Amitié franco-ukrainienne : fake news et accord de coopération

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 21 février 2024

« La France et l'Ukraine (…) ont conjointement décidé de renforcer leur coopération bilatérale sur le long terme en matière de sécurité. » (Accord de coopération franco-ukrainien signé le 16 février 2024).

La semaine dernière, l'amitié franco-ukrainienne a franchi un nouveau pas. Sur fond d'assassinat de l'opposant Alexeï Navalny et de campagne pour l'élection présidentielle en Russie, le Président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky s'est rendu le vendredi 16 février 2024 à Berlin pour y rencontrer le Chancelier allemand Olaf Scholz puis à Paris pour y rencontrer en soirée le Président de la République française Emmanuel Macron. Il a ensuite participé à la Conférence de Munich pour la sécurité.

Cela fait bientôt deux ans que la guerre sévit en Ukraine à la suite de la tentative d'invasion des troupes russes. Contrairement à ses calculs initiaux, la Russie n'a pas réussi à annexer l'Ukraine en quelques jours comme elle avait annexé, il y a dix ans, la Crimée. Les Ukrainiens résistent vaillamment à l'envahisseur russe. Pour l'Europe, cette guerre, que les Européens n'ont jamais voulue, pourrait sceller leur sort : une défaite face à Vladimir Poutine serait le feu vert pour d'autres invasions afin de reconstituer la Grande Russie, en particulier vers la Moldavie, les Pays Baltes et la Pologne.

Il ne s'agit pas ici d'être pacifiste ou pas, d'être pour ou contre la guerre ; quand un pays est envahi, il doit se défendre ou alors se résoudre à se laisser occuper et dissoudre. La France a connu ces deux situations entre 1940 et 1944, et les vrais patriotes n'étaient pas du côté des pacifistes, bien entendu. Le débat avait aussi eu lieu en France entre 1914 et 1918. La Russie a pris l'initiative de cette guerre qui a déjà fait des centaines de milliers de morts et des millions de personnes déplacées. L'Ukraine n'a jamais agressé la Russie parce qu'elle a toujours respecté les frontières reconnues par les deux pays, contrairement à la Russie qui pensait imposer la loi du plus fort.

S'il y a un choc des civilisations, c'est bien celui-ci : entre l'État de droit, y compris les traités internationaux, et la loi du plus fort, du plus bourrin, en clair, la loi de la jungle (qui est un autre nom pour ultralibéralisme).

Le courage des Ukrainiens a étonné jusqu'à leurs amis de l'Ouest. Sans entrer en guerre mais conscients qu'il faut arrêter la folie belliciste poutinienne, ceux-ci se sont engagés à aider militairement l'Ukraine pour qu'elle puisse repousser leurs occupants.

Malheureusement, les perspectives électorales aux États-Unis et le risque d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche dès novembre 2024 donnent aujourd'hui des sueurs froides sur la fidélité de l'amitié américaine. Les tentations isolationnistes (séculaires) des Américains pourraient en effet réduire les capacités de défense non seulement de l'Ukraine mais de toute le continent européen, à l'exception de la France et du Royaume-Uni dont la force de frappe nucléaire leur assure une indépendance stratégique réelle. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant que la Pologne, qui souhaite se remilitariser à outrance, par peur du voisin russe, envisage même de se doter elle-même d'une force de frappe nucléaire (ce qui irait à l'encontre de tous les traités de non-prolifération).

Ainsi, la rencontre entre les deux Présidents Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron avait un but très clair : la signature (qui s'est faite devant les caméras) d'un accord de coopération en matière de sécurité entre la France et l'Ukraine. Cet accord bilatéral est important car il ne dépend que des deux pays et pas des éventuelles évolutions de pays tiers.



Cet accord de sécurité, qui confirme ainsi la détermination de la France à continuer à apporter un soutien indéfectible à l'Ukraine et au peuple ukrainien, est d'une durée de dix ans, et est valide tant que l'Ukraine n'a pas rejoint l'OTAN.

Dans son introduction, l'accord reconnaît les frontières de 1991 et proclame : « La France confirme que la future adhésion de l'Ukraine à l'OTAN constituerait une contribution utile à la paix et à la stabilité de l'Europe. ». Il réaffirme aussi que la France soutient l'intégration de l'Ukraine à l'Union Européenne.

Ce qui implique une aide à la défense de l'intégrité de l'Ukraine : « [La France] fournira une assistance militaire et civile pour permettre à l'Ukraine de défendre sa souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale face à l'agression de la Fédération de Russie, de manière bilatérale par le biais d'accords, ainsi que par l'intermédiaire des institutions et organisations auxquelles elle est partie. [La France] contribuera à renforcer les capacités militaires, la résilience et la stabilité économique de l'Ukraine, afin de décourager toute agression future. Afin d'assurer plus efficacement la réalisation de cette coopération, [l'Ukraine], avec l'aide de [la France], maintiendra et développera de manière continue et efficace sa capacité à résister à une agression armée. ».

