Métempsycose sur le canal d’Orléans

par C’est Nabum
lundi 14 août 2023

 

La grue schizophrénique…

 

Une grue lors de sa grande migration, excédée de découvrir à quel point les humains mettaient son nom à toutes les acceptions possibles et souvent fort peu à son avantage, fut atteinte de graves troubles schizophréniques. Elle ne savait plus qui elle était, faisant le pied d'elle-même le long d'un canal, espérant ainsi retrouver le fil de sa pensée.

Elle y croisa une écrevisse qui tournait le dos à la réalité d'autant que la malheureuse, victime d'une malformation génétique n'avait qu'une pince exagérément disproportionnée à sa taille. Devant pareille déformation, la grue ne put s'empêcher d'interroger le crustacé d'eau douce qui lui avoua qu'il se rendait à la consultation du bon génie de la Bionne, un vieux mage des temps anciens.

La grue compte tenu de son état mental était toute disposée à tenter l'expérience cherchant un secours dans des pratiques que l'on qualifie parfois en les prenant dessous l'aile de sciences occultes ou de pratiques ésotériques. Mais qu'importe l'opinion publique, elle entendait mettre un terme à ce que ses amis les hérons de Sologne qualifiaient dans leur patois de Burn-out.

Pince dessus, aile dessous, l'écrevisse uni-pince et la grue se dirigèrent de concert vers un génie des eaux qui faisait grise mine. Non pas qu'il avait perdu ses pouvoirs magiques mais tout au contraire parce que les humains tentaient par de sournoises pratiques, de vider son commerce de toute substance. Sa rivière sonnait désespérément le creux.

L'été seul ne pouvait être la cause de pareil marasme. Le mage aqueux soupçonnait ceux qui vont debout sur leurs jambes arrière de pratiques contre nature, de sorcellerie néfaste pour l'ensemble des habitants des rives et des flots. C'est donc un marabout à bout qui reçut nos deux commères. Son humeur exécrable risquait fort de le faire sortir de ses gongs.

Malgré tout, il écouta attentivement les plaintes de nos deux nouvelles amies. Il ne voyait pas comment intervenir sur le génome de la pauvre écrevisse, ceci sortait largement de ses pouvoirs magiques d'autant que son ARN messager fonctionnait tout de travers. Par contre pour la grue, il lui conseilla le changement d'état, notre génie était un fervent adepte de la métempsycose.

La grue pour changer de nature se rêvait de devenir joli papillon. Même si ce bel animal avait lui aussi une métaphore qui ne lui collait pas à l'aile mais au pare-brise, le terme devenait si obsolète que la migratrice pensa qu'il était temps pour elle de remettre les pendules à l'heure et de changer de nature. Le bon génie dut l'avertir néanmoins qu'il n'était pas en capacité de brûler les étapes et qu'ainsi avant d'être papillon, il lui fallait débuter au stade ovaire avant de poursuivre une longue métamorphose jusqu'à ce que la chrysalide devienne le bel imago qui enchante les yeux.

Pour une grue, redevenir un œuf était une forme de retour aux origines, une belle occasion de recommencer sans coquille cette fois, son cycle en évitant tous les travers dont elle avait eu à pâtir. Elle accepta ce changement d'état avec un empressement qui troubla le bon génie des eaux. Celui-ci, sottement, ne prit alors pas la peine de choisir son lieu de renaissance plus opportunément.

L'ancienne grue fit sa nouvelle nidification sur la feuille d'un nénuphar qui poussait dans le canal où précisément se jette la Bionne. La suite prouvera que l'empressement des uns et des autres tourna à la tragédie. Quand elle atteint le stade de la chenille, le canal était totalement à sec si bien qu'une partie de la pauvrette se trouva irrémédiablement enlisée dans la vase tandis qu'un dérèglement hormonal transforma ce qui émergeait de ce cloaque en un engin de chantier qui pour honorer la pauvre écrevisse uni-pince qui assista impuissante au drame.

Le génie de la Bionne tenta vainement de remettre tout ça à flot afin que le retour de l'eau permette la fin de la mutation afin que l'horrible monstre englué parvienne alors au bout de ses peines et finisse par devenir le papillon de ses rêves. Si l'eau vient à tarder, seul un vol de grues pourrait lui venir en aide, encore faut-il que les anciennes congénères de la pauvrette daignent lui accorder un petit coup de bec.

À contre-temps.

Photos de Georges A...

 


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