Kherson libéré, mais menace nucléaire ?

par Sylvain Rakotoarison
dimanche 13 novembre 2022

« Ma mère, quand elle a arrêté de me faire peur, a commencé à me faire honte. » (Guy Bedos).

Il y a eu des scènes de liesse populaire au centre de la ville de Kherson ce vendredi 11 novembre 2022, journée symbole s'il en est une, le cent quatrième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Désormais, le drapeau ukrainien, et aussi le drapeau européen, flottent sur Kherson qui a été libéré après 254 jours d'occupation des troupes russes. En effet, l'armée russe avait pris la ville le 2 mars 2022, c'était d'ailleurs leur première (et seule ?) véritable conquête dans cette opération militaire spéciale qui s'est appelée plus simplement invasion russe de l'Ukraine.

La ville est importante, avec ses 280 000 habitants, l'équivalent de Montpellier, et est située au bord du Dniepr, dans une région stratégique pour la Crimée. Depuis plusieurs mois (depuis l'annonce du 29 août 2022), les forces ukrainiennes préparaient patiemment la contre-offensive. Le 9 novembre 2022, pour éviter la débandade, et après une évacuation des populations civiles, le Ministre de la Défense Sergueï Choïgou a annoncé officiellement le retrait des troupes russes de la ville de Kherson, sur demande du chef militaire de la région, le général Sergueï Souroukivine.

Deux jours plus tard, c'est donc la libération d'une ville sans bataille, sans combat, presque beaucoup trop facile pour être réelle. Le 30 septembre 2022, la Russie avait pourtant solennellement annexé la région de Kherson (avec trois autres régions ukrainiennes) et Vladimir Poutine avait alors refusé un repli des troupes russes qui voulaient déjà quitter Kherson, considérant justement qu'abandonner cette ville serait le signe d'une défaite humiliante. Alors, pourquoi, en un mois et demi, ce changement ? Acculés ou rusés ?



Les Russes aiment bien, avec quelques jours de retard, refaire le monde selon leur propre récit, en particulier en imaginant que tout reste sous contrôle. Manifestement, pour Kherson, rien n'est sous contrôle puisque leur première conquête est devenue aussi une défaite sur le terrain. C'est même une humiliation de plus, après tant d'autres humiliations militaires (retrait précipité des troupes russes du nord de Kiev, naufrage du Moskva, etc.) qui montrent l'état de vétusté et d'impréparation de l'armée russe et de ses équipements. Impréparation psychologique aussi : les soldats russes ne comprennent pas pourquoi ils combattent, pour quelle cause, alors que la motivation des troupes ukrainiennes est évidente, la survie de leur nation.

Même à l'extérieur, tout va mal pour Vladimir Poutine. Les partisans de Donald Trump ont perdu les élections intermédiaires aux États-Unis du 8 novembre 2022 et même si la situation est encore floue et confuse sur qui contrôle quelle chambre du Congrès, il semble désormais assuré que les fonds d'aide militaire à l'Ukraine continueront à être votés par les parlementaires américains, au grand dam de Vladimir Poutine qui comptait sur un asséchement de l'aide européenne et américaine. En outre, le Président chinois Xi Jinping, lui-même au pouvoir renouvelé et renforcé, a commencé à se désolidariser de Moscou en s'inquiétant de l'utilisation possible de l'arme nucléaire par la Russie. Et pourquoi évoque-t-il la puissance nucléaire de la Russie ? Parce que pour certains, le risque nucléaire est réel.

Il suffisait d'écouter la télévision officielle de l'Ukraine en France, j'ai nommé LCI, chaîne qui parle maintenant plus souvent de l'actualité ukrainienne que française, au point que les diffusions fréquentes d'extraits de la télévision russe, visant à les fustiger, pourraient presque être une contre-propagande à l'intérieur même de cette chaîne. La libération de Kherson constitue évidemment un événement majeur pour LCI, même si d'autres faits d'actualité mériteraient la même couverture et le même écho médiatiques.