Concrètement, l'accord évoque les gros sous : « La France a fourni à l'Ukraine une aide militaire d'une valeur totale de 1,7 milliard d'euros en 2022 et de 2,1 milliards d'euros en 2023. En 2024, la France fournira jusqu'à 3 milliards d'euros de soutien supplémentaire. (…) [La France] poursuivra son soutien à l'Ukraine pendant les dix ans que durera le présent accord. ».

Et d'ajouter la réciprocité suivante : « Les [deux pays] s'efforceront de faire en sorte que les capacités militaires de l'Ukraine soient d'un niveau tel qu'en cas d'agression militaire extérieure contre la France, l'Ukraine soit en mesure de fournir une assistance militaire efficace. Les modalités, le format et la portée de cette assistance seront déterminés par [eux]. ».



En outre, les deux pays « reconnaissent que la Fédération de Russie continue de manipuler l'information à l'appui de sa guerre contre l'Ukraine et s'efforceront de continuer à soutenir mutuellement les efforts qu'ils déploient pour contrer l'ingérence numérique et la manipulation de l'information par la Russie ainsi que la propagande au niveau mondial ».

Ce dernier point, de plus en plus prégnant, a pu être illustré dès le soir même. En effet, deux jours auparavant, une rumeur faisait état d'un renoncement d'une visite d'Emmanuel Macron à Kiev. En effet, le Président français avait évoqué l'idée de se rendre à Kiev autour du 15 février 2024 pour y rencontrer son homologue ukrainien. En fait, Emmanuel Macron a abandonné cet agenda dès lors que c'était Volodymyr Zelensky qui se rendait lui-même à l'Élysée à cette période, ce qui a fait repousser la visite française à Kiev au mois de mars.

Mais l'information donnée était tout autre. Elle prétendait que France 24 (la télévision française pour l'étranger) aurait indiqué qu'Emmanuel Macron avait annulé sa visite à Kiev en raison d'une tentative d'assassinat contre lui. Rendant complice notamment le chef de la direction du renseignement du ministère de la défense de l'Ukraine, sur instructions de Volodymyr Zelensky lui-même (rien que ça !), la survenue de l'assassinat du Président français à Kiev aurait provoqué un tollé international, l'attentat attribué aux services secrets russes, afin d'accroître la pression sur les alliés de l'Ukraine pour continuer à lui fournir de l'aide (juste au prix de la mort d'un de ses plus grands alliés !).

Évidemment, c'était une fake news (ou désinformation en français, ou plutôt, une tentative de manipulation de la part de la Russie). Donner de telles fausses informations (France 24 n'a jamais rien dit de tel, malgré une vidéo qui a été truquée) pouvait servir les intérêts russes. D'une part, en déstabilisant les peuples "occidentaux", en particulier avant des élections européennes importantes (en juin 2024), d'autre part, en semant le doute sur la loyauté des différents alliés qui se trouvent être les adversaires, voire les ennemis de la Russie. Diviser pour régner, procédé classique.



Pour Emmanuel Macron, si cette rumeur avait été crue, cela aurait été au mieux l'idée d'une lâcheté physique du Président qui aurait craint pour sa vie (mais les Présidents français ont toujours montré un certain courage physique depuis De Gaulle, que ce soit François Mitterrand à Beyrouth ou à Sarajevo, Jacques Chirac au Proche-Orient ou même Nicolas Sarkozy dans des milieux hostiles, ils n'ont jamais eu peur ni de la contestation ni d'un éventuel attentat qui mythifierait leur action ; Emmanuel Macron l'a d'ailleurs déjà prouvé lors de son voyage en Ukraine le 16 juin 2022) et au pire, une mésentente entre la France et l'Ukraine puisque l'information manipulée indiquait que c'était Volodymyr Zelensky qui aurait eu cette idée très tordue d'assassiner Emmanuel Macron.

C'est d'ailleurs ce niveau élevé de tordu qui désigne à l'évidence l'origine russe de cette fake news et ce qui est le plus intéressant, c'est de connaître tous ceux qui ont diffusé ou fait diffuser cette fausse information sur Internet, car ce sont simplement des trolls russes qui se sont, pour cette fake news, particulièrement trahis car l'information n'avait qu'une seule source, la Russie et tous les sites de désinformation russes en France et en Europe.

En voyant les deux Présidents se faire l'accolade ce soir-là à l'Élysée, on imaginait mal que le baiser de Judas devînt le baiser de Zelensky, malgré les 3 milliards d'euros qui l'attendent pour le restant de l'année. De temps en temps, les désinformateurs russes devraient faire un peu plus dans la finesse pour que la mayonnaise prenne !...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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