Radio Canada tire la plogue de l’OQLF, l’État français tire la plogue de sa langue

par Dictho
vendredi 15 mars 2024

Quelle est la norme de la langue française ? Qui la définit ?

Québec « tire la plogue » sur les subventions à l’achat de voitures électriques

À compter du 1er janvier 2025, la subvention de 7000 $ du gouvernement du Québec pour l’achat d’une voiture hybride ou électrique sera graduellement réduite jusqu’à son abolition complète en 2027.

Ce qui m'a surpris en lisant ce titre de Radio Canada, le 13 mars 2024, n'a pas été cette expression à laquelle je n'avais pas particulièrement prêté attention jusqu'alors et dont la signification est suffisamment explicite pour qu'elle ne soit pas commentée dans l'article, mais de la découvrir entre guillemets. Que ce soit pour les anglicismes, franglicismes, régionalismes, les médias français ne le feraient pas, mais oseraient-ils encore utiliser une expression ne correspondant pas à LA norme, c'est-à-dire le bon usage de l'élite ?

Cette expression n'est pas nouvelle.

Le français québécois au quotidien 20 octobre 2014.

Les organisateurs de Woodstock en Beauce déclarent forfait, reprennent leurs billes, abandonnent, renoncent, mettent fin à l’entreprise, mettent la clé sous la porte, ferment les livres, etc. Certaines expressions se trouvent dans l’article publié sous la plume d’Ian Bussières dans le Soleil du 18 octobre (p. 2), d’autres, non. Le titreur avait donc le choix mais il lui fallait faire mieux. Il a trouvé « Woodstock en Beauce tire la plogue ». Il a eu la prudence de guillemeter l’expression « tirer la plogue ». Le franglicisme « plogue » est la transcription phonétique du mot anglais « plug » signifiant « prise de courant ». C’est déjà un bel effort : on n’a pas réussi avec « fonne », « baguel », « iglou », mais on a « lousse », « toune » et, souvent, « coquetel ». Le français québécois n’utilise pas toujours les mots ou les idiotismes français qu’il néglige mais il donne à l’occasion une graphie française aux mots anglais empruntés.

Et pourtant cette graphie francisée est vilipendée par l'Office québécois de la langue française.

Office québécois de la langue française

14 mars 2024

L’emprunt à l’anglais plug est parfois employé tel quel au Québec, ou francisé en plogue, soit avec le sens de « fiche d’alimentation électrique » ou de « prise de courant », soit avec celui de « publicité gratuite ». Ces emplois sont déconseillés en français.

Plug, en électricité. En français, on emploie parfois le terme anglais plug pour désigner une prise de courant ou une fiche d’alimentation électrique. Ces emprunts sont déconseillés. Selon le contexte, on les remplacera par fiche ou prise de courant.

Plug, en parlant d’une publicité gratuite. Pour désigner cette forme particulière de publicité généralement faite en ondes et destinée à vanter un produit ou un artiste, on recourra de préférence aux termes français suivants : publicité, promotion, pub (familier), promo (familier). D’autres formulations peuvent être utiles, selon le contexte, par exemple : coup de pub, annonce parasite, publicité déguisée ou encore publicité gratuite, clandestine, illicite, dissimulée, non autorisée.

La forme verbale pluguer. On peut substituer au verbe pluguer, ou ploguer, les verbes suivants : brancher (un appareil, par exemple), faire de la pub, faire de la promo, faire de la réclame pour qqn ou qqch., donner un coup de pouce publicitaire à qqn ou qqch., vanter, mettre en valeur qqn ou qqch.

La locution verbale tirer sur la plug peut être remplacée, au sens propre, par débrancher ou, au figuré, par abandonner, laisser tomber, se retirer (d’une affaire, d’un projet), reprendre ses billes.

Mais qu'est-ce que le bon français ?

États de langue. : L’antiphrase « comme on dit en bon français » au Québec

L’utilisation de comme on dit en bon français est intéressante à plusieurs égards. Premièrement, elle démontre une conscience métalinguistique de la part du locuteur vis-à-vis une certaine norme de langage. Le locuteur s’autorise consciemment un écart par rapport à celle-ci. Autrement dit, le locuteur sait parfaitement qu’il contrevient au bon usage.

Deuxièmement, on peut se demander pourquoi un tel écart de langage ? Si tirer la plogue était si mal vu et inapproprié, la chroniqueuse ici aurait utilisé une autre formule comme se faire montrer la porte, se faire éjecter, larguer ou se débarrasser de. Mais non, pour des raisons d’ordre stylistique, la journaliste a préféré une formule familière et populaire que connaît très bien son auditoire.

