Le perroquet et les moutons

par C’est Nabum
lundi 12 août 2024

 

Le psittacisme panurgique …

 

Un perroquet au terme d'une rocambolesque aventure avait cessé de parler latin. Il se pensait ainsi prêt à voler de ses propres ailes dans la société, loin du conservatisme des sœurs visitandines. Ayant pris la poudre d'escampette, fuyant le couvent pour prendre le grand large à bord d'un fier trois mâts, il envisageait de s'en retourner sur la terre de ses ancêtres perché qu'il était au sommet du plus haut des mats en un lieu qui porte son nom sur un navire.

Vert-Vert puisque tel était son nom avait désormais un bagage linguistique des plus chamarré. La fréquentation des filles de joie du quai de la fausse, des mariniers de Loire et de quelques soudards interlopes avait placé dans son bec un langage aussi fleuri que familier, aussi exotique que vernaculaire. Il prenait tout ce qui trainait pour se le mettre sous la langue, devant un locuteur des plus extravagants.

C'est fort de ce lexique qu'il franchit l'Atlantique pour s'en retourner chez lui. Hélas l'accueil ne fut pas à la hauteur de ses espérances. Les services de l'immigration lui volèrent dans les plumes, prétextant que sans papier, l'animal ne pouvait s'installer dans ce grand pays de liberté, le tout exprimé dans un sabire d'anglais mêlé d'espagnol. Vert-Vert l'oreille aux aguets, en tira avec délectation de nouvelles expressions dont souvent il ne comprenait goutte.

Il dut se rendre à l'évidence et effectuer un voyage retour qui le renvoyait dans ses foyers même si cette notion était inconnue pour celui qui désormais n'avait plus de domicile fixe. Il songea même à retourner à Nevers en se glissant sur un chaland de Loire, une fois arrivé à Nantes afin de demander le pardon à celles qu'il avait honteusement abandonnées.

Son plan connut une curieuse entorse à ses prévisions. Il se trouva embarqué sur un bateau transportant un troupeau de moutons. La chose n'est pas banale d'autant que le risque est grand de voir les caprins sauter comme un seul homme dans l'eau à la première occasion. Conscient de ce péril, Vert-Vert par solidarité animale se mit à leur raconter des histoires dans une langue qui constituait désormais une sorte d'espéranto emplumé.

Le résultat ne se fit pas attendre. Les moutons de dresser l'oreille et de ne retenir tout ce qui échappait à la langue des bergers. Ils cessèrent de bêler pour tenir des propos dans une langue nouvelle, un salmigondis d'expressions ronflantes et de propos mystérieux. L'important n'étant pas pour eux de comprendre mais simplement de paraître. Le mouton aime par-dessus tout se sentir à la page.

Il se trouve qu'il y avait parmi l'équipage un docte personnage : Patrice L qui se montra particulièrement attentif à ce qui se tramait là sous ses yeux en tombant allégrement dans ses oreilles. Il prit des notes, observa la vitesse de propagation d'un mot ou d'une expression dans ce troupeau stupide. Si la communication y perdait en clarté, il se rendait compte que tenir des propos incompréhensibles avait de quoi satisfaire les locuteurs.

Les moutons se gargarisaient de mots avec délectation d'autant plus aisément que ceux-ci venaient de contrées lointaines où ils n’avaient jamais mis les pattes. Cela leur donnait de l'importance et un pouvoir certain sur les pauvres bergers qui s'évertuaient à bien parler dans leur dialecte d'origine. Les plus zélés du troupeau saisirent cette faculté nouvelle pour s'inscrire dans ses écoles de commerce, de journalisme ou bien encore s'engager en politique.

Le perroquet qui était passé à un autre idiome ne se soucia plus de ce troupeau insignifiant où chacun déblatérait pour ne rien dire tout en tentant de tondre la laine sur le dos de ceux qui s'évertuaient à respecter leur langue maternelle. Ce curieux phénomène qui outre qu'il demeure dans la lignée de la langue de bois, prit le nom de psittacisme panurgique pour célébrer le rôle de meneur perroquet et la docilité servile des moutons. Prenez bien garde de n'être pas du nombre et si vous voulez me donner un petit coup de main, venez rejoindre les rangs clairsemés des bons bergers de notre langue.

 


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