Grèce : la victoire de la raison sur les populismes

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 24 mai 2023

« Sans l'ombre d'un doute, il s'agit de la meilleure performance électorale d'un gouvernement en place depuis la transition démocratique de la Grèce. » (Dimitris Papadimitriou, professeur de sciences politiques à l'Université de Manchester, le 22 mai 2023 au "Financial Times").

La Grèce est redevenue une nation d'espoir et de courage. Après les fortes crises financières qui ont plombé l'économie grecque dans les années 2010, au point d'avoir été mise sous tutelle de ses créanciers (en particulier le FMI et l'Union Européenne), le pays retrouve sa marge d'autonomie et de souveraineté. La raison ? Une politique raisonnable, qui se résume finalement assez simplement, comme le savent depuis toujours les familles (je n'ose plus écrire les honnêtes pères de famille car les mères gèrent tout aussi souvent voire plus) : on ne peut dépenser que ce qu'on gagne.

La forte victoire du Premier Ministre sortant Kyriakos Mitsotakis aux élections législatives qui se sont déroulées en Grèce le dimanche 21 mai 2023 en est la preuve. Le leader de Nouvelle Démocratie, le parti de gouvernement traditionnellement positionné au centre droit, a en effet gagné largement ces élections sur l'ancien Premier Ministre Alexis Tsipras, le leader du parti de gauche mélenchocompatible Syriza.

Et il n'y a pas eu photo : 40,8% des suffrages exprimés pour Nouvelle Démocratie (ND) contre seulement 20,1% pour Syriza, qui a subi un effondrement électoral, une perte de 11 points ! Mais revenons rapidement aux précédentes élections législatives.

Celles du 7 juillet 2019 ont été anticipées (elles auraient avoir lieu le 20 octobre 2019) après la défaite de Syriza aux élections européennes du 26 mai 2019. Alexis Tsipras était le Premier Ministre depuis sa victoire électorale du 25 janvier 2015 en pleine crise de la dette souveraine. Il a été confirmé aux élections législatives du 20 septembre 2015, ces deux scrutins ont également été anticipés (pour diverses raisons). Alexis Tsipras a finalement appliqué la politique contre laquelle il a été élu. Cela avait été fortement médiatisé en France à l'époque, d'autant plus qu'il y avait une complicité politique entre Jean-Luc Mélenchon et Alexis Tsipras. On a donc vu ce que donnait une telle politique, démagogique par le verbe et immobiliste par les faits.

Aux élections législatives du 7 juillet 2019, la gauche d'Alexis Tsipras a été balayée par Nouvelle Démocratie qui a obtenu 39,9% des voix (près de 12 points de plus qu'en 2015) face à Syriza, seulement 31,5%. En nombre de sièges, Kyriakos Mitsotakis, qui préside Nouvelle Démocratie depuis le 10 janvier 2016 (succédant à l'ancien Premier Ministre Antonis Samaras), pouvait ainsi se reposer sur 158 sièges sur 300, soit une confortable majorité absolue.

Fils de Konstantinos Mitsotakis, ancien Premier Ministre du 11 avril 1990 au 13 octobre 1993, frère et oncle de maires d'Athènes (la politique grecque, ce sont souvent de longues lignées familiales, parfois sur trois générations : Karamanlis, Papandréou, etc.), Kyriakos Mitsotakis (55 ans), député depuis mars 2004 et ancien ministre du 25 juin 2013 au 26 janvier 2015 (dans le gouvernement d'Antonis Smaras), est devenu le Premier Ministre d'une Grèce en quasi-faillite le 8 juillet 2019.

Notons que son gouvernement ne comptait que deux femmes sur dix-neuf... mais succédant au second gouvernement d'Alexis Tsipras qui, lui, ne comptait aucune femme ! Précisons cependant que depuis le 13 mars 2020, le Président de la République est une Présidente de la République, Katarina Sakellaropoulou, première femme élue.

