Stéphane Collaro rime avec...

par Sylvain Rakotoarison
samedi 20 mai 2023

« Mon rôle (…) est de faire des émissions populaires et de distraction, et je n'ai jamais compris pourquoi ceux qui parlaient de culture et d'information, méprisaient totalement les gens qui, comme moi, font des émissions de grande écoute plus populaires. » (Stéphane Collaro, octobre 1979).

Que devient Stéphane Collaro, l'ancien animateur de télévision des années 1980 ? Il fête son 80e anniversaire ce samedi 20 mai 2023. On a souvent dit que rire maintient en bonne santé, c'est peut-être vrai (en tout cas, j'ai connu un centenaire dont l'humour n'était pas un vœu pieux).

Au début de sa carrière professionnelle, dans les années 1960, Stéphane Collaro était un (très jeune) journaliste assez banal. Il présentait principalement l'actualité sportive et a eu même quelques aventures de course automobile. Il a décroché dans ce métier au milieu des années 1970 pour s'engager dans l'aventure télé-humoristique de Jacques Martin : "Le Petit Rapporteur", puis "Bon dimanche", "La Lorgnette", "L'École des fans", etc.

Ce genre d'émission paraît aujourd'hui banale (on peut penser à la bande à Ruquier, par exemple) : un chef d'orchestre, des chroniqueurs, tous à table sur une scène avec des reportages et une grosse envie de se moquer de tout le monde. Mais à l'époque, c'était révolutionnaire, une dose d'impertinence toute "giscardienne", je veux dire, de l'époque giscardienne qui était à la libéralisation de l'audiovisuel par l'éclatement de l'ORTF. Officiaient auprès de Jacques Martin de savants humoristes, comme le dessinateur Piem, ou encore le tendre Pierre Desproges, ainsi que Pierre Bonte (qui a aujourd'hui un peu plus de 90 ans), le grinçant Daniel Prévost... entre autres, et aussi Stéphane Collaro (pas longtemps).

La compétence de journaliste était intéressante dans ce genre d'émission puisque les chroniqueurs faisaient un peu le travail d'un journaliste : trouver un thème porteur, aller sur le terrain, interroger des témoins, en faire un résumé dans un reportage et enfin, conclure, si possible avec une chute (qui, là, ne relève plus du journalisme).

Cette bande à Jacques Martin était tellement impertinente qu'elle ne savait jamais vraiment si elle pourrait revenir devant les caméras le dimanche suivant. On l'imagine mal aujourd'hui, dans un paysage audiovisuel éclaté, dont l'offre très importante d'émissions qui se veulent impertinentes ne donne plus qu'un concours de ricanements sans intérêt qui met rarement en danger un pouvoir quelconque, qu'il soit politique ou économique.

L'un des ressorts de ce genre d'émission est de l'humour potache, c'est-à-dire de l'humour gratuit, sans arrière-pensée, sans objectif idéologique ou autre, celui qu'on peut observer chez les étudiants ou chez les bidasses (genre bataille de polochons). C'était une forme d'humour assez prisé qui se retrouvait aussi au cinéma, par exemple avec Louis de Funès.

Stéphane Collaro a pris son envol à la fin des années 1970. C'est Jacques Martin qui l'a encouragé à produire sa propre émission et à l'animer lui-même. Ils n'étaient donc pas en compétition l'un et l'autre, contrairement à certaines rumeurs de l'époque : on aime toujours opposer les personnalités les unes contre les autres pour créer des histoires à épisodes qui peuvent faire de l'audience.

D'abord il a pris son envol à la radio où il a assuré une émission régulière sur Europe 1 de 1978 à 1984, ensuite à la télévision à partir de 1979, en initiant une émission de divertissement qui se voulait humoristique, intitulée "Le Collaro Show". Jusqu'en 1996, il a multiplié ce genre d'émission sur des chaînes différentes (TF1, Antenne 2, etc.), à des fréquences et horaires variés (hebdomadaires ou quotidiennes, en deuxième partie de soirée le samedi, ou juste avant le 20 heures tous les jours, etc.) et sous des noms différents, reprenant toujours son patronyme pour en rire (mais qui peut aussi avoir le goût de l'égocentré), comme cette dernière émission "Y a-t-il un coco dans le show ?"... en passant par tout un tas de noms aussi impossibles les uns que les autres ("CocoBoy", "Cocoricocoboy", "Collaricocoshow" etc.).

L'émission, au début enregistrée au Théâtre de l'Empire, était une succession de sketchs, parodiant d'autres émissions de télévision ou des scènes de vie, avec Roland Magdane, Guy Montagné, Martin Lamotte, Philippe Bruneau, Claire Nadeau (madame foldingue), Jean Roucas, Marie-Pierre Casey, etc. Intervenaient également comme invités des stars de la chanson comme Daniel Balavoine, Karen Cheryl, Robert Charlebois, Dalida, etc. C'est aussi chez Collaro qu'il y avait eu "Brie-Comte-Robert", pour parodier la série télévisée américaine très en vogue "Dallas" (avec le fameux JR joué par Philippe Bruneau).
 



Comme pour les Shadoks dix ans auparavant, les téléspectateurs se divisaient en pro-Collaro et anti-Collaro. Il faut préciser que Collaro a eu tout de suite un succès monstre et a été bombardé comme l'un des animateurs vedettes de ces années-là. Une vie d'ailleurs qui ne le satisfaisait pas forcément. Il y a maintenant bien sûr un brin de nostalgie sur cette époque télévisuelle assez dynamique mais finalement assez brève (et brouillonne).

