La sornette de la rainette

par C’est Nabum
samedi 12 février 2022

La grande flèche.

Une grenouille, lasse de fréquenter les zones humides, les marais et les étangs de Sologne se résolut à tenter l'aventure de la grande ville. Elle si rieuse, voulait rencontrer plus de monde, persuadée qu'elle aurait l'occasion de se faire des amis, de rencontrer des congénères mais aussi d'autres animaux, pour enrichir sa culture et s'ouvrir à la diversité.

« Qu'est-ce qui pouvait bien lui avoir mis pareilles sornettes dans la tête ? » s'interrogeaient ses compagnes, plus casanières que notre intrépide aventureuse. Gaby, notre batracienne était la cible de ses congénères qui la langue bien leste, l'accusaient d'avoir la cuisse légère et le diable au corps, remarques perfides qu'elle balayait d'un croassement méprisant.

Elle n'en avait cure, elle devait se mettre en route afin de découvrir un monde nouveau qu'elle imaginait chaleureux, distrayant et accueillant. Seul souci de taille, la ville n'était pas à la porte d'à côté : ce n'était pas en se contentant d'un saut qu'elle réaliserait ce grand bond en avant pour elle.

Quoique parfaitement amphibie, notre amie Gaby n'était pas pourvue de bottes de sept lieux afin de franchir cette distance considérable qui séparait son trou d'eau de son rêve urbain. Elle se mit en quête d'un moyen de transport adapté à sa condition. Il n'était pas question pour elle de recourir aux locomotions humaines, elle avait bien trop de relations qui avaient péri en traversant une route.

Elle en parla autour d'elle, espérant trouver un animal qui partage son envie d'ailleurs. Elle se tourna tout naturellement vers la grosse cylindrée de l'endroit, un sanglier qui aurait pu avoir l'envie d'aller se bauger dans un parc du centre-ville. Si l'animal ne rechigne pas à dévorer les grands espaces, il n'avait guère l'envie de se retrouver prisonnier derrière des grilles qui sont fermées la nuit.

Le remarque la poussa à prendre le risque de se tourner vers un collègue capable de voler, en sachant qu'il y avait parmi eux, de drôles d'oiseaux capables de ne faire qu'une bouchée de la demoiselle. C'est pourtant un héron qui accepta le marché, lui jurant de ne pas profiter de sa présence pour en faire son en-cas durant le trajet. La grenouille jugeant que si ce volatile avait un long bec, il n'avait pas le nez qui rallonge, elle accepta de voyager en sa compagnie.

Le héron se chargea donc de la course moyennant quelques confidences. C'est ainsi que Gaby lui céda quelques secrets de son espèce afin que les prochaines parties de pêche de son chauffeur soient fructueuses. On mesure ici la rouerie de la bête, capable de trahir les siens pour la seule satisfaction de son caprice. En cela elle était fort humaine !

Le baptême de l'air de Gaby fut un enchantement. Le voyage se déroula presque sans encombre. Il y eut certes une chaude alerte au passage d'un curieux moulin à trois pales d'une hauteur inhabituelle. Le héron fut pris dans des turbulences qui faillirent lui faire perdre la tête ou à défaut le cap. Heureusement, la grenouille avait gardé la tête froide et sut le remettre sur le droit chemin, sans perdre le nord qui était l'azimut recherché.

C'est ainsi qu'ils se posèrent sur une curieuse bande très étroite de terre, au milieu d'une étrange étendue d'eau qui avait la particularité de ne pas rester en place. Gaby n'avait jamais rencontré tel phénomène que le héron qualifia de courant. Elle se dit que, certainement, bien d'autres surprises l'attendaient et elle se jeta dans les flots pour gagner la berge, apercevant au loin, une flèche majestueuse qui l'attirait mystérieusement.

C'est en se trouvant dans ce fameux courant qu'elle fut saisie par la puissance de cette force colossale qui la faisait dévier de sa route. Toute excellente nageuse qu'elle puisse être, notre grenouille ne parvenait pas à rester en ligne. Elle dérivait, portée inexorablement dans un sens imposé par cette rivière qui ne remontait pas à la source.

