Les Moaļ d’Occident.

par Thierry Meyer
jeudi 21 juillet 2005

Quand une situation inédite, et inquiétante, se profile à l’horizon, il n’est jamais inutile de chercher à savoir si quelqu’un d’autre ne l’a pas déjà rencontrée. Dans le cas d’un dérèglement climatique, il est manifeste que les exemples ne seront pas légions, aussi étudierons-nous avec soins celui qui nous paraît le plus approchant : l’île de Pâques.

Laissez-moi donc vous conter l’histoire édifiante d’une île minuscule, perdue au milieu de l’océan Pacifique. Pour vous mettre en situation, essayez d’imaginer un morceau de terre triangulaire, de 15 km de côté (environ 165 km², ce qui est 4 fois plus petit que le plus petit département français : le Territoire de Belfort !), couvert d’une végétation luxuriante. En tout cas, c’est ainsi que des polynésiens la découvrir dans les années 500 de notre ère.

Même si ceux-ci étaient forcément de très grands marins (ils avaient déjà réussi à coloniser beaucoup d’îles de la Polynésie), ce fût certainement leur plus bel exploit car il leur avait fallut parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour atteindre celle-ci (la terre la plus proche, l’île de Pitcairn, située à 2000 km, n’était pas encore habitée à l’époque). Quoi qu’il en soit, ils furent certainement très heureux d’aborder ce monde, même s’ils n’y trouvèrent aucune source d’eau douce. Heureusement, la pluie y a toujours été abondante, puisqu’il y pleut plus d’un jour sur deux.

Ceci dit, même si les premiers colons l’ont très certainement trouvée paradisiaque, il est indéniable qu’il leurs fallait tenir compte immédiatement de ces ressources limitées (rappelons-nous que l’on peut la parcourir à pied en moins d’une journée !). Heureusement, les nouveaux habitants apportaient aussi avec eux une structure sociale très hiérarchisée, ce qui leur a permit d’y vivre et de s’y développer pendant plus d’un millier d’années sans problèmes. Ils sont même parvenu, selon les estimations, à atteindre les 20000 habitants, ce qui représente une densité de plus de 120 personnes au km2, contre 96 pour la France en 2004 !

Et qui plus est, dans un équilibre stable d’après les archéologues, puisque l’étude des squelettes de l’époque prouve que les indigènes étaient en bien meilleure santé que leurs contemporains continentaux. Sans vouloir entrer dans les détails, leur civilisation était construite autour d’un roi et d’un clergé, la population étant regroupée en plusieurs tribus. Cette centralisation du pouvoir permettait d’orienter les choix et de contrôler la distributions de la nourriture. Leur religion, quant à elle, était axée sur la vénération des ancêtres, dont ils représentaient les plus prestigieux par des statues géantes : les Moaï.

Sur le principe, ces statues sont similaires aux totems indiens, et sont donc là pour protéger le village. Évidemment, quand on dispose d’une carrière à proximité, il semble naturel de chercher à faire une statue en pierre, plutôt qu’en bois, et quand l’incertitude ne peut provenir que du grand large, on aura aussi tendance à la placer entre le village et le rivage, plutôt qu’au centre des habitations.

Quoi qu’il en soit, cette coutume n’aurait certainement pas tant marqué les esprits (qui ne connaît les statues de l’île de Pâques !) si, quand les premiers navigateurs occidentaux ont découvert cette île (des néerlandais en 1722), celle-ci était devenue un rocher nu où pratiquement toute végétation avait disparu ! Trouver quelques indigènes, survivant misérablement au milieu de statues gigantesques (le plus grand atteint les 300 tonnes, pour 21 mètres de long), alors qu’ils ne disposaient ni de madriers ni de cordes dignes de ce nom, a effectivement de quoi frapper les esprits. Qui plus est, la grande majorité de ces Moaï était jetée à terre, comme si un épisode d’une extrême violence avait dévasté l’île.

C’est à partir de ces constations, naturellement, que bien des hypothèses ont vu le jour pour expliquer cette situation. S’il est maintenant clairement établi que ce sont bien les indigènes qui ont taillé ces statuts, puisque les études des pollens et des restes de repas ont démontré que pendant pratiquement 1000 ans la végétation était florissante, ce qui mettait à la disposition du peuple de l’île les ressources nécessaires à ces travaux, on s’interroge toujours sur le brusque dépérissement de cette civilisation, qui correspond de manière si étrange, au renversement des Moaï.