Or, tirer la plogue n’est pas mauvais en soi. Il est parfaitement formé et intégré dans le français québécois. Tout Québécois adulte le comprend. Certes aux yeux de nos grincheux grammairiens et puristes, il est condamné d’office par son origine anglophone. À mon avis, c’est justement cette proximité avec son auditoire et ce parfum un peu sulfureux qui expliquent pourquoi dans ces circonstances la journaliste va se permettre un effet de style en faisant un appel au langage familier.

Troisièmement, en agissant de la sorte, la journaliste va sciemment légitimer – du moins temporairement – le prétendu mauvais usage. Ici, par exemple, tirer la plogue devient tout à fait acceptable sur les ondes de l’émission de radio la plus écoutée à Montréal. Évidemment, cet usage va contribuer à perpétuer voire répandre l’usage critiqué dans le bassin de locuteurs.

C’est d’ailleurs pourquoi j’ai toujours prétendu que le fait de dénoncer certaines formes de langage à travers les chroniques et les médias a comme effet pervers de les répandre davantage. C’est dire que ce type d’usage par l’antiphrase qui se veut souvent ironique ou moqueuse sera un des mécanismes de reproduction et de diffusion du langage familier en dehors des contextes familiers proprement dits.

Effectivement, je vais insérer ce terme et cette expression dans le mégadictionnaire de la langue française, ce que j'hésitais à faire car il ne figure pas dans le Dictionnaire historique du français québécois.

On pourrait se réjouir de la décision du Québec concernant la langue française.

Radio Canada, 27 janvier 2023  Québec lance un grand chantier pour protéger le français

De toute urgence, il faut améliorer la qualité et la maîtrise du français ; et de toute urgence, il faut assurer sa vitalité dans toutes les sphères de la société, a lancé le ministre en point de presse.

Mais ce souci d'améliorer la qualité du français nous renvoie à la sclérose de cette langue en France depuis la fin du 19ème siècle.

Gilles Siouffi : “L’éducation doit être le moteur de la simplification de l’orthographe française”

Jusqu’au XIXe siècle, l’orthographe “de l’usage” était choisie par les imprimeurs (aujourd’hui appelés éditeurs). A partir du XIXe siècle, avec la massification de l’enseignement scolaire et l’intervention des instances éducatives, il y a eu un certain nombre de projets de réforme de l’orthographe – comme celui de 1901. Mais l’Académie française ne les a pas intégrés, car elle les considérait comme des tentatives de régler de façon autoritaire des questions d’orthographe, alors qu’elle-même prenait l’usage comme principal critère. Il y a eu plus tard les Rectifications de 1990, introduites par un rapport du Conseil supérieur de la langue française. Cette fois, l’Académie les a approuvées, mais seulement à titre de variation, c’est-à-dire qu’elle a conservé la forme d’origine des mots et ajouté ensuite l’autre graphie possible.

On assiste aussi à un manque de vision d'ensemble, évident quand on connait les exigences et l'inadéquation des procédures.

Radio Canada, 13 janvier 2024 Langue française : Québec renforce ses obligations en matière d’affichage commercial

M. Roberge a toutefois refusé de dévoiler la date à laquelle sera finalement publié le plan du groupe d'action sur l'avenir de la langue française mis sur pied l'hiver dernier, qu'il devait pourtant rendre public d'ici la fin de 2023, se contentant de dire que plusieurs des mesures incluses dans ce plan ont déjà été annoncées.

Ce qui amène à s'interroger sur la suprématie de l'OQLF dans les domaines qui peuvent être (strictement) réglementés. Mais quelle est donc cette norme, qui l'établit et sur quelles bases ?

États de langue 27 janvier 2024 Succès et insuccès lexicaux québécois (2) le succès imposé

Nous savons que la créativité lexicale québécoise formelle aujourd’hui passe généralement par l’Office québécois de la langue française. En collaboration avec les milieux professionnels québécois concernés et les organismes européens intéressés, une équipe de terminologues professionnels de l’Office maintient une veille lexicale anti-anglicisme et s’empresse de produire des équivalents en français des termes anglo-américains menaçants.

Ces néologismes se présentent presque toujours sous forme de paires A/B avec le terme recommandé A et le terme déconseillé B. Nous connaissons par exemple : courriel/e-mail, égoportrait/selfie, infolettre/newsletter, mention j’aime/like, anxiété de ratage/FOMO, baladodiffusion/podcast, diffusion en continu/streaming, témoin de connexion/cookie, hypertrucage/deep fake, chaîne de blocs/blockchain, etc, [...]