Elle opta pour la plongée en apnée. Une pratique qui était malgré tout dans ses cordes, pour trouver dans les profondeurs, la force de s'opposer à ce courant contrariant. Elle fit tant d'efforts qu'à bout de force, elle s'approcha de la berge. Une nouvelle fois, un obstacle se dressait devant elle. La nature comme elle la connaissait dans sa Sologne n'était en rien semblable à ce qui se présentait devant elle : un haut mur vertical de pavés, qu'elle n'était pas en mesure d'avaler d'un bond.

La grenouille, de guerre lasse se hissa tant bien que mal sur une barque bien plus grande que les pauvres nayons qu'elle avait connu dans son étang. Si la chose était en bois, elle était pourvue d'une maison et de tout le confort. Décidément, les gens de la ville n'étaient semblables aux humains que jusqu'alors elle avait côtoyés.

Elle en vint à regretter sa décision quoiqu'il ne lui fût plus possible de retourner en arrière. Elle n'était pas certaine que le héron tienne une nouvelle fois parole et surtout, elle redoutait par-dessus tout les moqueries de celles qu'elle avait laissées là-bas. Gaby avait de la fierté, il n'était pas question de s'avouer vaincue.

Elle en était là de ses réflexions quand le destin se montra clément. Des humains vinrent s'installer sur ce grand bateau où elle avait posé ses bagages. Il y avait dans la troupe, une femme qui s'isola sur le pont avant pour faire hommage à la rivière et se recueillir quelques instants. La dame vit la grenouille, la trouva fort mignonne et la prit dans sa main.

Gaby, mise en confiance par la simplicité et la douceur qui émanait de cette femme, lui avoua que son grand désir était de rejoindre la belle demeure couronnée d'une flèche qui pointait dans le ciel. Il s'en suivit une conversation entre ces deux-là, la femme voulant comprendre à quoi faisait allusion la grenouille.

Après bien des explications assez énigmatiques, l'animal manquant cruellement de référence et de vocabulaire pour décrire précisément ce qui s'avérait être la cathédrale, la marinière comprit cette demande aussi surprenante que merveilleuse. Une grenouille qui voulait rejoindre l'univers des gargouilles, il y avait de quoi crier au miracle, ce que n'hésita pas à faire cette croyante.

Abandonnant ses amis mariniers, la femme ayant mis Gaby dans son ciré, regagna la terre ferme pour s'empresser de satisfaire la prière de sa nouvelle amie. De la Loire à la Cathédrale, le chemin est vite parcouru. C'est en se signant que la bonne samaritaine pénétra dans ce lieu sacré. Elle sortit la grenouille de sa cachette, prenant bien garde ne n'être vue de quiconque tant ceci pouvait passer pour un blasphème.

La grenouille aux anges, remercia chaleureusement celle qui l'avait remise sur le droit chemin. Puis, priant sa bienfaitrice de la laisser seule à son vœu le plus cher, elle alla se cacher dans une chapelle latérale. Gaby apprécia le calme de l'endroit, la quiétude qui semblait régner en ce lieu frais et sombre qui avait tout pour lui plaire. Elle acheva la journée pleinement heureuse, sentant monter en elle, une forme d'exaltation dont elle ne parvenait pas à saisir l'origine.

La nuit tomba sur sa nouvelle demeure. Elle éprouva alors le besoin de se replonger un peu dans l'élément liquide. Elle remarqua à deux bonds de là, une grande vasque qui lui avait tout l'air d'être un réceptacle aqueux. D'un bond prodigieux réalisé avec le truchement du souffle divin qui baignait ce lieu saint, elle se retrouva dans le bénitier.

Gaby découvrit un peu tard qu'elle se trouva prise au piège. De l'eau, il n'y avait plus en ce refuge, non pas que l’évêché se trouva à court d'eau bénite mais bien plus prosaïquement parce que les autorités, dans un grand souci hygiéniste, avaient exigé que les bénitiers de toute la nation fussent vidés. C'est ainsi que par la faute supposée d'un pangolin, une grenouille agonisa dans la maison de dieu. Les voies du seigneur sont vraiment impénétrables.

À contre-temps

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