Marcel Scipion (3) Le Clos du Roi

par Jean-François Dedieu
lundi 8 avril 2024

D’abord un livre sauvé des flammes... Enfin, que ce ne soit maladroit et choquant de l’exprimer ainsi car c’est un homme coincé dans son camion que les flammes menacent. Sa vie se déroule à l’envers, en accéléré ; en dépit des souffrances il se sent serein, presque libéré, tant pis s’il ne peut revoir sa femme, ses enfants...

La mort pourtant, desserre son emprise, il lui arrive de préserver, de prolonger la vie, un sursis, ici, pour intimer à l'intéressé qu’il a une autre façon de garder ses abeilles et moutons, mais à jamais cette fois ! 

Marcel révèle que c’est une voix qui lui reproche de n’avoir pas travaillé son don d’écriture ; Marcel a la foi, il sait que la voix vient d’en Haut. Il doute néanmoins même si l’institutrice lisait déjà ses rédactions à la classe. L’orthographe, sûrement, qui le bloque... 

À partir d’une photo de l’agence Roger-Viollet (édition Rombaldi). Pardon pour ce détournement... mais comme disait Pagnol, dans l’esprit, pour ce qu’il avait adapté et copié de Giono qui avait contre-attaqué en justice : « Je n’ai pas pu m’en empêcher ! ».

 

Il faut surmonter la souffrance, lui changer les idées, Christiane Vivier, professeure et amie lui apporte crayons et cahiers ; elle corrige puis tape les textes, les lui montre. Il y démontrait un vrai plaisir d’enfant. L’écriture en tant que thérapie, pas pour faire un livre... Refaire surface, rééduquer longuement ses membres, se faire à la hanche artificielle, récupérer de ses deux pieds brisés, pour que l’homme blessé espère en son futur, que l’homme nouveau revienne à une vie nouvelle. 

Il va mieux et c’est plus difficile de le persuader de finir le projet presque à terme. C’est souvent l’entourage qui pousse au livre, objet vivant, unique en cela, comme il en est d’une bonne chanson, d’un bon film... Un homme nouveau, oui, bien qu’il soit déjà monté à Paris, que, de bouche à oreille il a brillamment participé au “ Magazine des Arts Traditionnels ” de France Inter... Une déception ? Non, cela n’enlève rien au mystère de l’écrit, dans sa genèse, sa finalisation, fantasmagorique, presque ! 

Petites abeilles de Mayotte sur des morceaux de papaye confite (2014)
2015... les photos datent de dix ans en arrière. Est-ce lié à la chimie de contrebande à hautes doses que l'Europe vend à l'Afrique et qui arrive à Mayotte avec les migrants clandestins ? Inquiétant...

 

Nicole Ciravégna (1925-2011) raconte qu’elle le présenta un jour à son amie France Vernillat (1912-1996), à la RTF (ORTF) de 1952 à 1974, qui le fit parler de l’apiculture sauvage d’autrefois. Le récit, parfois truculent, passa aussi sur France Culture ; un an plus tard, la productrice descendit en Provence pour persuader Scipion d’enregistrer à nouveau. Plus hésitant, Marcel se fit désirer ; À force de discuter, après promesse d’un bon déjeuner, un accord fut conclu. Sauf, et c’est là un trait de son caractère, Marcel exigea « de la daube, de grosses pâtes coudées et des œufs à la neige » ; où et qui pour cuisiner ce menu atypique ? il est seulement indiqué qu’avec l’hydromel « il était rouge comme un piment » ! Lui, coutumier de la sieste, allait-il s’écrouler ? Le micro resta branché pour des paroles plus drôles, plus piquantes encore, diffusées ensuite dans “ La vie sur le vif ”. 

Anecdotique mais symbolique : le pain à la maison... 

 

Un Clos dit “ du Roi ”, un vallon où emmener les moutons l'été à transhumer. Cuire son pain à la maison, mais pas pour rigoler (cinquante kilos de farine, quinze jours de miches pour la dizaine de personnes d'une famille élargie), faire ses patates, ses choux, son miel, sa médecine même avec les limites qu'on sait, son vin, distiller son marc en fraude, braconner les sangliers, le lièvre pour qui le grand-père a réservé trente choux terribles appâts à portée de fusil lors des nuits glacées de pleine lune à « couillonner » les gendarmes... Et tout ça conté presque au coin du feu, le même foyer que celui, passé, des quatre de la famille aux douze personnes avec la tante, tonton, et leurs sept gosses, suite au décès de la mère de Marcel (il n'avait que six ans)... Oh c'est rustique, presque un cliché pour citadin mal à l'aise, rêvant d'un retour impossible à la nature... Pourtant Scipion est un vrai gavot, un paysan des Basses-Alpes plutôt Hautes (depuis 1970, la nouvelle appellation « Alpes-de-Haute-Provence » étant plus appropriée). Dans la postface du Clos du Roi, Nicole Ciravégna, elle-même professeure de Lettres et écrivaine, pour beaucoup dans l’écriture du livre, dit de Marcel qu’il est « un Pagnol de la montagne ».

Comment ne pas aimer Marcel Scipion quand il raconte la soupe de sa grand-mère, la solidarité qui fait partager le cochon entre voisins, l’équilibre ancestral pour la nature de la part de l’agriculteur chasseur, fustigeant ainsi ces repeuplements protégés ne pouvant que générer des malformations. Le gaspillage non plus il n’aime pas... (mon grand-oncle Noé, comme Marcel, ne gardait-il pas toujours le cuir des chaussures pour faire, par exemple les charnières des portes du jardin ou du poulailler ?). 

J’aime Marcel pudique, qui avoue sa sensualité : « C’est émouvant, une femme qui, dans l’amour, découvre qu’elle existe... ».

J’aime Marcel pas avare de certains secrets dont celui, pour reprendre des forces, de ceinturer nu le tronc d’un chêne : « C’est une source de vie, un chêne. Et qui sait vous donner une vigueur terrible. Je le sais. Je l’ai fait ». Étonnant comme on retrouve une pratique identique chez Henri Vincenot, pourtant loin dans le Morvan... 

 

Comment ne pas aimer Scipion lorsque dans son introduction, il présente ainsi sa démarche :
« Ces souvenirs, j’ai pris grand plaisir à les évoquer.
Puissent-ils, lecteur, “ t’agrader ” aussi. »
Un pays, c’est une langue aussi qui régente tout un état d'esprit !  

Presque, je laisserais en plan mes mots, là, tout de suite, par fringale, gourmandise, pour vite rouvrir les pages du Clos du Roi ! 


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