L’hypothèse la plus souvent énoncée part du principe que la disparition des forêts serait l’oeuvre des indigènes qui se seraient lancés dans des guerres à outrance, contre des envahisseurs ou pour des raisons religieuses (il est effectivement à noter que la taille des Moaï s’est accru subitement pendant cette période), ce qui aurait causé une déforestation massive, cause de la mort ultérieure de la grande majorité des habitants...

Bien que l’hypothèse suivante me paraisse encore plus vraisemblable, on peut déjà remarquer que, quelqu’en soit la cause, le déséquilibre écologique qu’ils ont vécu a eu des conséquences dramatiques. Or, nous devons garder à l’esprit que, bien que nous ne parlions plus d’une île mais d’une planète toute entière, nous sommes en train de reproduire le même scénario en perturbant notre climat.

Mais revenons à la seconde hypothèse. Les scientifiques, qui étudient depuis de nombreuses années cette île, n’accordent pas beaucoup de crédit à la thèse d’une guerre de possession. Pourquoi les indigènes, qui vivaient en parfaite autarcie depuis un millier d’années, auraient été subitement pris d’un coup de folie et se seraient mis à s’entre tuer ? Dans le cadre d’une attaque extérieure, il aurait fallu que les envahisseurs arrivent en masse, ce qui n’a peu de sens, puisque l’île ne pouvait être découverte que par hasard (qui préméditerait une attaque à plus de 2000 km de chez lui, simplement pour le plaisir de conquérir 165 km² ?).

Ils se sont donc tournés du côté des catastrophes naturelles, ce qui aurait aussi eu le mérite d’expliquer la mise à bas des Moaï. Malheureusement, aucune traces de séisme, d’irruption ou de raz-de-marée. La seule explication rationnelle reste donc une sécheresse dévastatrice (résultant d’une perturbation temporaire du climat, de type El Nino) qui aurait mis à mal la végétation. Effectivement, bien que les terrains volcaniques soient très fertiles, une fois qu’ils sont mis à nu, les vents très violents et la porosité des roches n’aident pas au reboisement (en tout cas, 500 ans plus tard, la végétation n’est toujours pas revenue !).

Certains scientifiques pensent donc que les conditions de vie se sont brusquement détériorées du fait de la déforestation. Les études montrent que, parallèlement à la disparition de l’utilisation du bois dans la cuisson des aliments, les zones de cultures se sont répandues dans des espaces de moins en moins propices, signe d’un besoin impérieux en terme de nourriture. Parallèlement à cette évolution, les indigènes se sont mis à sculpter des Moaï de plus en plus imposants, certainement en quête d’un soutien conséquent de la part de leurs ancêtres.

On peut donc imaginer la situation suivante. Quelques années de dérèglement climatique perturbent la faune et la flore de l’île, entraînant des famines importantes. Pour essayer de faire face aux évènements, la classe dirigeante, qui n’appréhende le monde qu’au travers de sa foi, fait entreprendre les travaux des Moaï géants.

À l’évidence, il est arrivé un moment où les gens du peuple, exténués par ces travaux titanesques alors qu’ils éprouvaient de plus en plus de difficulté à nourrir leur famille, ainsi que la classe dirigeante, finirent par comprendre que les choix qu’on leur imposait n’amenaient qu’à une impasse. Le soulèvement qui s’en suivi ne cherchait donc pas qu’à accéder aux réserves de nourriture, mais surtout à mettre à bas l’ordre établit.

Ce qui me frappe le plus, dans cette seconde hypothèse, c’est toujours cette similitude avec notre époque actuelle. Nous sommes, nous aussi, tout à fait conscient que notre monde est limité, et nous savons pertinemment que nous le dégradons de manière irrémédiable. Nous sommes aussi totalement conscient que nous avons enclenchés un dérèglement climatique, et que la fin des énergies bon marchées (sous 15 ans au mieux) ne va pas nous aider à y faire face. Et pourtant, nous continuons à vénérer nos Moaï dans l’espoir de jours meilleurs !

Malheureusement, nous aurons beau les faire à l’échelle de la planète, ce n’est ni la déesse Croissance, ni la déesse Technologie, qui nous sauveront...


Publié sur VieRurale.com.


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