La magie de Noël

par C’est Nabum
dimanche 17 décembre 2023

 

Un drôle de Jules

 

Jules vivait tranquillement dans la forêt profonde à l'abri des regards et des curieux à peu de distance de la ville norvégienne de Kristiansand sur l'Île de Odderøya. Sa demeure avait été à l'origine un ancien terrier de renard arctique bien dissimulé entre les racines d'un magnifique chêne pédonculé.

L'installation d'un lazaret en 1804 poussa le brave Jules à venir discrètement au secours des misérables qui se trouvaient mis en quarantaine en ce lieu. Quand on est un Nisse ou bien encore un Tomte, il n'est pas possible de se montrer aux humains sans déclencher de curieuses réactions. Jules fit donc le choix de la clandestinité pour porter aide et assistance à ces pauvres gens.

Rapidement, à l'insu de son plein gré, le charmant lutin provoqua bien des troubles dans l'établissement quand il apportait un fruit à l'un des pensionnaires sans pouvoir le faire pour tous les autres. Des jalousies se créèrent de la faute des bonnes intentions d'un Jules dépassé par l'ampleur de la tâche.

Il se résolut à réduire ses prétentions tout en continuant à vivre auprès des humains à condition de ne jamais se montrer. Il avait trouvé en leur compagnie des éléments qui manquaient cruellement à son ancienne existence : le chauffage notamment avait été pour lui un véritable bonheur. Il est vrai que Jules n'était pas tout jeune, que ces rhumatismes le faisaient horriblement souffrir.

Lui donner un âge ne serait guère possible. Un Nisse est immortel, il vit là depuis bien avant l'existence des humains. Il n'a pourtant pas vu leur arrivée d'un mauvais œil, se disant qu'entre eux et lui, il y avait plus de ressemblances que de distinctions irréconciliables, seulement la nature humaine n'est pas très partageuse, la clandestinité devint très vite une nécessité absolue.

Clandestin certes mais rien n'interdisait à Jules d'affirmer son penchant pour la générosité et le partage en se montrant charitable pour ses frères humains. Il n'attendait du reste aucune contrepartie, aucun remerciement. Lui agissait ainsi, se montrant serviable et prévenant tout simplement parce qu'il n'envisageait pas l'existence autrement. Il faisait le bien autour de lui sans que ce fut ostensible.

Jules prit donc l'habitude de remettre à leur place les objets égarés, de fermer une fenêtre qui était entrouverte par mégarde, d'éteindre un feu de cheminée qui menaçait de se répandre ou tout au contraire de le recharger au cœur de la nuit par grand froid. Une petite fée du logis en somme ce charmant lutin en toute discrétion et dans l'ignorance de ceux qu'il servait ainsi.

La rumeur pourtant fit part de l'existence de Jules et ses comparses quand au solstice d'hiver ils redoublaient d'activités bienfaisantes pour les gens. Bien vite, les Norvégiens prétendirent qu'ils étaient les lutins du père Noël. Tous les Nisses et Tomtes durent se résoudre à décaler de quelques jours leur nuit de grande générosité se couvrant d'un bonnet rouge assez ridicule pour satisfaire au folklore de la nativité.

Avant cette confusion déplorable, ils étaient vêtus de lin bleu ou gris, plus propice à passer inaperçus. Le rouge les montrait du doigt, ils devaient encore plus faire assaut de discrétion pour ne pas se montrer. Une vie de plus en plus compliquée au fil des années avec la nécessité, pour répondre à toutes les sollicitations d'œuvrer sans relâche tout le mois de décembre sous la direction d'un Père Noël qui les avait enrôlés de force dans ses brigades enfantines. Contrairement aux apparences, le vieux bonhomme était un patron d'une extrême sévérité, exigeant un service parfait.

Jules n'en pouvait plus de ces travaux forcés. Il avait songé à monter un syndicat des Nisses et des Tomtes mais hélas, désormais assimilés aux lutins de Laponie, lui et ses semblables n'avaient pas le droit de se fédérer selon un règlement sans pitié qu'avait rédigé le Père Noël en personne. Pour notre ami, à bout de force et de patience, l'exil était la seule issue pour passer cette période de Noël en toute tranquillité.

Jules apprit tout à fait par hasard que la ville voisine de Kristiansand envoyait une délégation pour célébrer son amitié avec la cité d'Orléans. Le marché de Noël y serait aux couleurs de la Norvège. Le gentil Nisse se dissimula dans les bagages pour pensa-t-il, éviter l'effervescence de cette fête en son pays. Ailleurs l'herbe est toujours plus verte et la vie plus rose, les Nisses ne font pas exception quand il s'agit de se fourvoyer ainsi.

Quand il sortit de sa cachette, il se trouva au cœur d'un décor qui lui rappelait furieusement son pays d'origine : Chalets de bois, vin chaud, friandises, cadeaux à gogo et Pères Noëls factices. Le pauvre Jules se fut arraché les cheveux s'il en avait eu encore. Seule la neige était artificielle tout comme la patinoire tandis que les enfants de l'endroit étaient beaucoup moins habiles sur les patins. Seule une immense roue venait créer un dépaysement renforcé par la présence d'une curieuse dame habillé de fer, juchée sur un cheval immobile.

Si la journée, Jules se cachait de cette foule bruyante parmi des odeurs assez nouvelles pour lui, la nuit, le calme enfin revenu, il pouvait vaquer à ses occupations de Nisse. Mais faire le bien quand on n'est pas chez soi n'est pas chose facile. Le pauvre manquait de références culturelles pour agir opportunément.

S'il réussit bien vite à se faufiler dans les chalets pour y quérir de beaux objets tous plus somptueux et mystérieux les uns que les autres, il ne savait à qui les offrir et où les livrer. Sa formation de lutin en Norvège ne lui permettant pas de transférer ses compétences au cœur de la cité d'Orléans.

Jules devant toutes ses façades illuminées porteuses d'enseignes et de larges fenêtres couvertes de produits, se dit que fort probablement aucun enfant dans le besoin ne vivait là. Il s'enhardit dans la ville à la recherche de ce qu'il considérerait comme une demeure digne de sa générosité. Ses petits pas de Nisse le conduire jusqu'à une grande demeure de briques où la même dame sur son cheval, était cette fois debout dans une posture plus humble. Il se dit que c'est là qu'elle gardait ses enfants.

C'est ainsi que chaque nuit, Jules dérobait quelques produits de l'artisanat commercial pour les livrer dans cette humble maison de briques. Il fit tant et si bien que nul ne remarqua son manège jusqu'à ce qu'un policier municipal ne finisse par découvrir que dans l'ancienne salle du conseil municipal, il y avait sous le sapin les objets qui avait été déclarés volés par les commerçants des chalets

Le pauvre agent se dit qu'il convenait pour lui de ne pas mettre les pieds dans le plat. Il ferma les yeux pour ne pas se faire appeler « Jules ! ». Quand notre petit Nisse entendit cette réflexion, il comprit bien trop tard qu'il s'était fourvoyé. Il revint dans sa cachette et cessa de vouloir jouer au Robin des bois.

Il laissa passer les fêtes et s'empressa de revenir dans sa chère Norvège avec empressement et joie, d'autant plus du reste qu'il avait entendu les nouvelles lois sur l'émigration que le Père Noël local entendait mettre dans la hotte nationale. La France n'aurait plus rien d'un vaste Lazaret. Lutins, trolls, nisses, tomtes, elfes et korrigans devraient eux-aussi montrer pattes blanches et papiers tricolores. La magie de Noël n'était qu'une terrible illusion en ce pays.


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