L’art de gouverner

par Jacques-Robert SIMON
lundi 29 avril 2024

 Le temps passait depuis toujours, les siècles s’empilaient les uns sur les autres, puis les millénaires, mais l’Art de gouverner suivait toujours les principes du Tao, si important qu’on ne peut pas le décrire sans le détruire. Les sujets attendaient sagement le moment opportun pour agir tout en cachant leurs talents. On leur devait l’invention du papier, de la soie, de la boussole, de la poudre à canon... tout obéissait au cours naturel des choses jusqu’à ce jour où les roses découvrirent la machine à vapeur : ils savaient engendrer à loisir de l’énergie mécanique à partir de la terre. Une frénésie de commerce et de domination leur firent utiliser l’opium comme arme de guerre. Il restait à rassembler nos forces grâce à cette sagesse ancestrale si utile jusque-là. Les roses consommaient, bâtissaient, s’agitaient, dominaient la finance, il ne fallait pas faire autre chose même mieux, mais la même chose en les surpassant.

 Les pays du soleil couchant s’aperçurent tardivement qu’on ne pouvait pas puiser à l’infini dans le même tas de terre. Se passer des engrais et de l’industrie chimique qui va avec, des moyens de transport les plus polluants, des emballages plastiques presque impossibles à recycler… …. Toutes ces choses auraient pu se faire si quelque chose ou quelqu’un leur montrait le chemin à suivre. Mais tous couraient comme une poule sans tête.

 De faux sages s’installèrent qui promirent la lune et tous ne regardèrent que le doigt. « Pour tromper le Monde, paraissez comme le monde, ayez l’air de la fleur innocente, mais soyez le serpent qu’elle couvre. », telle devint la méthode que suivirent les roses fidèles au petit livre. Les habitants seraient bientôt plus autonomes, moins asservis par une extrême division du travail, ils accepteraient les différences, les essais comme les erreurs… Les gens redeviendraient joyeux de travailler la terre, de raccommoder leurs chemises, de se passer des médications inutiles, heureux de travailler avec leurs mains.

 Pendant ce temps, l’Empire du milieu se préoccupait de choses plus sérieuses. Ses entreprises fournissaient à bas prix tout le matériel que les roses utilisaient pour engendrer leur société idéale, les consommateurs ne font plus que consommer et s’appauvrissent tout en se noyant dans des montagnes de liquidités ne reposant sur rien de concret. Le peuple du Tao submerge celui des décadents en faisant comme eux mais plus vite, moins cher. La coquille une fois vidée de sa substance il suffisait de la briser. Les petits adorables auront tôt fait de chasser le tigre de papier de sa brousse, tigre empli de vide, empli de sarcasmes, empli d’autosuffisance, tigre qui ne peut plus combattre tant il est obèse. Peu à peu mais de plus en plus vite, les nuages porteurs de nuées crèveront pour laisser place aux structures des empires du milieu s’appuyant sur plusieurs millénaires d’une civilisation

 Les roses doivent cependant continuer à s’ébattre dans les champs des mots creux qui cachent leur impuissance. Il ne s’agit que de mots et les mots peuvent être changés aussi rapidement qu’ils sont prononcés. Il faut créer à leur insu une modernité aliénante qui permettra la tutelle des masses avec son consentement. Agiter les phénomènes de mode, que l’on assimilera indûment au progrès, conduira chacun à s’agiter fébrilement pour acquérir cette nouveauté sans même comprendre en quoi elle peut lui servir, pour faire comme tout le monde, pour exister à ses propres yeux. Depuis des milliers d’années l’Homme utilise des outils pour l’aider à calculer voire à penser. Des ordinateurs à tube cathodique puis à transistors apparurent, malheureusement ces découvertes furent faites au mauvais endroit, sur un continent sur le déclin, elles durent être copiées en attendant le moment opportun. Mais ces technologie pouvaient servir au Bien : régenter, maîtriser les comportements de tous et de chacun jusque dans le plus intime de leur vie privée. Surveiller et Punir est re-toiletté pour faire jeune. Les beaux esprits qui créèrent les innombrables conflits dont certains mondiaux, la parcellisation du travail jusqu’à le rendre indigeste, les obsessions de rendement, de productivité servant de prétextes à tous les abus et surtout l’abandon des différences entre humains pour les transformer en consommateurs robotisés, tous identiques… les beaux esprits donc étant incapables d’engendrer quoi que ce soit de concret seront tout naturellement portés à enrégimenter les autres sous leur férule, leurs normes, leurs façons d'agir et de se comporter. Le Tao s’installera sans qu’il soit nécessaire d’envoyer des troupes : l’organisation de la civilisation antique prévaudra.

 L'éducation populaire a pour but de s'éloigner un tant soit peu des instincts bestiaux comme il est préconisé dans le Tao. Pour ce faire le poète tout comme l'artisan peuvent y contribuer, il suffit de ressentir un besoin irrépressible de faire naître le beau. Mais le Verbe à lui seul, tout au contraire, est un terrible moyen d’agitation. Il faut qu’il serve pour tranquilliser les foules, bâtir des paradis artificiels personnalisés, sur mesure afin qu’’elles n’interviennent plus dans le monde réel. On laissera les naïfs s’exprimer à loisir dans le microcosme qu’ils se construiront et dans lesquels ils existeront, les autres les verront, leur parleront, leur feront des confidences, ils deviendront même importants. Tout doit être fait pour que les quidams ne puissent plus distinguer l'accessoire de l'essentiel, les jouissances de l'instant des plaisirs, les gens de bien des gens de peu, les connaissances erronées du+ savoir.

 Les vestiges démocratiques des roses ont en grande partie déjà disparues. Il est strictement impossible de faire société sans établir des inégalités, inégalités indispensables pour asseoir une hiérarchie. Si un supérieur est nécessaire, encore faut-il qu'il soit le plus méritant, le plus capable d’accéder à des responsabilités. La démocratie formelle où chacun peut s’exprimer engendre des responsables irresponsables selon le schéma conventionnel : le plus farouche des bleus va l'emporter sur le plus farouche des rouges, dans les deux cas c'est le plus farouche qui subsiste. Le caractère éminemment guerrier de l’élection n’a rien à voir avec le Tao.

 Ainsi vont les choses : ceux qui sont avides de pouvoir sont inaptes à l'assumer pour le bien de tous. Les fanfreluches langagières que l'on agite au nom de grands principes ne changeront rien à cet état de fait. L'Art de gouverner pourrait être un véritable Art si l'Art de prendre le pouvoir ne l'avait pas complètement englouti jusqu'à prendre sa place.

 La roue du destin va bientôt aller dans le bon sens.

 

La documentation, la traduction et la mise en forme des textes chinois et anglais ont été faites grâce à l’IA.

 


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