La malle au trésor du Subrécargue

par C’est Nabum
lundi 18 décembre 2023

 

Un passager qui ne bouge pas son cul...

 

Il advint que pour cette cargaison exceptionnelle, le marchand exigea la présence d'un homme de confiance, un supposé mandataire qui avait mission de surveiller le précieux fret en gardant un œil sur un équipage toujours capable de détourner à son profit quelques menus éléments de la cargaison en prétextant un vol à quai ou une chute malencontreuse durant le trajet.

Si la chose était rare, plus encore était pour notre marine de Loire le terme savant de subrécargue qui désignait le poids-mort que devrait supporter cet équipage ; un individu exempté de toute activité à bord alors que l'ouvrage ne manquait jamais à la manœuvre et durant le trajet sur une Loire qui offrait mille et une occasions de tremper sa liquette ou de mouiller sa chemise.

L'envoyé du marchand ; du moins le croyait-on, un certain Mathieu, n'avait chose incroyable, jamais mis les pieds sur un bateau. Curieuse décision de son commanditaire à moins que ce ne fut l'expression du dédain que l'armateur avait pour ceux dont le labeur l'enrichissait. Toujours est-il que ce fut le point de départ d'une série d'imbroglios qui rendirent le voyage de Nantes à Orléans des plus ubuesques.

Tout débuta du reste au moment de l'embarquement. La lettre de charge indiquait clairement la présence d'un personnage chargé de surveiller une malle mystérieuse dont le poids avait provoqué les supputations les plus diverses chez les portefaix d'abord puis parmi l'équipage du Chaland. Un passager aux bras ballants pour avoir l'œil et les fesses sur un coffre cadenassé ne pouvait qu'éveiller les plus folles hypothèses.

L'idée d'un trésor expédié de la lointaine Amérique par un colon qui entendait revenir au pays jouir du fruit du labeur de ceux qui privés de liberté, travaillaient à sa prospérité, avait immédiatement alimenté les conversations de nos matelots. : la rumeur se nourrit toujours de l'ignorance. L'un deux, alors qu'il la chargeait sur le pont, avait discrètement secoué la lourde caisse en bois sans que le moindre bruit ne trahisse la présence de pièces en or ou de diamants.

L'ordre d'embarquement fut lancé alors que Mathieu assis sur son coffre, admirait les belles dames qui allaient et venaient, arpentant les quais. C'est ainsi que notre individu considéra des femmes qui pour les marins, n'étaient nullement des bourgeoises en promenade mais plus sûrement des travailleuses proposant un service manifestement inconnu du subrécargue. Qui dont était ce blanc bec hautain qui n'avait pas l'air de connaître les mœurs marinières ?

C'est à Ancenis que notre homme se fit à nouveau remarquer quand il prit pour une crue éventuelle, l'effet de la marée qui se manifestait jusque-là. L'armateur aurait pu prendre un passager un peu plus protée. Les matelots entendaient dessaler ce type dont la seule présence immobile les indisposait quand ils étaient à la manœuvre.

Ils auraient aimé l'envoyer chercher par exemple une corde à faire tourner le vent mais l'homme n'avait pas le droit de quitter le pont et son énigmatique promontoire. « Il ne bougeait décidément jamais son cul » avait déclaré exaspéré le voiturier. L'homme du reste se refusait à la moindre corvée, se contentant de passer le plus clair de son temps, assis sur sa malle à lire ou à rêvasser. Une plaie pour des hommes habitués à l'action qui se demandaient comment celui-ci pouvait ainsi tuer le temps à ne rien faire.

Le trajet jusqu'à Saumur ne modifia en rien la posture d'un Bonhomme qui, chose étonnante, semblait ne pas avoir de besoin naturel. Bien vite il fut surnommé Fesse-Mathieu parce qu'il ne bougeait pas son séant mais aussi que jamais il ne les accompagnait dans les tavernes lors des haltes sur le trajet. L'homme profitait sans doute de ces occasions, fort nombreuses du reste, pour soulager des envies qui s'imposent à tous.