Kyriakos Mitsotakis a gouverné dans des conditions financières et sociales très difficiles, d'autant plus qu'il a dû gérer non seulement la crise du covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine, mais aussi des relations très compliquées avec sa voisine, la Turquie (dans une bataille stratégique sur les gisements d'hydrocarbures découverts en mer Égée), et il se représentait devant les électeurs à l'issue d'une législature qui n'a pas été écourtée (ce qui est la première fois depuis longtemps ; elle a même été prolongée d'un mois).



En outre, Nouvelle Démocratie a eu à subir deux graves crises intérieures. La première, très politique, a valu le dépôt d'une motion de censure le 26 janvier 2023, rejetée le lendemain. Il s'agit du scandale des écoutes téléphoniques, éclaté par la presse en novembre 2021 ; le pouvoir aurait mis sur écoute non seulement des membres de l'opposition (dont Nikos Androulakis, président de KINAL depuis le 12 décembre 2021), mais aussi des ministres actuels et des journalistes (33 personnalités au total auraient été sur écoute). Kyriakos Mitsotakis a toujours rejeté les accusations considérées comme calomnieuses, mais c'est une affaire qui pourrira probablement l'avenir de ND ou plus généralement, qui pourrira l'État grec car il semblerait (?) que ce soit un organisme de surveillance au sein de l'administration qui en soit à l'origine.

L'autre crise est plus grave puisqu'il s'agit d'une catastrophe ferroviaire qui a eu lieu le 28 février 2023 près de Larissa qui a provoqué la mort de 57 personnes (et a blessé 85 autres personnes) dans une terrible collision frontale entre un train de voyageurs (ligne Athènes-Thessalonique) et un train de marchandises. Des polémiques sur la responsabilité de cet accident ont eu lieu (le ministre des transports a démissionné). Les mesures d'austérité avaient conduit en 2017, sous le gouvernement d'Alexis Tsipras, à la privatisation de la SNCF grecque (Hellenic Train). Les élections, prévues en avril 2023, ont été repoussées d'un mois à cause de cette catastrophe.

Et pourtant, pendant toute cette campagne électorale, ND était le favori des sondages pour plusieurs raisons. La principale, c'est que la Grèce a retrouvé sa souveraineté économique, et c'était le principal atout de Kyriakos Mitsotakis : la reprise économique (6% de croissance en 2022), la baisse du chômage, l'augmentation du SMIC à trois reprises, et surtout, la fin d'une image internationale déplorable de paria depuis la crise de 2008 avec un bond de l'activité touristique, le retour des investisseurs étrangers, etc. Il a accusé son principal rival populiste de gauche Alexis Tsipras d'avoir voulu faire sortir la Grèce de la zone euro et de la faire replonger dans un effondrement économique et financier en cas de retour au pouvoir. Dans ses thèmes de campagne, Kyriakos Mitsotakis a promis des baisses d'impôts pour les classes moyennes et le maintien de la fermeté face aux enjeux migratoires. Ce dernier sujet était un enjeu électoral très fort, comme dans la plupart des démocraties sur le continent européen et même sur les autres continents.



Un autre élément qui a aidé le gouvernement sortant, c'est l'indépendance de KINAL, le parti issu du PASOK (parti socialiste historique) avec d'autres partis d'une coalition de centre gauche, qui a fait campagne autant contre ND (Kyrios Mitsotakis aurait souhaité conclure une alliance avec KINAL mais la proposition fut rejetée à cause du scandale des écoutes téléphoniques) que contre Syriza (qui, seul, ne peut plus prétendre à une majorité). Il faut aussi ajouter que les partis d'extrême droite n'ont pas eu le droit de se présenter à ces élections en raison d'une loi récente interdisant la participation aux élections des partis dont les dirigeants ont été condamnés pour activités criminelles.

Les résultats du scrutin du 21 mai 2023 sont donc très clairs : ND a renforcé sa position électorale antérieure avec 40,8% sur Syriza avec 20,1%, KINAL avec 11,5%, le parti communiste de Grèce (KKE) avec 7,2% et un parti conservateur récent, Solution grecque (EL), avec 4,5%. Ce sont les cinq seules formations politiques qui ont obtenu des sièges (ayant atteint le seuil de 3%). La participation électorale de 60,9% est meilleure que celle en 2019 qui était de 57,8% des inscrits. Pour Nouvelle Démocratie, c'est donc incontestablement une très belle victoire électorale.