La portée de cette disposition législative est énorme. Cela veut dire en pratique que les textes, documents, affiches, lettres, sites web, etc. produits par tous les différents paliers administratifs doivent utiliser la terminologie officialisée de l’OQLF. Idem pour les manuels scolaires approuvés par le Ministère de l’Éducation et publiés au Québec. [...]

Au Québec et au Canada, toutes les entreprises, institutions et organisations qui doivent communiquer avec le public possèdent ou utilisent un service linguistique qui se charge des besoins de traduction et de rédaction en français.

Dans ce registre, il faut souligner chez les usagers la hantise de l’anglicisme et la peur des fautes. Quelle honte que de présenter un document ou un texte « bourré » de fautes ! Il faut dire que les logiciels de correction langagière, de traduction automatisée et l’intelligence artificielle générative facilitent beaucoup la production de documents sans fautes.

Quelle est la situation en France ?

On note aussi une volonté de faire évoluer la langue française, mais il s'agit également principalement de linguistes. https://www.tract-linguistes.org/

Alors que le niveau linguistique écrit est un critère prépondérant pour l'acquisition de la nationalité française et reste très sélectif pour les études et les emplois, rien ne permet de savoir sur quoi sont formulées ces exigences et par qui. Il existe peu de références utilisables. L'Académie française, qui se définit toujours comme observatrice, a semble-t-il abandonné l'opposition "on dit / on ne dit pas" dans la rubrique qui reste intitulée Dire, ne pas dire.

La seule source officielle et réglementaire est la Commission d'enrichissement de la langue française. Le comble étant que les tribunaux refusent de sanctionner le non respect de la loi Toubon si la dite commission n'a pas proposé une équivalence.

Coordonné par la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), il comprend notamment une Commission d'enrichissement de la langue française, placée sous l'autorité du Premier Ministre, à laquelle sont étroitement associés des experts des domaines scientifiques et techniques, ainsi que des représentants de l'Administration, de l'Académie française, de l'Académie des sciences et d'organismes de normalisation (AFNOR), des correspondants d'institutions linguistiques de pays francophones et des universitaires spécialistes de la langue. Les experts de dix-neuf collèges implantés dans les différents ministères ont pour mission de proposer à la Commission d'enrichissement les termes nécessaires et de les accompagner de leur définition. Une fois validés par l’Académie française, les termes adoptés par la Commission d'enrichissement sont publiés au Journal officiel de la République française ; ils ne sont d’usage obligatoire que dans les administrations et les établissements de l'État mais ils peuvent servir de référence aux traducteurs et aux rédacteurs techniques, et plus généralement à tous ceux qui sont soucieux d’être compris du plus grand nombre.

En voici des exemples :

crédit-bail, n.m.

Journal officiel du 22/09/2000

Domaine : FINANCE.

Définition : Technique de crédit dans laquelle le prêteur offre à l'emprunteur la location d'un bien, assortie d'une promesse unilatérale de vente, qui peut se dénouer par le transfert de la propriété à l'emprunteur.

1. Cette technique fait, en France, l'objet d'une règlementation législative explicite.

2. Pluriel : crédits-bail.

Voir aussi : bail financier, cession-bail, location avec option d'achat.

Équivalent étranger : leasing (en)

Source : révision de l'arrêté du 29 novembre 1973

 

location avec option d'achat

Journal officiel du 22/09/2000

Abréviation : LOA

Définition : Technique par laquelle un établissement de crédit donne en location à un preneur (pour un usage non professionnel) un bien acheté à cet effet, en vertu d'un contrat à l'issue duquel celui-ci, peut pour un prix convenu, devenir propriétaire de ce bien, en levant l'option d'achat initialement stipulée à son profit.

1. Le preneur peut, dans certains cas, devenir propriétaire au cours du contrat en versant la totalité des loyers non échus, plus une pénalité éventuelle.

2. L'expression « location avec option d'achat » (LOA) s'est progressivement substituée à l'expression « location avec promesse de vente » (LPV) qui figure encore dans les textes législatifs et règlementaires originels.

3. Le terme anglais leasing recouvre de nombreuses autres techniques regroupées sous le terme générique de « crédit-bail ».

Voir aussi : cession-bail, crédit-bail.

Source : révision de l'arrêté du 11 janvier 1990.

Il est évident que nos dirigeants se contrefichent allègrement de ces "recommandations".

Mon leasing électrique

Choose France

Mais vous avez tant d'autres exemples...

 


Lire l'article complet, et les commentaires