Couronnement plus vieux, couronnement heureux !

par Sylvain Rakotoarison
lundi 8 mai 2023

« J'ai dit à ma femme : "Tu ne trouves pas que j'ai l'étoffe d'un chef d'État ? Et puis j'ai le bras long..." ; elle m'a dit : "Si tu as l'étoffe et le bras long, tu coupes les manches, ça te fera un petit boléro". » (Pierre Desproges, 1986).

C'est un peu comme un mariage : couronnement plus vieux, couronnement heureux. Pour Charles III, il y avait de quoi être heureux. Il a passé cette épreuve du sacre (ce samedi 6 mai 2023 à l'abbaye de Westminster) sans incident, dans une sorte de perfection d'ordre et de protocole, ainsi que de joie populaire. Même son épouse Camilla est devenue reine par la grâce de sa défunte mère. Quant au peuple, il attendait gaiement son souverain sous la pluie.

On a signalé quelques manifestants anti-monarchiques. Pourquoi ne pas dire républicains ? Avec un nombre qui vaut celui des gilets jaunes encore en activité sur nos ronds-points (bientôt cinq ans plus tard).

Pourtant, comment ne pas leur donner raison alors que la monarchie britannique n'est qu'un jeu de rôle anachronique ? Tous les républicains devraient-ils s'extasier devant une telle cérémonie ? Peut-être.

Il faut imaginer le Royaume-Uni comme un vaste théâtre des apparences. Chacun y tient son rôle avec grandiloquence (et éloquence). Au-delà des convenances et protocoles, ce qui compte est l'habit. Les costumes sont essentiels. On le savait avec Élisabeth II (des bookmakers pariaient sur la couleur de la robe lors de ses sorties). On le sait désormais pour les hommes. Une séance à la Chambre des Communes est stupéfiante, costumes et jeux de rôle.

On pourrait le dire aussi chez nous, en France, mais s'il y a bien des jeux de rôle à l'Assemblée Nationale, ce sont des jeux de posture, et la sobriété est de mise, la solennité des lieux de plus en plus remise en cause par les invectives de jeunes députés excités extrémistes. Même l'absence de cravate est permise dans le code vestimentaire depuis 2017.

La dernière résurgence de l'importance des costumes, c'est lors des procès, la cour est en robe. C'est un peu surprenant, guère élégant, mais c'est rien par rapport à nos amis britanniques.



La cérémonie du sacre et du couronnement de Charles III est ainsi le sommet de ce que peut faire le protocole dans le monde. Dans le monde, en effet, car s'il y a encore de nombreuses monarchies de nos jours, seule la monarchie britannique se permet de conserver cette cérémonie du couronnement depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les autres n'ont probablement plus osé les poursuivre. Le peuple et le coût (plusieurs centaines de millions de livres).

Il y a une raison qui saute aux yeux immédiatement : le roi (ou la reine) est d'essence divine et c'est Dieu qui le consacre (ou la consacre). La cérémonie, c'est principalement une messe, une grand-messe à grande pompes, mais une messe (anglicane) avec plusieurs archevêques. La religion a toujours su glorifier les actes de l'état-civil, un mariage sans cérémonie religieuse, c'est dix minutes avec, pour seule distraction, un discours bref et insipide d'un maire (ou adjoint) dans la décoration de la salle des fêtes de la mairie (choisir une mairie d'un arrondissement parisien, ou la mairie d'une grande ville de province, c'est généralement plus joli, plus fastueux, plus glorieux que la mairie très banale d'un petit village !). La religion redore le contexte.

Évidemment, il y a un aspect totalement insupportable pour une république laïque comme la nôtre : la laïcité ne peut supporter que le chef de l'État soit d'essence divine. Le chef de l'État rassemble et doit donc être compatible avec toutes les religions du peuple. C'était d'ailleurs, très paradoxalement, le message de Charles III, ce qui compense l'aspect religieux du couronnement.

Car il y a aussi une autre considération : le roi du Royaume-Uni est également un pape, le chef de l'Église anglicane. En tant que tel, il est sacré roi comme il pourrait être intronisé pape au Vatican. Là encore, c'est inimaginable, même si, ès qualités, le Président de la République français est chanoine de Latran. Seul Nicolas Sarkozy a usé de cette prérogative. Songeons que c'est le Premier Ministre lui-même, Rishi Sunak, qui a fait la lecture d'un passage de la bible.



En France, le dernier sacre remonte au 29 mai 1825, il y a un peu moins de deux siècles. Le dernier roi de France Charles X (aussi un Charles), dernier frère de Louis XVI et Louis XVIII, prenait la succession. Son successeur Louis-Philippe, un cousin fils de régicide mis sur le trône à la suite d'une nouvelle révolution, n'était plus que roi des Français.

Si Napoléon Ier a été couronné le 2 décembre 1804 au cours d'un sacre insolent, son neveu Napoléon III n'a jamais été sacré empereur des Français : le 2 décembre 1852, après le plébiscite positif du 22 novembre 1852 qui faisait approuver par le peuple (à 96,7% des voix) le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 sur la transformation du Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte a été proclamé empereur des Français, sans cérémonie du sacre. Napoléon III avait négocié avec le pape Pie IX mais les discussions ont échoué en avril 1853 car le pape réclamait des conditions inacceptables comme le lieu du sacre, à Rome et pas à Paris, ou encore l'obligation d'un mariage catholique pour être marié civilement (cela tenait à du vaudeville).

Cela faisait près de soixante-dix ans que Charles III connaissait en long et en large tous les détails de cette cérémonie. Elle pourrait être heureuse mais elle est avant tout lourde. Au sens propre comme au sens figuré. Le poids de la couronne, du manteau, etc. pèse autant que la notion même de couronnement et de succession qui signifie prioritairement que le roi est mort, en l'occurrence ici que la reine est morte. Un roi ne peut pas amener ses parents à son couronnement. A contrario, le prince William a prêté allégeance à son père dès que celui-ci a été couronné.

Les habillages et déshabillages pendant toute la cérémonie (le roi était en simple chemise blanche et a revêtu plusieurs manteaux et robes différents selon le moment de la cérémonie) ont donné une véritable majesté au roi. L'habit fait plus que le moine, l'habit fait le roi, incontestablement.



Comme la formule qui veut que la fonction crée l'organe, le couronnement crée le roi. Alors qu'il était plutôt original et intéressant lorsqu'il était Prince de Galles, Charles III est maintenant l'être aseptisé et sans odeur, sans idée et sans conviction, consensuel et fade qu'on lui demande d'être.

M'est venu alors à l'esprit cet excellent film franco-britannique "The Medusa Touch" (traduit plus banalement par "La Grande Menace") réalisé par Jack Gold et sorti en France le 22 novembre 1978, avec Lino Ventura (le flic), Richard Burton (le cinglé), Lee Remick (la toubib), Marie-Christine Barrault (l'ex-épouse), etc. Dans son lit d'hôpital, le presque mort Richard Burton réussit, par la force de la pensée (par télékinésie), à provoquer des catastrophes. Parmi les dernières (attention spoiler !), il parvient à faire s'effondrer l'abbaye de Westminster... (la reine devait s'y rendre).

La question réside ainsi, quarante-cinq ans plus tard : comme cette abbaye de cérémonie dans le film, la monarchie britannique se fissurera-t-elle sous le règne du bon roi Charles III ? William est en tout prêt à succéder à ce présumé pape de transition.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Couronnement plus vieux, couronnement heureux !
Tony Blair.
Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
Êtes-vous invité au couronnement ?
Margaret Thatcher.
John Major.
Michael Heseltine.
Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.



 


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