Paradoxalement, Kyriakos Mitsotakis a perdu sa majorité absolue des sièges, de justesse, en obtenant seulement 146 sièges sur 300 (perte de 12). Syriza n'a perdu que 15 sièges avec 71 sièges, et ces pertes ont profité aux trois autres partis : KINAL a presque doublé avec 41 sièges (19 de plus), les communistes sont passés de 15 à 26 sièges et Solution grecque de 10 à 16 sièges.

Pourquoi un tel effet ? Parce que le mode de scrutin a été changé. Avec cette procédure très particulière : quand elle n'est pas approuvée par au moins les deux tiers du parlement, la réforme électorale ne s'applique pas immédiatement au prochain scrutin mais au suivant.

La gauche populiste a ainsi fait passer une loi électorale en juillet 2016 qui a supprimé les 50 sièges de prime majoritaire réservés à la formation ayant obtenu le plus de voix, disposition mise en place à partir de 1990. En d'autres termes, la réforme de 2016 a imposé une proportionnelle intégrale à un pays très divisé politiquement. Cette réforme n'était donc pas applicable en 2019 mais en 2023 (le scrutin suivant). Par la suite, Kyriakos Mitsotakis a réformé en janvier 2020 le mode de scrutin en réintroduisant, de manière un peu différente, la prime majoritaire. Mais là aussi, la réforme, adoptée seulement à la majorité absolue simple, n'était pas applicable au scrutin de mai 2023 mais au suivant.

Or, pendant toute sa campagne, Kyriakos Mitsotakis a précisé que s'il n'arrivait pas à garder sa majorité absolue des sièges avec le scrutin en cours, il refuserait cependant de former un gouvernement de coalition (soit avec KINAL soit avec Solution grecque), et qu'il retournerait devant les urnes, cette fois-ci avec le mode de scrutin voté en 2020. Les 5 sièges qui manquent à Nouvelle Démocratie devrait donc conduire Kyriakos Mitsotakis à dissoudre rapidement la nouvelle assemblée pour organiser de nouvelles élections législatives au début de l'été (en juillet probablement).

Ainsi, le Premier Ministre grec sortant a déclaré le soir du 21 mai 2023 : « À partir de demain, je suivrai toutes les procédures constitutionnelles, tout en restant fermement convaincu que les mathématiques de la représentation proportionnelle s'apparentent à un marchandage entre partis et aboutissent à une impasse. ». Selon les observateurs politiques, beaucoup d'électeurs ont apporté leur soutien à Kyriakos Mitsotakis justement à cause de la proportionnelle intégrale pour qu'il réussisse tout de même à conserver sa majorité absolue au parlement. Cet objectif n'a pas été atteint mais il est fort probable que les électeurs confirment voire amplifient ce soutien lors d'un éventuel second scrutin dans quelques semaines.

Kyriakos Mitsotakis se veut rassurant, "Le Monde" le présente comme « un rempart face à toute incertitude économique ou géopolitique ». Il a vaincu à la fois la crise financière et les populismes (de la gauche ultra ou de la droite ultra). Il est plaisant de dire qu'un pays va mieux, est en convalescence, car on signale toujours, et à juste titre, quand un pays s'enfonce dans la crise, quand il va mal, mais moins quand il va mieux. Les électeurs ont su ainsi rappeler au monde extérieur que leur pays va mieux en donnant au gouvernement sortant un quitus qu'aucun autre avant lui n'a jamais eu depuis la fin de la dictature des colonels en 1974.

Toutefois, le nouveau ou les nouveaux gouvernements devront relever plusieurs défis s'ils veulent que la convalescence soit suivie d'une guérison durable, notamment, comme le rappelle "Le Monde", s'attaquer aux « maux endémiques : bureaucratie, corruption, clientélisme, peu d’investissements dans la recherche et l’éducation ». Avec la stabilité dont il devrait pouvoir bénéficier, Kyriakos Mitsotakis va devoir consolider en profondeur la société grecque.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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