Cette émission (je la mets au singulier car elle a le même ressort) était ce qu'on appelait une "émission populaire", comprendre, une émission pas culturelle. Stéphane Collaro, dans une interview à "Ciné Télé Revue", a expliqué, en octobre 1979, son affaire : « La seule chose que l'on peut mépriser, c'est ce qui est vulgaire. C'est ce qui vole bas. Mais le qualificatif "populaire" n'est absolument pas péjoratif. ».

Sa philosophie, c'était qu'il fallait qu'il y ait de tout à la télévision : « Il y a donc des gens dont le rôle n'est pas d'aller vers le public, mais d'attirer un certain public à eux, en proposant des émissions culturelles. Mais elles ne peuvent être supportables et appréciées que si les gens peuvent souffler avec autre chose. (…) Pour moi, ce sont simplement des émissions qui se complètent. (…) La télévision doit apporter à la fois de la distraction, de l'information et de l'instruction. Je ne vois pas pourquoi on sacrifierait un aspect des choses à un autre. (…) Dans une école, il y a des récréations, et moi, je suis là pour la récréation. ».



C'était sans doute la bonne analogie à utiliser, Stéphane Collaro, c'était le maître de la télévision récréative ! Mais il y a récréation et récréation. Ainsi, on a souvent reproché à Stéphane Collaro d'avoir recruté des playmates pour ses émissions. Être entouré de filles jolies et sexy, plutôt dévêtues, et proposer une séquence strip-tease qui a énervé bien des instincts maternels vis-à-vis de leur progéniture adolescente qui ne ratait pas une émission, évidemment.

Pratique plutôt machiste, la formation de la troupe des Coco Girls (dont ont fait partie les animatrices Alexandra Lorska et Sophie Favier), qui a sévi de 1982 à 1987, n'était pourtant pas, dans l'esprit de Stéphane Collaro, du sexisme. L'animateur s'en est ainsi confié à Christine Descateaux le 2 octobre 1982 dans "Télé 7 Jours" : « Elles ne sont pas tristes à regarder, mais on les entendra aussi. Car ça m'énerve de voir les belles filles traitées comme des potiches dans les émissions de télévision. Les quatre que j'ai, je vais tenter d'en faire la coqueluche des téléspectateurs. Je vais les faire parler, bouger, danser, chanter. Je veux qu'elles soient sexy et drôles. ». En fait, il a surtout voulu faire de la parodie de Playboy, d'où le nom de l'émission "CocoBoy". Mais le second degré pouvait être pris au premier degré ; cela faisait toujours de l'audience !

À partir de mars 1984 (et jusqu'en juin 1987), l'émission est devenue "Cocoricocoboy" et était plus courte et plus fréquente : au lieu de durer une heure toutes les semaines, elle devenait quotidienne (du lundi au samedi) pendant une vingtaine de minutes juste avant la grand-messe du 20 heures de TF1. À ce titre, on disait qu'il y avait un choc des Titans entre Stéphane Collaro qui sévissait sur TF1 et Philippe Bouvard sur Antenne 2 juste avant les journaux de 20 heures.

Cependant, le plus important et ce qui a perduré au-delà de ces émissions collaroshowiennes, c'est "Le Bébête Show" inventé par Stéphane Collaro, Jean Amadou et Jean Roucas. Cette émission était une parodie du Muppet Show en reprenant des marionnettes de personnalités politiques françaises (c'était la première fois en France). Le Bébête Show a été très vite apprécié par les téléspectateurs (se moquer de la classe politique étant un sport national en France). Il a sévi entre octobre 1982 et juin 1995 sur TF1.

Après une aventure sans lendemain pour la chaîne commerciale nouvelle La Cinq en 1987-1988, Stéphane Collaro s'est concentré sur le seul Bébête Show jusqu'en 1995. Mais à partir d'août 1988, l'émission a dû subir la forte concurrence des Guignols de l'Info sur Canal Plus (avec le débauchage du marionnettiste, entre autres), qui laissaient entendre que l'émission de TF1 était "Très Bête Show" (en gros, les intellos écoutaient les Guignols et les populaires le Bébête). En 1995, le Bébête Show s'est arrêté faute d'audience par manque de renouvellement (et faute de combattant, Jean Roucas parti et jamais vraiment remplacé), tandis que les Guignols de l'Info faisaient preuve de beaucoup de créativité.

En 1996, Stéphane Collaro a quitté définitivement la télévision et a changé radicalement de vie en faisant de la promotion immobilière et de l'hôtellerie, investissant dans des logements et ouvrant un hôtel à Saint-Martin, aux Antilles, où il a habité la plus grande partie de son temps. Son patrimoine a été cependant très fortement touché par l'ouragan Irma qui a dévasté l'île le 6 septembre 2017.

Au début des années 2010, on a bien tenté de faire revenir Stéphane Collaro à la télévision, mais par la porte de service, comme une ancienne célébrité dans une émission de téléréalité (la Ferme des célébrités). Flairant le piège, il a finalement décliné l'offre et il a beaucoup savouré cette sage décision, tant l'émission mettait peu en valeur les différents joueurs.

Finalement, c'est assez rare qu'un personnage qui a été aussi médiatisé que Stéphane Collaro dans les années 1980 ait pu changer aussi radicalement sa vie et faire autre chose. Lorsqu'on parlera des années Collaro à la télévision, on n'évoquera pas la chaîne culturelle Arte, bien sûr, mais plutôt TF1 et ses blagues à deux balles. C'est pourtant cet air de dérision et de légèreté qui manque à notre temps ; on n'ose plus vraiment se moquer parce qu'on est devenu indifférent. Tant qu'on reste connecté à ses réseaux sociaux, à ses tribus, tout va bien, le reste du monde peut s'écrouler.

Au fait, avec quoi rime Collaro ? Avec rigolo, bien sûr.


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Sylvain Rakotoarison (20 mai 2023)
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