Ainsi, sur le plateau, la journaliste maison Laurence Haïm, ancienne correspondante à Washington ou New York, dont le macronisme très engagé en 2017 n'a pas reçu le fruit tant espéré (elle voulait être nommée par le Président Emmanuel Macron ambassadrice de France aux États-Unis) a repris du service depuis la rentrée comme éditorialiste de la chaîne. Spécialiste des États-Unis, elle connaît donc particulièrement bien ...l'Ukraine, et comme elle n'a jamais cessé de dramatiser la situation (selon une règle qui veut que plus le téléspectateur a peur, plus il regarde l'information continue, ce qui n'est pas faux en période d'attentats), elle a toujours commenté de manière à dramatiser les situations, à affoler les gens (du moins, chaque fois que je l'ai entendue).



Ce 11 novembre 2022, elle a ainsi proposé sa propre analyse selon laquelle il n'y avait pas de quoi se réjouir, car les troupes russes ont gentiment quitté la ville et comme elles ne sont pas gentilles en principe, c'est qu'il y a un piège. Comme ils ont aussi voulu évacuer les civils, le piège, cela pourrait bien être l'explosion d'une bombe nucléaire tactique à Kherson !

Comme je suis bien incapable de savoir ce qui se passe dans la tête de Poutine, je me garderai bien de dire que faire exploser une bombe nucléaire tactique au centre-ville de Kherson est impossible. L'idée serait de créer une stupéfaction à l'image de l'explosion à Hiroshima le 6 août 1945. Sauf que nous ne sommes plus en 1945 et que les potentiels alliés de la Russie ne pourraient plus rester solidaires si jamais la Russie usait de l'arme nucléaire, puisqu'on serait bien incapable de connaître ensuite la suite tragique des événements, avec le premier effet, la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes en quelques secondes éclairs. Et probablement une riposte américaine d'envergure indéfinie qui plongerait le monde dans une période d'incertitude absolue.

Néanmoins, j'ai un peu le sentiment, non usurpé il me semble, que la journaliste en question, non plus, n'en sait pas plus que moi sur le sujet des sentiments qui traverseraient l'esprit de Poutine. Et qu'agiter la menace nucléaire ne sert certainement pas la paix future dans cette région du monde. Cela angoisse, cela hystérise, cela clive, cela polarise inutilement des populations déjà fortement divisées, même en Europe. En revanche, oui, je conçois que cela peut ramener un peu plus d'audience à une chaîne de télévision qui a délaissé les Français au prix d'un aveuglement des priorités informationnelles (même si je considère la guerre en Ukraine comme un événement majeur, il n'est pas l'unique événement majeur de notre actualité).

Et la crédibilité d'une menace nucléaire est proportionnelle à la surestimation qu'on fait, tous, ici en Europe et aux États-Unis entre autres, de la puissance russe. La Russie a toujours été une puissance moyenne, du niveau de l'Espagne, et si elle a eu un premier rôle pendant les années de guerre froide, c'est uniquement en raison de son arsenal d'ogives nucléaires. Mais comment peut-on imaginer envoyer une bombe nucléaire sur son propre territoire, puisqu'elle le revendique depuis un mois et demi ? Ce serait très incohérent. Et sur le terrain, à part tuer, cela ne ferait pas avancer le schmilblick.

Bref, on surestime la ruse de Poutine. Plus basiquement, il y a eu un effondrement de l'armée russe face à la contre-offensive ukrainienne. Les Russes, prudents, ont préféré se retirer préalablement à une bataille qui aurait coûté cher en hommes alors qu'ils ont déjà subi de nombreuses pertes depuis neuf mois. Et ils espèrent qu'en reprenant d'autres positions, ils pourront se refaire une force et reprendre sur les pertes précédentes. Mais l'hiver arrive. Volodymyr Zelensky sait très bien, très lucidement, que la guerre est très loin d'être finie.

Mais quand même, Kherson est libre pour l'instant ; savourons cette libération symbolique. Honneur et hommage au peuple ukrainien qui résiste pour sa survie. Il faudrait demander aux supposés patriotes qui se revendiquent ainsi dans l'extrême droite française voire européenne si eux-mêmes seraient prêts à autant de bravoure pour sauver leur propre nation. Vu la position qu'ils ont prise sur l'Ukraine, à savoir la soumission totale à l'envahisseur, j'en doute fortement, et le passé récent conforte mon doute.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
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Le naufrage du croiseur russe Moskva.
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