterfuge pour faire illusion. Quelle vaine prétention dérisoire…

À contre-vide.


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