C'est donc dans la belle cité de la patronne des mariniers Notre Dame des Ardillets, à l'ombre du magnifique château que les hommes se mirent en demeure de le pousser dans ses retranchements. Ils installèrent un seau d'aisance à côté de ce coffre sur lequel semblait coller ce curieux cavalier tandis qu'ils décidèrent de toujours maintenir une présence sur le bateau pour surveiller le subrécargue.

C'est ainsi que pour sa plus grand honte Mathieu dut baisser culotte devant celui qui était de garde. La chose était entendue, c'était un homme normalement constitué. Il n'y avait nulle magie là dessous. Il avait posé son offrande ce qui eut pu mettre la puce à l'oreille à notre équipage à propos de son trésor sans que jamais personne ne put songer à pareille révélation. Mais laissons aller le cours du récit sans en dévoiler la teneur.

Le voyage continua avec cependant une plus grande proximité entre Mathieu et le reste de cette petite communauté fluviale. Si sa mission demeurait sur le sceau du secret, l'aventure saumuroise avait créé une forme de proximité de nature à rompre la glace. C'est ainsi qu'à Tours, étape suivante pour le grand chaland, les hommes qui allèrent sur le quai rapportèrent une bouteille de bon vin du pays à leur immobile passager.

Mathieu les en remercia vivement et but à la bouteille, faute d'avoir un gobelet à sa disposition. Ce fut là l'occasion pour tous de se soucier enfin du ravitaillement de celui qui jusqu'alors se contentait de gâteaux secs qu'il retirait des poches de son gariot et de l'eau contenu dans sa dame Jeanne. Il eut droit à partir de cette révélation à une part de la popote du maître queux sans oublier le verre d'arquebuse à la fin du repas.

Ce réchauffement des relations ne permit cependant pas d'en savoir plus sur le contenu de la caisse qu'il gardait d'une paire de fesses toujours sur la brèche. Le pauvre garçon devait avoir des escarres et des fourmis dans les guibolles sans jamais se plaindre. Cette posture lui valait la sympathie des autres tout en accroissant sans cesse, le besoin de connaître le fin mot de l'histoire.

Blois fut la dernière étape avant la destination finale. La ville dormait autour de son château tandis que l'activité se résumait au port de la Creusille et à ce quartier sud Loire qu'on dit Vienne. L'équipage devait y charger des poteries venant d'une usine dont la réputation n'était plus à faire. Il y avait dans le lot des cruches de fort belle taille qui justement faisaient partie de la cargaison sous la responsabilité de Mathieu.

Le mystère s’obscurcissait. Qu'y avait-il dans la malle et à quoi pouvaient servir ces vasques immenses en poterie. Les mariniers auraient payé fort cher pour le savoir. Il n'y avait plus chez eux un quelconque intérêt mercantile mais bien l'envie irréfrénable de savoir, tout simplement. C'est en croisant le château de Mesnard qu'insidieusement notre subrécargue laissa échapper un indice en déclarant : « J'ai été jardinier dans cette magnifique demeure ! »

L'homme était donc un simple ouvrier comme nos mariniers. On lui avait confié une cargaison de valeur qui avait sans nul doute rapport avec son métier. Mais quoi ? Des plants mystérieux venus du Nouveau Monde et qui étaient promesse d'enrichissement ? Pour les mariniers, il y avait de quoi devenir chèvre…

Orléans fut le terme d'un voyage qui fut un tourment pour les trois membres d'équipage et ce pauvre Mathieu collé à sa caisse. Une voiture hippomobile vint quérir le jardinier et son trésor lointain. Les mariniers entendirent le cocher crier : « En route pour Chamerolles ! », un château qui fut jadis propriété de Lancelot du Lac.

Regardant partir leur passager d'un étrange voyage, ils le suivirent des yeux s'éloignant le long du quai quand l'un d'eux reçut une fiente de pigeon. La vérité tombait du ciel, mais comment eurent-ils pu imaginer la valeur de ce guano, cet engrais fabuleux, vendu à prix d'or de 1820 à 1860 et venu des Îles Chincha au Pérou. Vraiment un drôle d'oiseau ce subrécargue ! Quant à son usage, je vous laisse à vos supputations ...


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